« Le sarcasme est une forme de déni » 

 

Entretien avec Mohsine Benzakour Psycho-sociologue

En rire du Corona et de la menace qu’il représente serait en fait une forme de déni. Un humour qui cache une peur refoulée et une panique sous-jacente face au danger. C’est l’avis du spécialiste.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique: Est-ce dans la nature humaine d’affronter les catastrophes et les crises par le sarcasme et l’ironie ?

Mohsine Benzakour : 

Le sarcasme et l’ironie représentent en effet une façon comme une autre de s’exprimer, et derrière laquelle se cache une surévaluation de la réalité. Explication : Quand on est en face d’un danger ou d’une situation qu’on n’arrive pas à comprendre, à cerner, à maîtriser ou à surmonter, on a tendance à exagérer les choses et à leur donner une dimension bien loin de leur véritable taille. Pour les personnes qui ironisent à propos de catastrophes ou des crises, le sarcasme constitue en effet leur seul moyen pour « appréhender » la situation. Ils sont souvent à cours d’informations exactes et précises, ils manquent de données scientifiques susceptibles de les éclairer quant à l’épidémie, s’agissant du Corona. Et souvent, ils sont réticents par rapport à ces données. Ils se réfugient du coup dans la surévaluation de la réalité et tentent de s’y accommoder en tournant le sujet de leur crainte, en dérision. Une manière d’alléger et de surmonter cette peur cachée et refoulée, car pas encore prêts à l’accepter et à accepter l’éventuel danger représenté par le virus et la maladie. Le sarcasme ici n’est autre qu’une peur déguisée.

L’humour et l’autodérision sont-ils

de bons remèdes anti-panique ?

L’humour et l’autodérision ne sont pas,  bien évidement, des remèdes anti-panique. Tout au contraire, c’est une fuite en avant, un déni et une manière de se cacher la face. Ces personnes là croient à tout et à n’importe quoi, ce qui attise leur peur. Une peur qu’ils s’efforcent de cacher et de déguiser en nonchalance. Face à des situations de crise, un être humain essaie de s’adapter et de trouver des sorties logiques. Quand la raison n’y est pas et que l’on est dans un processus de déni, on va explorer ces issues autrement ; en tournant en dérision la source du danger, en commençant à croire à des mythes, en atteste les charlatans et guérisseurs qui prolifèrent actuellement sur les réseaux sociaux en prétendant détenir le remède anti-Corona, en développant des jugements et des préjugés racistes, en s’adonnant à des comportements impulsifs et démesurés tels la ruée vers les marchés pour faire des achats en masse. Pire encore, on peut même s’aventurer à entreprendre des gestes imprudents comme ces personnes qui se sont ruées vers l’hôpital Moulay Youssef, à la suite de l’annonce du premier cas, pour voir le premier malade touché par le Corona.  Une tentative maladroite de se rassurer en bravant leur propre peur et en refusant de l’accepter.

Dans le contexte marocain et au temps du Corona, est-ce une forme de déni du danger ou au contraire du pur courage ?

C’est loin d’être du courage. C’est justement une peur refoulée et une panique sous-jacente. Pour qu’il y ait un retour à la stabilité émotionnelle, il faut d’abord un retour à une prise de conscience de sa propre peur. Et c’est là le rôle des médias et autres canaux de communication : Apaiser les esprits et les tranquilliser tout en les préparant à accepter la situation avec tout ce qu’elle représente. Cet apaisement peut se faire en diffusant des informations positives en parallèle avec celles négatives. Il faut annoncer les chiffres des survivants comme on annonce ceux des morts et des touchés. Raconter les histoires de gens ayant survécu à la maladie et échappé à la mort même si touchés. L’objectif étant de donner espoir et de permettre à ces personnes de reconnaitre finalement leurs craintes tout en prenant conscience que la mort n’est pas la seule issue et qu’une vie est possible après le Corona.

Pour les autres, ceux qui n’apprécient guère cet humour et le jugent déplacé, auront-ils un problème d’adaptation aux situations difficiles ou ce sont juste des gens qui n’ont pas le sens de l’humour ?

A vrai dire je ne peux pas les juger dans ce contexte précis, car il faut les voir dans des situations « plus ordinaires » pour pouvoir en savoir plus. Ceci dit, cette attitude là peut également dénoter une autre forme de peur et d’expression de cette peur. En adoptant une attitude « sérieuse », dans une situation de crise, ces personnes  jugent que c’est la meilleure manière d’appréhender les choses car, selon leur raisonnement, « les conditions ne se prêtent guère au badinage ». Parfois même, leur incapacité de comprendre et d’accepter « l’humour déplacé » des autres devant une crise ou une catastrophe, se transforme en une grande irritabilité. Autant ils sont irrités, autant leur peur est grande. Leur énervement des blagues et des trolls « déplacés » est proportionnel à leur propre panique. S’ils commencent à insulter et à attaquer les « plaisantins du Corona », c’est qu’ils n’arrivent plus à contrôler leur peur qui gagne du terrain et qui est provoquée davantage par la nonchalance des autres.

Entre ces deux attitudes extrêmes, la seule chose à retenir en ces temps particuliers c’est de rester serein et calme. Ne pas refouler sa peur, l’accepter et s’adapter car au bout d’un certain moment, elle reviendra au galop et elle va exploser en trouvant une issue d’expression « erronée » en provoquant la psychose. Les scientifiques s’accordent sur l’effet notable du psychique sur le physique. Un psychique mal au point réduit largement l’immunité du corps et le fragilise pour en faire une proie facile à toute sorte de maladies, y compris le Corona. Sans Excès, sereins et raisonnables, nous devons nous comporter comme un chauffeur de voiture qui expérimente une violente glissade au bout du gouffre. Pour remettre son véhicule sur la bonne voie, il doit le manier avec calme et ne surtout pas perdre son sang froid.

Sa survie en dépend amplement.