La colère d’une icône
Au00efcha Ech-Channa, Pru00e9sidente de lu2019Association Solidaritu00e9 fu00e9minine

La colère d’une icône Poser des questions à Ech-Channa est impossible. À peine arrivée au siège de l’association, sis quartier Palmier, la présidente fondatrice de l’Association Solidarité Féminine (ASF) se lance avec sa verve habituelle dans un plaidoyer fleuve pour un Maroc de l’égalité. Son franc parler et sa candeur font la signature de cette femme désormais icône. Elle tire à boulets rouges sur le gouvernement, le parlement et la société. Tout le monde en prend pour son grade. Elle s’indigne contre la loi Ramid sur la Kafala, interdisant aux non résidents au Maroc d’adopter des enfants. Elle qualifie de «passéiste» la jurisprudence 464 datant de 1983 éditée par la Cour de cassation. Cette décision stipule qu’un enfant né hors mariage ne peut être affilié à son père biologique, même si ce dernier souhaite le reconnaître et que le test ADN n’est pas islamique ! À 72 ans, Ech-Channa a encore des combats à mener. Rencontre.

L’Observateur du Maroc. Comptez-vous toujours cesser votre combat au sein de Solidarité féminine ?

Aïcha Ech-Channa. Quand je vois la situation des femmes célibataires et les difficultés qu’elles rencontrent encore, je suis en colère. Les lois ne changent pas et les mentalités aussi. J’ai 72 ans, je peux rester chez moi et arrêter tout, sauf que j’ai une mission à accomplir. Chaque jour, 24 bébés sont abandonnés au Maroc, malgré cette situation alarmante, notre société n’évolue pas.

Ce constat n’est pas nouveau...

Peut-être que j’ai une grosse fatigue causée par le désespoir. Ce sentiment refait surface surtout qu’on je reçois des cas qui réduisent à néant des années de travail. Après un grand effort de sensibilisation, des mamans gardent leurs bébés, mais voilà qu’on est rattrapé par la réalité. Il y a quelques semaines, une fille est recalée d’un concours professionnel car elle est née sous X. Je ne suis pas la seule à faire ce constat. Elles sont nombreuses comme moi à se battre pour un Maroc meilleur. Sauf que d’autres sont en train de nous faire reculer vers l’arrière. Aujourd’hui, je tire la sonnette d’alarme. Depuis des années, nous attendons des lois en faveur de l’enfant et la famille, sans rien voir venir. Même la Moudwana de 2004 est une grosse déception sur le terrain judiciaire.

Peut-être parce que les ONG comme vous ont déserté le terrain du plaidoyer politique pour s’occuper du volet de la prise en charge des bénéficiaires ?

Pas du tout. Je passe un temps énorme à faire du plaidoyer. Je suis invitée régulièrement au Parlement, j’y vais et j’explose. En face, la réponse concrète des législateurs est absente.

Les islamistes au gouvernement vous ont-ils compliqué la tâche ?

Je ne jette la pierre à personne. D’ailleurs, la jurisprudence de la Cour de cassation sur « l’enfant illégitime », ce n’est pas un texte du PJD. Concernant, ma relation avec Bassima Hakaoui, elle est normale. Nous n’avons pas postulé pour l’appel d’offre de son ministère car la problématique des femmes célibataires ne figure pas parmi les thèmes proposés. C’est notre choix. Moi, je suis en colère contre les députés, le gouvernement et plus généralement contre l’hypocrisie sociale au Maroc. Tout ça me fait mal, très mal.

Y a-t-il un point d’espoir dans ce tableau noir ?

Je me dis que notre grande réussite à l’ASF, c’est d’être rentré dans les foyers marocains, grâce aux médias. Peut-être qu’en les secouant, on va arriver à changer les mentalités.

L’association a des difficultés de financer ses programmes. La pérennité de ses projets est-elle en danger ? Nos bailleurs de fond internationaux ont soit terminé leur programmes soit quitté le Maroc à cause de la crise économique. Des projets comme le centre de remise en forme est sensé apporter de l’argent, sauf qu’il n’apporte pas autant d’argent qu’il le faut. La raison c’est la hausse continue du carburant. Tous les gouvernements qui se sont succédés l’ont fait et celui là est le champion dans l’augmentation des prix de base. On continue à tenir le coup grâce au chèque du prix Opus. Un montant qui devrait être destiné à la construction d’un troisième centre permettant d’assurer notre totale autonomie. Maintenant, la porte est ouverte aux dons.

Comment auriez-vous agi suite aux comportements des adolescents de Nador poursuivis pour avoir publié une photo de leur baiser sur les réseaux sociaux ?

Je suis contre leur arrestation et contre toute méthode abrupte. J’aurai expliqué à ces enfants les risques d’un tel acte dans une société comme la notre. Et ainsi éviter des poursuites judiciaires et toute cette tempête médiatique. Maintenant, ces enfants subiront les séquelles de cette affaire. Psychologiquement et sexuellement, ils ont été brisés. À l’ASF, nous sommes bien placés pour parler de ce type de cas. Aux yeux de la société, les filles que nous recevons ont gaffé et il faut les réhabiliter. Pour toutes ces raisons, il faut introduire d’urgence des programmes d’éducation sexuelle pour les enfants.

ASF

Les dates clés

1985 Création de l’ASF

1988 Ouverture du centre Tizi Ousli à Ain Sebaâ

1999 Ouverture du centre de Palmier, mise en place du centre d’écoute

2004 Ouverture du centre de remise en forme

2000 Ech-Channa reçoit la Médaille d’honneur du roi Mohammed VI

2005 Publication de l’étude «Grossesses de la honte» Soumaya Naamane

Guessous, Chakib Guessous et l’ASF

2009 Ech-Channa reçoit l’Opus Prize (USA) et le Prix Dona d’el Ano (Italie)

2013 Ech-Channa reçoit la Légion d’honneur de la république française