Les secrets d'un mariage

A chaque fois que l’Accord de libre-échange liant le Maroc à la Turquie est remis en cause, le PJD marocain s’agite. Ses réactions épidermiques suscitent la curiosité. Pourquoi le parti de la Lampe fait-il de la Turquie SON affaire? Et dans quel intérêt ?

Par Mohammed Zainabi

Les chiffres sont plus têtus que les hommes politiques. Chaque année, le Maroc accuse un déficit de 2 milliards de dirhams avec la Turquie à cause de l’Accord de libre-échange (ALE), déséquilibré, qui le lie à ce pays. Pire, pour la même raison, selon des chiffres officiels, les pertes d’emplois dans le secteur du textile dans le Royaume sont passées de 14.000 en 2014, à 44.000 en 2019.

Il a suffi que Moulay Hafid Elalamy révèle récemment ces données - parmi d’autres - à la Chambre des représentants, et de menacer de déchirer l’ALE avec la Turquie, pour que les PJDistes ressortent les armes. Ils l’ont déjà fait début 2018, quand le ministère du commerce extérieur avait levé les exonérations accordées aux Turcs en vertu de l’ALE sur le produit fini d’habillement et les textiles de maison (tissu d’ameublement, tapis et couvertures).

Après l’application depuis le 1er janvier 2020 de la taxation à 27% des importations de produits finis textiles en provenance de Turquie et la récente sortie de Moulay Hafid Elalamy au parlement, les députés du parti de la Lampe se sont indignés séance tenante. Leurs hauts responsables se sont ensuite relayés, par voie de presse et à travers le site du PjD, pour « contre-attaquer ». Les uns et les autres ont crié à l’instrumentalisation politique de ce dossier par le Rassemble national des indépendants (RNI) dont est issu le ministre de l’Industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique.

Les parlementaires PJD, comme leur ancien ministre du budget, Driss Azami, et leur ancien secrétaire d’Etat au Transport, Najib Boulif, ont tous avancé le même argument : « Le déficit du Maroc est beaucoup plus important dans ses ALE avec l’Union européenne, les États-Unis et même avec la Chine qui opère en dehors de tout accord, pourquoi donc viser uniquement le déficit avec la Turquie ? ».

Là encore, les chiffres sont têtus et Moulay Hafid Elalamy en a présenté une longue série (Voir infographies et lire encadrés), en réponse aux attaques des PJDistes. Sauf que ces derniers ont bouché leurs oreilles face à ces explications, qui montrent clairement que les déficits enregistrés dans le cadre des autres ALE sont compensés notamment par des investissements directs, des créations massives d’emplois, voire par des dons financiers.

Ne voulant rien savoir, certains PJDistes ont même ramené le débat sur le partenariat du Maroc avec la Turquie au sein de leur parti. Il y a une « position de principe » du PJD concernant le pays d’Erdogan, nous confie un ancien membre du parti marocain de la Lampe qui connaît cette formation politique de l’intérieur. Pour lui, le PJD marocain et le PJD turc sont liés par une historique « fraternité idéologique ». Il trouve donc naturel que les députés et les dirigeants du parti marocain de la Lampe s’érigent en défenseurs invétérés des intérêts turcs dans le Royaume.

Il nous a fallu vérifier ces intrigantes assertions auprès de différentes sources au Maroc et en Turquie, pour en tirer des informations avérées.

Mariage secret entre PJD marocain et PJD turc

Certaines traces des « mémoires » du Parti marocain de la justice et du développement (PjD) et son homonyme turc (Adaletve Kalkınma Partisi ou AKP, parti de la justice et du développement en langue turque) montrent que les liens de ces deux formations politiques islamo-conservatrices dépassent, et de très loin, la seule ressemblance de nom et de symbole (la lampe).

C’est le PJDiste al-Mokri Abou Zayd, qui l’a révélé en 2012 : des membres de « Fazilet Partisi », parti de la vertu dissous en juin 2001, avaient rencontré à cette période certains de leurs « frères » du PJD marocain avant de fonder en août 2001 leur propre PjD (AKP), sous la conduite de Tayeb Recip Erdogan. Sans entrer dans les détails, l’ancien secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane, avait confirmé cette information en septembre 2014 à nos confrères de jeune Afrique en se vantant de l’influence de son parti sur son homologue turc pour éviter de parler de l’influence dans le sens contraire.

