CORRUPTION Le matc h perdu du foot marocain

TRANSPARENCE Le foot marocain est secoué par un scandale de truquage de matchs. L’affaire du match Raja sportif de Béni Mellal et KAC de Kénitra lève le voile sur un tabou du sport marocain. Les explications.

«Notre championnat n’est pas transparent. Je défie quiconque qui affirme le contraire», lance, furieux, Abderrafiî Karoumi, l’ex-président du Raja sportif de Béni Mellal (RBM). Ce dirigeant rompt le silence assourdissant sur la corruption dans le monde du football. Avec le dopage, les finances des clubs, la corruption dans le milieu sportif est parmi les secrets bien gardés de cet univers. Dirigeants de clubs, footballeurs, arbitres, agents de joueurs font la stratégie d’autruche. Ils refusent de répondre à toute question relative au système de corruption à l’oeuvre depuis des années dans le football marocain. Chacun d’eux se renvoie la balle. Le procès opposant l’équipe du RBM à quatre de ses joueurs, accusés de «corruption et de négligence» a permis aux langues de se délier.

Le foot au Tribunal

Le 10 octobre au Tribunal de première instance de Béni Mellal s’ouvrait le procès très attendu opposant RBM à quatre de ses joueurs accusés de trafic du résultat du match RBM/KAC de Kénitra du 26 mai 2013. Un match qui s’est soldé par la victoire du KAC par 4 buts à 0. La Police judiciaire enquête durant tout l’été avec lesdits joueurs du RBM, un intermédiaire présumé, un joueur du KAC et le président du même club. Le juge d’instruction décide de poursuivre cinq accusés en liberté provisoire et une personne en détention. Récapitulons : Le président du KAC aurait versé un chèque d’un montant de 340 000 DH par l’intermédiaire d’un de ses joueurs à quatre footballeurs de Béni Mellal afin de faciliter la tâche à son équipe.Ces joueurs auraient fait preuve de négligence pour faire perdre leur propre équipe, lors de la 29ème journée de la Botola. La victoire du KAC lui a permis de conserver ses chances de maintien dans la Botola Pro1. En plus du chèque, des conversations téléphoniques passées entre les joueurs et un intermédiaire s’ajoutent aux pièces à conviction. À la demande du KAC, le juge a décidé de déplacer le procès au Tribunal correctionnel de Casablanca. L’objectif étant de garantir un procès équitable, loin de la pression populaire. Le procès ne fait que commencer, laissons la justice dire son mot…

Modus opérandi

Retour sur le terrain footballistique. Un président de club de Deuxième division (D2), qui a requis l’anonymat, lève le voile sur le modus opérandi de la corruption dans le football. «Les méthodes sont sophistiquées. Fini le temps de l’argent comptant et des appels téléphoniques entre joueurs et intermédiaires. Pour truquer le résultat d’un match, certains agents de joueurs véreux disposent d’une écurie de footballeurs dans chaque club qui se mettent à la disposition du plus offrant», révèle ce dirigeant. Les pots de vins peuvent atteindre le million de DH, spécialement en fin de saison, quand la «bourse» des matchs s’envole. «Le KAC a fait un bon deal en ne payant que 340 000 DH pour acheter un match décisif. Un match pareil, ça se monnaye minimum à 500 000 DH», ironise notre président. À la veille du fameux match du 26 mai, Karoumi, le président du RBM, a des soupçons sur l’intégrité de ses quatre joueurs.Il demande à l’entraîneur du club de ne pas les aligner. Malgré cet avertissement, le jour du match, ils sont titularisés ! «Pourquoi aligner des joueurs qu’on soupçonne de vouloir trafiquer le résultat ?», s’interroge Adil Oumari, journaliste et directeur du site d’informations sportives Jinigoud.ma. Et d’enfoncer le clou : «Le foot marocain est pourri. Pourquoi ce silence sur le résultat douteux du match en D2 entre Tanger et Khémissat ?» Le trafic de matchs se fait en échange d’argent entre joueurs et président ou entre présidents de clubs. «Deux présidents de clubs amis ou affiliés à un même parti politique s’échangent les amabilités et les matchs», avance notre journaliste. Mourad Fellah est membre de l'Association marocaine des footballeurs exinternationaux (AMFEI). Il y a quelques années, il faisait le bonheur des clubs du MAS et du WAC. En 2007, il a été accusé de négligence dans un match de D1. «À la fin de cette rencontre, j’avais marqué le but de la victoire pour mon club le WAC contre le MAS. Le destin a voulu que je fasse taire les rumeurs de la plus belle des manières», se remémore cet arrière droit. Sur la corruption dans le foot, il tient à tempérer : «La rumeur infeste le foot marocain et le public la subit. Certes, il y a des pratiques malsaines à combattre mais tout n’est pas noir». Des intermédiaires polluent les entourages des équipes. Ils rôdent autour des dirigeants et leur promettent de leur faire gagner des matchs. Ils empochent des sommes d’argent. «En réalité, les tentatives de ces personnes de corrompre les joueurs échouent. Ces personnes exploitent la situation de faiblesse de certains clubs pour leur soutirer de l’argent». Hassan Moumen, entraîneur et manager national, pense pour sa part que «la présence des médias dans les stades et l’émergence d’une génération d’arbitres honnêtes ont permis de faire baisser ces pratiques».

