Guillaume Jobin :  «maintenant c’est le Maroc qui gère la France et non le contraire»
Guillaume Jobin, u00e9crivain et pru00e9sident de lu2019u00e9cole supu00e9rieur de journalisme de Paris.

«Le Roi, le Maroc de Mohammed VI» est le dernier ouvrage de Guillaume Jobin consacré au Royaume. Le président de l’École supérieure de journalisme de Paris a co-écrit ce livre avec la journaliste Valérie Morales-Attias.

Dans cet ouvrage de 260 pages publié chez «Descartes & Cie», à Paris, les deux auteurs reviennent sur les temps forts qui ont jalonné le règne de Mohammed VI. Ils ne cachent ni leur admiration pour le Roi ni leur amour inconditionnel pour le Maroc, leur pays de cœur et d’adoption. Les deux observateurs en seraient, c’est un comble, presque, chauvins ! Si les deux écrivains encensent la diplomatie du Roi et la politique étrangère du pays ; ils sont en revanche plus critique avec la politique interne du Maroc et ses soubresauts.

Guillaume Jobin dénonce notamment des partis de «notables» qui auraient, selon lui, non seulement «échoué à imposer et défendre l’action royale mais également à évincer le PJD». Pendant un entretien d’une heure dans sa maison à Rabat, le président de l’École supérieure de journalisme de Paris revient pour notre journaliste Noufissa Charaï, sur les principaux points développés dans son opus.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Êtes-vous d’accord pour dire que ce livre est avant tout une déclaration d’amour au Maroc ?

Guillaume Jobin : Ce livre révèle notre passion à Valérie et moi, pour le Maroc. Nous habitons au Maroc parce que nous aimons profondément ce pays. Nous essayons d’être honnêtes, car nous savons que nous ne pouvons pas être vraiment objectifs alors que nous vivons ici. Pour paraphraser Nicolas Sarkozy : «le Maroc on l’aime ou on le quitte».

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?

Les succès diplomatiques de Mohammed VI en Afrique nous impressionnent ! Dans le monde actuel, il y a deux personnages étonnants de manière positive : Mohammed VI et Vladimir Poutine. Je ne fais pas de parallèle entre les deux, mais ce sont deux hommes forts. Concernant le Roi, nous sommes impressionnés par plusieurs points : il a réussi à rallier la Russie à la cause du Sahara marocain, il négocie avec la Chine, il a inversé les rôles dans la relation avec la France. C’est-à-dire que maintenant, c’est le Maroc qui gère la France et non le contraire. Il dirige le Maroc avec brio au vu de la situation chaotique de la vie politique du pays.

Depuis votre arrivée au Maroc en 2008, votre regard sur le pays et le règne de Mohammed VI a-t-il évolué ?

Cela fait 11 ans que je suis au Maroc, dont 6 ans à temps plein. J’ai noté trois points : il y a une libéralisation réelle du Maroc. Aujourd’hui, au Maroc nous pouvons dire ce que nous voulons, il y a une réelle liberté. La seule ligne rouge depuis quelques temps, à mon avis, c’est le Hirak, le désordre public.

Deuxièmement, il y a une évolution économique manifeste et j’en veux pour preuve la prolifération des voitures au Maroc que la petite classe moyenne peut désormais acheter à crédit.

Le troisième point, ce sont « les activistes du clavier », c’est-à-dire la libéralisation de la parole notamment grâce aux réseaux sociaux et de la bourgeoisie marocaine qui critique sans modération le Royaume.

Vous rappelez la relation complexe qu’entretient le Maroc avec des pays communistes ou anciennement communistes. La question des provinces du sud est-elle l’unique raison qui l’explique ?

Pour l’Algérie, la question du Sahara est le seul moyen « d’embêter » le Maroc. Concernant le Venezuela ou l’Afrique du Sud, par exemple, nous sommes dans un réflexe marxiste que nous retrouvons chez la gauche et la presse françaises. Le Parti socialiste en France est en grande partie idéologiquement anti-Maroc, ils sont restés bloqués à l’époque de «Notre ami le Roi».