En remontant l’histoire des deux partis, on remarque aussi que le PjD marocain a pour matrice idéologique le Mouvement unicité et réforme (MUR), exactement comme l’AKP a pour source doctrinale Milli Görüs (Vision Nationale). Le principal dénominateur commun des deux mouvements est d’être l’émanation des Frères musulmans.

La preuve que le MUR et Milli Görüs étaient en relation a été donnée à travers cette information ayant défrayé la chronique en octobre 2016. Elle concerne une réunion secrète qui a été tenue mardi 20 septembre au Centre maghrébin des études à Istanbul en Turquie entre des leaders des Frères musulmans et le membre du MUR, ZouhairAttouf. Il y aurait été question d’une demande de soutien médiatique et financier présentée par le PjD marocain à ses « frères » turcs. Les PjDistes ont reconnu la présence de Attouf à cette réunion, mais ont récusé l’existence d’une quelconque demande.

Cinq ans avant cette réunion controversée, la jeunesse du PJD marocain a signé, officiellement, un accord de coopération avec la jeunesse de l’AKP. C’était en mai 2011. Le signataire est Mustapha Baba, qui était secrétaire général des jeunes PjDistes marocains au moment des faits. En cette qualité, il participait à un évènement international organisé par les PjDistes turcs en présence de Recep Tayyip Erdogan, alors premier ministre. Driss Bouanou, responsable à ce moment-là des relations étrangères de la jeunesse du PjD était lui aussi de la partie. Ce même Bouanou, devenu plus tard député du parti de la Lampe, est parmi les nombreux PjDistes qui ont suivi ou qui suivent encore leurs études supérieures en Turquie. Voilà qui nous ramène vers une autre facette des liens qu’entretiennent les PjD marocain et turc.

Machine turkménisatrice

Différentes sources bien informées, dont certaines avaient résidé pendant longtemps en terre turque et d’autres y résident encore, ont toutes confirmé que plus de 90% des jeunes marocains qui bénéficient de la bourse d’étude en Turquie sont proches du PjD marocain. Dans la longue liste des illustres bénéficiaires on trouve, en plus de Driss Bouanou (frère de Abdellah Bouanou), Najm Eddine El Othmani, fils de l’actuel secrétaire général du PjD, Saâd Eddine El Othmani. El Othamni junior était le camarade de classe de Mosaab Hamdaoui, fils du député PjD et ancien président du Mouvement unicité et réforme (MUR), Mohamed Hamdaoui. Hamdaoui junior était même devenu, pendant longtemps, le plus grand pourvoyeur des universités privées turques en étudiants marocains en contrepartie de généreuses rétributions. C’est pour cela qu’il a créé le Centre Córdoba pour l’Éducation à l’étranger. A l’étranger veut dire exclusivement Turquie, et c’est ce qu’on déduit en lisant le « Mot du président » de ce Centre publié sur le site « cordobaeducation.com ». Mosaab Hamdaoui précise bien, en illustrant son mot par une photo en costume cravate bleus :

« Notre objectif principal à Cordoba Center, ou plutôt l’héritage que nous nous efforçons de laisser derrière elle, c’est l’importance de façonner les jeunes esprits ». Il ajoute plus loin : « Nous avons choisi d’entrer dans ce champ de services parce que les générations à venir seront celles qui nous guideront vers le développement, et pour que cela se produise, ils doivent être capables d’assumer cette responsabilité. L’apprentissage est l’outil ultime vers cette réalisation. Parallèlement à ces derniers, le renforcement de la coopération entre le Maroc

Article 12 - « Mesures de sauvegarde spécifiques » : « Sans préjudice des autres dispositions du présent accord et, en particulier, de celles de l’article 22, et vu le caractère particulièrement sensible des produits agricoles, mentionné à l’article 9, si les importations de produits originaires d’une Partie, faisant l’objet de concessions accordées en vertu du présent accord perturbent gravement les marchés de l’autre Partie, la Partie concernée peut prendre des mesures appropriées dans les conditions et conformément aux procédures énoncées à l’article 22 du présent accord ».