Interview exclusive - Shakura S'Aïda : «J’ai toujours voulu être universelle»

Comparée souvent Aretha Franklin, à Etta James ou encore à Tina Turner, son idole, la diva canadienne du blues et rock n soul revient pour la 2e fois au Maroc pour célébrer la 20e édition du Tanjazz. Un concert mémorable alternant blues langoureux, sonorités funky et R’&’B lent et sensuel.

11 ans après, vous revenez au Tanjazz pour célébrer cette 20e édition plutôt unique. Quel est votre sentiment ?

Je suis tellement heureuse, j’attendais ce moment depuis 2008, je voulais vraiment revenir chanter ici mais à chaque fois, ça ne cadrait pas dans mon planning ! Et là, je suis super contente d’avoir mes musiciens avec moi, puisque la dernière fois, j’avais joué avec un groupe français. Pour moi, ça fait une énorme différence car ça permet au public d’écouter le vrai son que j’ai créé avec ma musique, plus proprement.

Tout d’abord, que signifie votre nom ?

Shakura veut dire « merci » et S’Aida signifie « heureuse ou se sentir bien », donc les deux combinés veulent dire un truc du genre « Merci mon Dieu ». Ma tante, la sœur de ma mère, était musulmane, et elle m’a dit qu’à ma naissance, elle m’avait chuchoté à l’oreille « Shakura S’Aida », et que j’avais sourit à ce moment là, …Puis, après, je croyais que j’étais née pendant le week-end de Thanksgiving, alors, j’ai appelé ma mère et je lui ai dit : « tu m’as donné ce nom après Thanksgiving ? » et vous savez ce qu’elle m’a répondu ? « Tu devrais être contente que je ne t’ai pas appelé Turkey (dinde !) », en référence au le plat qu’on mange pendant cette fête (rires)…

Vous quitté New York très jeune ? ça ne vous manque pas les USA ?

Je suis née à New York, puis, on est parti dans les années 70 à Toronto, puis en Suisse avant de revenir s’installer à Toronto. Les Etats-Unis me manquent énormément, surtout la culture, pour moi, quand tu es jeune, tu tiens plus à la famille et à la culture qu’au pays. Aujourd’hui, ça me manque d’être avec ma grand-mère, mon grand père, mes tantes, me cousins, d’ailleurs, on y retourne chaque été. Le grand changement a été d’aller en Suisse !

Vous avez 35 ans de carrière. Vous vous attendiez à un tel succès quand vous vous êtes lancés dans ce domaine ?

Vous savez, j’ai 55 ans et je chante de manière professionnelle depuis l’âge de 20 ans. J’ai travaillé dur pour arriver là où je suis, et depuis 13 ans, je me bats fort pour faire ce que j’ai envie de faire, je voulais être « grande », universelle, pour vivre une meilleure vie. Je me voyais toujours sur scène parce que j’adore le contact avec les gens ; je voulais voyager autour du monde, en Afrique, en Europe,… Tout ce que je voulais, je l’ai eu, ce n’est pas parce que je le voulais, mais parce que j’y croyais très fort. Ma mère avait écrit dans les années 70, dans un livre, alors que j’étais encore une petite fille : « Shakura chante ». Je ne l’avais pas vu venir à l’époque, mais ma mère, elle, n’avait aucun doute là-dessus c’est pour cela que j’ai toujours cru en elle.

Votre idole c’est Tina Turner, vous rêviez d’être comme elle ?

Oui, je voulais monter sur scène, pour être en contact et en fusion complète avec le public. Je voulais être honnête, vraie, authentique, …l’authenticité est très importante pour moi, quand vous voyez Tina sur scène, elle est vraiment elle-même. Du coup, être sur scène, c’est juste naturel pour moi !

Vous êtes chanteuse, parolière et actrice. Quel métier vous ressemble le plus ?