Paradoxalement, Cuba, véritable pays communiste, est prêt à se rallier à la position marocaine car il est sorti de cette logique tiers-mondiste. Factuellement, à part le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, tous les autres pays de culture marxiste historique se sont alignés sur la position marocaine.

Vous revenez également sur la relation Maroc-Espagne et vous précisez que le Royaume «passe sous silence» certaines affaires - la question de Ceuta et Melilla ou encore le problème des travailleurs agricoles saisonniers en Espagne - afin de protéger sa relation avec son premier partenaire économique. Cette stratégie vous parait-elle être la bonne ?

Je ne suis pas certain que ce soit stratégique de faire une guerre politique à l’Espagne sur ces questions. Au Maroc, avec la présence du Roi, il y a une continuité de la politique du pays. Or en Espagne, les forces politiques alternent. Résultat, la position espagnole n’est pas stable, car les interlocuteurs changent tous les 3 ans en moyenne. Le Maroc est à 15 kms des côte européennes, il a intérêt à se faire discret pour tirer profit au maximum de l’Union européenne et de ses ressources.

Vous estimez que dès 2007, avec le départ du président Jacques Chirac, la relation franco-marocaine a changé. Sur quels éléments vous basez-vous pour dresser ce constat ? Dans quel sens la relation a-t-elle changé ?

Tout le monde parle de Jacques Chirac, mais François Mitterrand soutenait aussi le Maroc. Pour Nicolas Sarkozy, le Maroc se limite à Marrakech. François Hollande, lui, était hostile au Maroc comme nous l’avons vu avec la crise franco-marocaine de 2014. Pour Emmanuel Macron, j’estime que le Maroc n’est pas un sujet prioritaire. Je ne dirai pas qu’il y a une dégradation de la relation franco-marocaine, mais c’est un peu comme un couple qui fait désormais «chambre

à part».

Plusieurs raisons expliquent le délitement de la relation : le Maroc a compris que la France ne servait plus de relai à Bruxelles, il a développé des relations bilatérales avec de nombreux pays y compris des pays parfois hostiles comme l’Afrique du Sud. Pour finir, la France fait l’erreur actuellement de voir le Maroc selon des intérêts économiques et non plus culturels ou autres comme autrefois.

Vous évoquez la présence des écoles françaises au Maroc, mais également les instituts. Le soft power français au Maroc perd-il néanmoins du terrain ? A qui cela profite-t-il ?

Personne ne s’inquiète de la disparition du français au Maroc, sans parler la darija, il est devenu très compliqué de communiquer au Maroc. Le problème c’est que cette disparition ne profite à personne et certainement pas à l’anglais comme le disent certains. Essayez de parler anglais dans les rues pour voir... (Rires) L’arabisation a été un échec, je l’ai constatée dans mon école de journalisme au Maroc : les jeunes aujourd’hui ne maitrisent ni l’arabe classique ni le français ! Ceux qui parlent bien français, je les envoie faire un master en France afin qu’ils intègrent des rédactions, pour inverser la tendance « algérienne » !

Je me sens très bien au Maroc, j’essaye donc à ma hauteur de rendre ce que ce pays me donne.

Concernant la politique arabe du Maroc, vous rappelez les liens avec les pays du golfe et notamment la position du Maroc sur la crise au Qatar. Pouvons-nous parler de courage politique dans cette décision ?

La position sur le Qatar relève évidemment du courage politique tout comme la décision de quitter la coalition saoudienne en guerre contre le Yémen. Pourtant, le Maroc «boucle ses fins de mois» notamment grâce à l’argent des Saoudiens et des Émiratis. Le pays doit composer avec ces Etats arabes tout en gardant son indépendance. Le Maroc n’est peut-être pas un pays très riche, mais il est un des plus civilisés au sens de l’histoire et de la culture.

