L’émigration: Un drame international
Ahmed CHARAI

Les historiens retiendront que c’est au moment où le libre-échange triomphe que les règles les plus strictes empêchent la libre circulation des hommes, pourtant pierre angulaire des théories libérales. Les humains ne peuvent plus aller librement là où il y a de la richesse. Lampedusa et Tarifa ont vu leurs côtes se transformer en cimetières où des Africains et des Orientaux laissent leur vie par milliers dans l’espoir d’atteindre le rêve européen. En Australie, à la frontière des USA avec le Mexique, c’est à peu près le même spectacle affligeant. Le Maroc se trouve impliqué dans ce drame, par sa situation géographique. Les migrants subsahariens y arrivent en nombre. Par respect pour ses engagements internationaux, pour ses propres lois, il se trouve dans un rôle de gendarme, de frontière avancée de l’Europe.

Le coût est immense. D’abord celui des surveillances des frontières, de démantèlement des réseaux. Mais ensuite, la gestion des flux est impossible. Dans la précarité absolue, les migrants empêchés de traverser le détroit restent au pays. Ils sont des dizaines de milliers et l’économie marocaine n’a pas le dynamisme nécessaire pour les intégrer. Par respect pour ses valeurs humanistes, mais aussi pour ses relations avec l’Afrique, le Maroc n’entend pas adopter un système répressif. Cela a des limites et on les a déjà dépassées. L’Europe ne peut pas se dédouaner aussi facilement. Le débat politicien sur l’affaire Leonarda, où des dirigeants réclament l’application des lois adoptées démocratiquement avec « humanité », est absurde. La montée des extrêmes dans les pays en crise trouve son origine dans cette contradiction. Si l’Europe veut limiter les flux migratoires, il n’y a qu’une seule voie : le co-développement.

C’est en aidant, réellement, concrètement et massivement au développement des pays émetteurs et en appuyant la démocratisation qu’on diminuera ces flux. Pour l’instant, on assiste à l’inverse. C'est-à-dire au pillage des ressources, en sous-payant les matières premières et au soutien des potentats corrompus pour faciliter ce même pillage. Quant au Maroc, dans son rôle de frontière avancée, il a épuisé toutes ses ressources. Les Espagnols reconnaissent ce qu’ils appellent « l’esprit de coopération des autorités marocaines ». Seulement, le pays ne peut supporter indéfiniment les coûts, d’autant plus que l’aide européenne sur ce thème est ridicule. Le drame étant international, il faut envisager un accord international, susceptible de s’attaquer aux racines du mal. C'est-à-dire à l’extrême misère des uns face à l’opulence des autres.