J’aime les trois. Quand je suis sur scène, je chante une chanson que j’ai écrite, et des fois, j’incarne un personnage, je joue un rôle, ça peut être la femme dont la chanson parle, une histoire d’enfants…De même, être une actrice, c’est raconter une histoire, donc, pour moi, tout se rejoint, tout et pareil ! Jouer dans un film, c’est juste comme de la musique sans mélodie, c’est une histoire qui doit être authentique. Quand je joue un rôle, c’est une part de moi qui s’exprime, et c’est pareil, lorsque je performe sur scène.

Les thèmes qui vous tiennent à cœur ?

C’est toujours quelque chose de différent, mais généralement c’est de l’amour, pas juste l’amour entre deux personnes, mais l’amour avec lequel on naît, il y aussi l’idée de partage qui m’est très chère. Dans mon prochain album, je parle de ce qu’on ressent à propos du monde, à propos de femmes violentées, d’enfants blessés et tués, à propos de politiciens qui ne font pas la bonne chose, tout cela me touche particulièrement.

Quelle est la date de sortie de votre nouvel album ?

J’espère qu’il sortira en décembre prochain. J’étais en Martinique pour un mois, j’ai nagé, j’ai mangé et j’ai écris... c’était un endroit très inspirant pour moi.

Pourquoi le Jazz et le Blues ?

Je ne me considère pas comme une chanteuse de jazz en fait, ni chanteuse de blues d’ailleurs, ce sont juste des étiquettes qu’on colle pour catégoriser, nommer tel ou tel style et comprendre d’où ça vient. Moi, je pense que mes musiques sont toutes afro-américaines, et dont le style a été développé et créé par des esclaves noirs capturés et ramenés de force d’Afrique. La dernière fois que j’étais au Rwanda, je jouais avec des musiciens africains sur scène, et je me suis rendue compte que leur blues était une musique complètement indigène pour nous autres. Donc, pour être le plus authentique possible, c’est le genre de musique que je devrais chanter, quelque chose reliée aux origines, au Blues, au Jazz, …les gens qui chantent du rock, du Rap, du Hip Hop oui du R’n’B… viennent du Blues comme Quincy Jones, Miles Davis, Billy Holiday, …tout est connecté et puise ses origines dans la musique africaine.

Avez-vous une idée sur la musique africaine ou marocaine ?

J’écoute beaucoup la musique Zouk, Afrobeat, …vous savez, à Montréal et à Toronto, on a tellement de personnes issues de la dispora, du Congo, du Zimbabwe, du Nigeria, du Rwanda, Burundi, du Kenya, du Ghana, donc, j’ai baigné dans ce style musical depuis toujours, mais pour moi, tous ces genres musicaux sont liés, et donc, ça me parait naturel d’en jouer, ça coule dans mes veines, et c’est pour cela que c’est facile pour moi d’intégrer tous ces rythmes à ma musique. De nos jours, la nouvelle musique a beaucoup de beats, beaucoup de percussions, et ça me convient tout à fait.

Avez-vous entendu parler de la musique Gnaouie ?

Non, malheureusement, quand j’étais petite, j’ai eu un problème d’ouïe donc, je n’entends pas le son de la basse, on doit toujours l’amplifier pour moi. C’est très important pour moi, quand j’écris, j’écris pour la guitare et la basse. Et j’aimerais bien pouvoir un jour jouer avec des musiciens marocains.

Quel rôle dont vous êtes particulièrement fière ?

J’ai aimé mon rôle dans le film de science fiction « Brown Girl begins » sortie en 2018, écrit et réalisé par Sharon Lewis et inspiré du roman afro-futuriste « Brown Girl in the ring » de Nalo Hopkinson, qui est une amie à moi. J’ai également adoré mon rôle dans la mini-série diffusée sur Netflix  « Madame C. J. Walker », de Nicole Asher, avec Tiffany Haddish, Octavia Spencer et Blair Underwood…et qui raconte l’incroyable histoire de Madam C. J. Walker, première Afro-Américaine à être devenue milliardaire par ses propres moyens, ayant créé son propre parti pour les femmes noires. Et même si c’est un petit rôle, je suis fière d’avoir fait partie de ce projet.