Harvey Keitel « Je suis toujours à la recherche d’authenticité »

Propos recueillis par Kawtar Firdaous

Venu converser avec le public et les professionnels du cinéma à Marrakech, le légendaire acteur américain, découvreur de talents et figure iconique du cinéma indépendant partage avec nous son penchant pour le cinéma authentique et sa passion pour les mots. 

Ami de longue date de Martin Scorsese et de Robert de Niro, il incarne avec brio le rôle d’Angelo Bruno, -un chef de la mafia aux USA (entre 1959 et 1980)-, dans The Irishman, le dernier film signé Scorsese qui vient d’être projeté au Festival International du Film de Marrakech.

Comment choisissez-vous vos rôles ? Quels sont vos critères pour repérer le bon personnage à incarner ?

Imaginez que vous allez à une soirée où il y a plein de monde, hommes et femmes, vous voyez une belle femme sur laquelle vous flâchez de suite et vous vous dîtes c’est la bonne. C’est la même façon pour les rôles. Il faut bien sûr que l’histoire me plait, ce qu’elle a à raconter, sinon, c’est juste une perte de temps. 

Est-ce que votre approche de travail a changé avec le temps ou est ce votre méthode est toujours la même ?

C’est sûr, je suis meilleur maintenant en comparaison à mes débuts. J’ai toujours veillé à être authentique, vrai et honnête sur scène. Plus on acquiert de l’expérience, plus on devient authentique. Ceci étant, je continue toujours à progresser. 

Vous avez accepté le 1er rôle dans « Reservoir dogs » , le 1er film de Tarantino (1992). Pourquoi avoir cru en lui à cette époque et accepté de le soutenir ?

Quentin Tarantino est un réalisateur talentueux, son travail est génial, d’une beauté incroyable, quand vous voyez ce qu’il fait, vous voulez être avec lui dans chaque projet, il est à mi-chemin entre le paradis et l’enfer et c’est juste fascinant.

Pourquoi avoir accepter de jouer dans « Just Noise » qui va sortir en 2020 ?

D’abord, parce que j’ai été ébloui par la qualité du script et j’ai été séduit par la force et la poésie des mots du jeune écrivain super talentueux, Jean-Pierre Magro, je trouve que ses écrits, sont comme un poème épique de la révolution. J’ai aussi découvert le réalisateur italien David Ferrario qui est juste incroyable ! L’histoire est brillante, c’est une combinaison mêlant à la fois drame, action et passion, un chef d’œuvre à propos de la révolution des Maltais contre l’Empire britannique en 1919, et puis, il y avait aussi Malcom McDowell pour qui j’ai beaucoup d’estime.

Vous avez toujours collaboré avec de jeunes réalisateurs, des Européens comme Bertrand Tavernier (Mort en direct)…Est ce qu’il y a une différence quand vous travaillez avec des Européens et des partenaires de vie comme Martin Scorsese (Who’s That knocking ?, Mean Streets, Taxi driver, Irishman…) ?

Il y a tellement de réalisateurs talentueux dans le monde, ils ont tous un point en commun : peu importe la langue qu’ils parlent, leur travail doit avoir un rapport avec l’être, la personne, …J’ai été chanceux de travailler à plusieurs d’entre eux, j’aime leur sens d’humour, leur bonté de cœur, leur passion et leur engagement par rapport à ce qu’ils font et surtout leur côté authentique. Vous savez, je n’ai jamais réellement chercher à travailler avec des réalisateurs très reconnus, j’aime plutôt l’expérience des mots, une expérience de vie qui me donne l’impression d’apprendre quelque chose sur ce que je suis, où je vais et comment y arriver. 

Ce qui fait le génie de Martin, c’est qu’il vous surprend en permanence avec ses impros. On avait des relations pratiquement familiales, il venait d’Italie, moi je venais de Brooklyn, mais on avait tellement de points communs. On est vraiment devenu des amis très proches instantanément. C’était important pour moi de faire partie du film « The Irishman ». J’ai beaucoup apprécié la scène que j’ai eu avec mon ami de longue date Robert de Niro, elle a été très bien rédigée et on s’est beaucoup amusé pendant le tournage. 

Dans « Painted Bird » de Vaclav Marhoul, projeté au dernier Festival de Venise, une film plutôt dur, qu’est ce qui vous intéressé dans le fait d’explorer ce côté sombre de la nature humaine ?

C’est un film brillant, une adaptation du roman L’Oiseau bariolé de Jezy Kosinski, je pense que c’est l’un des meilleurs qui a été écrit jusqu’à maintenant. Le film ça a pris des années à Marhoul pour le réaliser, et il n’a jamais lâché.  Quand Vaclav m’a montré le scénario, j’ai adoré, le livre est génial, c’est vraiment le livre qu’il faut lire si on veut avoir un rancard avec une fille aux USA ! La photographie du film est d’une beauté époustouflante. Vaclav a fait du bon boulot, c’est ce genre de films auquel j’aime être associer, c’est pour cela que je fais des films, j’aime aider pour que ce genre de projets voient le jour. C’est un film d’une véracité et d’une authenticité inouïes et qui a été bien accueilli par la critique internationale ! 

Est-ce que vous croyez au pouvoir de l’art ? Est-ce que les films peuvent vraiment changer les choses ou sont-ils là juste pour nous divertir ?

Absolument. Les films peuvent changer la vie et vice versa, il n’y a aucun doute là-dessus.

Vous aviez dit il y a quelques années qu’il y avait un démon et un ange qui se disputaient à l’intérieur de vous. Qui a pris le dessus ?

Il n’y a pas de gagnant ou de perdant, je pense qu’ils sont en quelque sorte connectés. 

Quelle leçon de vie pouvez-vous partager avec nous en tant qu’acteur ?

Un mot me vient à la tête et que je n’arrête pas de répéter à mon fils : étudie, étudie, étudie : la littérature, le théâtre, la musique, l’art…prends tout ce que peux dans chaque art, il y a beaucoup de signification, ou pas, ils ne comportent pas forcément une réponse totale à certaines choses, mais en partie, et peut être.

« La leçon de piano » de Jane Campion a été classé 1er du Top 100 des films réalisés par des femmes organisé par BBC Culture (en 2019). Comment avez-vous trouvé le fait d’être dirigé par une femme ?

C’était génial. Je me suis dit : je préfère me disputer avec une réalisatrice plutôt qu’un réalisateur ! 

Que signifie pour vous le fait d’être un acteur ?

C’est une façon de vivre sa vie et j’ai choisi cella-là. J’ignore qui a choisit l’autre, mais je suis là et je suis très chanceux de faire ce métier. J’ai toujours pensé que l’analyse du texte et des mots, c’est ce qui fait l’éducation d’un acteur.

Quel regard portez-vous sur le devenir du cinéma hollywoodien ?

Hollywood a besoin d’être réformé pour trouver un souffle créatif. Il fut un temps où les grands studios portaient l’art et où l’industrie du cinéma essayait de trouver de jeunes nouveaux réalisateurs, cela a malheureusement disparu !