Transparency Maroc rentre en jeu Chaque saison, les rumeurs et les déclarations font le chou gras de la presse sportive. Dernière polémique en date, celle d’Amin Erbate, ex-capitaine du Le Raja Club Athletic (RCA). Sur les colonnes d’Al Massae Arriyadi, le défenseur prétend dévoiler, sans apporter de preuves, le système bien huilé de corruption dans le monde du football. Verbatim : «J’ai moi-même donné de l’argent à certains joueurs de clubs adverses pour nous permettre de gagner. J'ai accepté de jouer des rôles vils et bas par amour pour le Raja». Rappelons que les Verts sont vainqueurs de la Botola Pro 1 saison 2012-13 et de la Coupe du trône. Les déclarations de ce joueur ont eu un effet de bombe dans le milieu sportif. Outrés, les dirigeants du Raja ont décidé de poursuivre en justice leur ex-joueur. Ils lui réclament 10 millions de DH de dommages et intérêts pour le préjudice subi, suite à sa sortie. Le procès s’est ouvert le 28 octobre, il a été reporté au 25 novembre prochain. Transparency Maroc s’invite aussi dans cette affaire. L’association de lutte contre la corruption exige du Ministre de la jeunesse et des sports d’ouvrir une enquête suite aux déclarations de l’ex-capitaine du Raja. La sortie d’Erbate s’ajoute à celle de Mustapha Lamrani en juin 2013, ce défenseur de l'AS FAR n’avait pas mâché ses mots sur l'éthique sportive dans le championnat marocain : «On sait comment le titre du champion du Maroc se gagne, et ce n’est pas sur le terrain. Les dix derniers titres - sauf celui acquis par le Moghreb Tétouan en 2010- 2011 - ont été acquis par des clubs qui ont de l’argent». Venant d’un joueur de l’AS FAR, c’est le tollé général. Quelques jours après ces déclarations, le joueur change de fusil d’épaule. «Mes propos ont été mal interprétés », se désiste-t-il.

La Fédération hors jeu ?

Arrive l’affaire RBM/KAC. Pour la première fois la justice est saisie pour se prononcer sur un cas de fraude. La Fédération royale marocaine de football (FRMF), à travers ses organes juridictionnels, planche sur le dossier. «Cette affaire est un précédent dangereux dans le foot marocain. C’est un scandale qui fait mal à la FRMF et au foot. Nous allons se constituer partie civile dans cette affaire», s’enflammait Ali Fassi Fihri, président sortant de la FRMF en ouverture de l’Assemblée générale extraordinaire tenue le 31 août dernier. Malgré ces promesses, les dirigeants mellalis regrettent «l’attentisme » du bureau fédéral dans ce dossier. «La FMRF dispose de son propre tribunal qui peut statuer sur l’aspect sportif du dossier et décider la relégation en D2 du club fautif. Ce manque du courage et de détermination de la part de la fédération coûtent cher au foot marocain. C’est un mauvais signal qu’on donne aux tricheurs», s’inquiète Karroumi, le dirigeant de la RBM. Au rythme de la justice marocaine, le verdict final dans cette affaire ne devrait être connu qu’après plusieurs mois, soit vers la fin de la saison footballistique.

Histoire

Le match perdu 22 buts à 0 !

La saison 1968-69 a connu un premier cas de trafic de matchs. Pour le compte de la dernière journée de la D2, l'Union Sportive Musulmane d'Oujda perd son match contre l’Ithihad zémouri de Khemissat avec le score de 22 buts à 0. Un match opposant Barid Mohammedi de Rabat et le Wydad de Fès se termine sur le score de 16 à 0 pour l’équipe de la capitale. L’équipe d’Oujda et de Rabat devaient gagner pour assurer une place en D1. Suite à ces scores fleuves, la FRMF décide de suspendre les clubs de toutes les compétitions pour une année et les reléguer en division amateur.