Le retour du Maroc au sein de l’Union Africaine (UA) est une victoire. Cette stratégie est-elle payante selon vous par rapport au dossier du Sahara ?

Elle est payante indirectement car le Maroc a décidé que cette question ne serait pas tranchée par l’OUA, mais plutôt à l’ONU, l’instance finale. Mais en réintégrant l’instance africaine, nous constatons aussi une expansion économique, culturelle et religieuse du Maroc en Afrique.

L’ambassadeur marocain en Côte d’Ivoire fait un travail remarquable : le pays qui était un pré carré de le France en Afrique est devenu celui du Maroc !

Vous rappelez l’échec du grand Maghreb, croyez-vous davantage en l’intégration du Maroc à la CEDEAO ? Le marché commun et une éventuelle monnaie unique sont-ils une chance pour le Maroc ?

Je pense que le marché commun du Maghreb reste indispensable. En revanche, je pense qu’une monnaie unique aurait plus de sens avec les pays de la CEDEAO. Personnellement, je crois en ce projet et ne vois pas le nationalisme populaire marocain comme un obstacle à la monnaie unique. Je pense que le gouvernement doit parler de cette monnaie comme d’un « dirham CFA ».

Le dirham est une monnaie très stable et les pays d’Afrique de l’ouest pourront en profiter. Parallèlement, il faut développer la langue française, seul moyen pour ces pays de communiquer.

Le Roi a voulu faire du Maroc un pôle universitaire en Afrique. Comment mieux intégrer ces étudiants et éviter qu’ils soient « ghettoïsés» comme en France ? Avez-vous l’impression que la société marocaine est prête à assumer son « africanité » ?

Avant, l’Afrique au Maroc signifiait dans l’esprit des gens «l’étage du dessous». Le discours officiel commence à se traduire dans la réalité, les Marocains revendiquent désormais leur «africanité». Le racisme comme en France, c’est avant tout un problème économique. Les élites marocaines, les étudiants et les commerçants ont aussi un rôle à jouer. Dans un monde idéal, les Marocains devraient se sentir autant africains qu’arabes, mais aussi européens, sans oublier leur composante amazighe.

La fondation MVI pour la formation des oulémas est-elle une forme de soft power du Maroc en Afrique ?

Ce que j’observe avec les Maliens ou les Sénégalais, par exemple, c’est qu’ils parlent de cette fondation comme une référence. En revanche, lorsque j’étais au Sénégal récemment, j’ai constaté qu’il y avait de nombreuses mosquées construites avec des minarets ronds et non carrés ce qui correspond à l’architecture du Moyen-Orient et non à celle du Maghreb. L’argent venant donc du Qatarou de l’Arabie saoudite est encore très présent sur le continent, or l’influence du Maroc en Afrique se fait sans argent et cela fonctionne très bien !

Un homme de l’Église catholique est obligé de respecter la ligne officielle du Vatican, il faut en faire de même avec les imams au Maroc ! Il faut un contrôle très strict pour assurer le développement de l’islam marocain malékite, et c’est le travail du ministère des Habous. En Turquie par exemple, pour avoir le droit de faire l’appel à la prière il faut passer un examen de chant. La dimension esthétique compte également dans l’imprégnation religieuse.

Vous avez refusé de prendre position sur l’affaire Hajar Raissouni qui a mobilisé une partie de la société marocaine, pour quelle raison ?

Malgré les pressions, je n’ai pas voulu signer la pétition pour l’avortement, car elle est destinée à être présentée au Parlement, or je ne suis pas citoyen marocain. Je n’aimerais pas qu’un Marocain sans passeport français se mêle de la politique intérieure en France. Concernant le cas particulier de madame Raissouni, je ne me suis pas exprimé car j’estime ne pas disposer (encore) de suffisamment d’informations.