CORONA : Le grand défi du E-Learning

L’heure est grave et les familles marocaines affrontent pour la première fois une situation de crise tout à fait inédite. e-Learning, télétravail, confinement… comment les citoyens gèrent-ils la situation ? Comment s’adaptent-ils avec un mode de vie aussi particulier ?

Lundi 16 mars 2020. Il est 9h30, dans cet appartement du quartier Salmia II à Casablanca, Nour, 12 ans, à peine son petit déjeuner pris,  manie la télécommande en essayant  de trouver la chaine Attakafia. Il veut suivre les cours de première année du collège. Mais il n’arrive pas à trouver les programmes adéquats malgré l’aide de sa grand-mère. Pour le moment, ce sont des cours de langue  arabe du Baccalauréat qui sont diffusés. Désorienté, il cherche sur le site Tilmidetice. Il ne trouve pas non plus. Le site n’est pas encore alimenté par l’ensemble des matières et des niveaux.

Pour patienter et sous l’insistance au téléphone de sa mère, employée dans un centre d’appel, il se rabat sur ses manuels et essaie de s’imprégner des cours avant d’avoir les explications. Son père lui ramènera plus tard les liens imprimés des cours dispensés par l’école privée où il suit ses études. Nour a de la chance car entourés de parents et d’une grand-mère lettrés qui l’encadrent et le cadrent dans sa  nouvelle vie « d’élève à distance ». Dès mardi, il a commencé à suivre ses cours « normalement ». « Plus ou moins, car ce n’est pas évident de capter toute l’attention d’un enfant surtout devant un écran qu’il a l’habitude d’utiliser pour se divertir et jouer », nous affirme Latifa, sa mère. Rentrée à 19h, fatiguée par une longue journée au travail, elle essaie de tester le degré de compréhension de son enfant des cours de la journée. « J’avoue que ce n’est pas évident même si Nour reste un élève intelligent. Ce mode d’apprentissage est tout à fait nouveau pour les élèves mais aussi pour nous autres parents », nous avoue, la voix exténuée, la jeune téléopératrice.

Si pour l’adolescent, c’est juste une question de concentration et d’adaptation, pour sa voisine de palier le défi est encore plus énorme. «Je suis analphabète. Je n’ai pas eu l’occasion d’aller à l’école et aujourd’hui je ne sens que trop ce manque car je n’arrive pas à assister ma fille Malak dans son apprentissage à distance. Depuis hier, on trouve beaucoup de difficultés à nous en sortir. C’est grâce à l’aide de la voisine Latifa que Malak commence à peine à suivre », nous confie, reconnaissante,  Majda, femme au foyer. Un élan de solidarité qui est tout de même freiné par l’injonction de limiter le contact avec autrui et de rester chez soi. « J’aurais aimé être plus présente pout aider la petite mais je me contente de l’orienter par téléphone. C’est mieux que rien », rajoute Latifa. Pour Rania, élève en deuxième année du collège, « Il est assez compliqué  de trouver ses leçons sur le site du ministère et sur les autres pistes partagées par les autres élèves. Il n’est pas évident de trouver une version proche de la méthodologie de nos professeurs. Mais le plus difficile pour moi actuellement reste de faire soi-même la conclusion finale de la leçon et de m’exercer sans l’encadrement de nos professeurs », énumère Rania, 12 ans, qui insiste sur le sens de responsabilité de chacun pour s’appliquer vraiment et « faire comme si on est vraiment à l’école », conclut, avec sagesse, la petite.

Pour Kawtar, employée dans une entreprise de communication, depuis l’annonce de la fermeture des écoles, la grande question pour elle reste, « Comment faire pour accomplir mon travail depuis la maison, vu qu’on nous a demandé de rester chez soi, m’occuper de mon enfant et en plus de lui enseigner ses cours. C’est un job à part entière, est-ce que j’aurais l’énergie et la capacité de bien le faire ? », se demande la jeune femme tandis que son mari, essaie de la rassurer en promettant de l’aider et d’aider son enfant de 9 ans pour dépasser cette période difficile.  « Il est certain que tout le monde n’est pas pédagogue, qu’enseigner reste une mission assez lourde mais les outils mis à la disposition des enfants et des parents vont les aider largement dans cet apprentissage double et des parents et des enfants », nous explique Amal, enseignante à Casablanca. Avec une expérience de plus de vingt ans, elle reconnait que la tâche n’est pas facile « mais avec un peu d’engagement et d’application, on va y arriver. Il faut juste rester calme, ne pas trop stresser et surtout ne pas communiquer son stress et ses inquiétudes aux enfants ; qui ont besoin de quiétude pour assimiler et comprendre leur cours surtout à distance », conseille l’enseignante qui partage, avec générosité, avec les parents d’élèves,  ses cours préparés. Ceci avec en bonus, des conseils et des consignes  pédagogiques pour faciliter leur tâche. Une initiative positive que de nombreux enseignants ont pris dans un élan de solidarité imprégné d’un grand sens de responsabilité en ces temps difficiles.

Rappelons que juste après l’annonce vendredi 13 mars 2020 par le ministère de l’Education nationale de la fermeture des écoles et des institutions d’enseignement supérieur et de formation, un bon nombre d’interrogations se sont posées sur la possibilité de dispenser des cours à distance, sur la capacité du ministère à gérer la situation et sur le degré de sa préparation et surtout sur l’efficacité des outils disponibles pour procéder à un e-Learning dans les normes. Des questions auxquelles  Youssef  El Azhari, directeur du Centre national pour l’innovation éducative et l’expérimentation, répond en rassurant les citoyens sur l’efficacité des outils mobilisés. « Les cours de e-Learning qui seront diffusés via internet et via la chaine télévisée Attakafia sont conçus de telle manière à permettre aux élèves de comprendre et d’assimiler leurs cours. La durée des cours « digitaux » ne dépasse pas les 30 minutes. Les élèves peuvent ensuite se rabattre sur leurs manuels pour compléter le processus d’apprentissage à distance », explique le responsable avant d’insister sur la forte mobilisation des cadres et des enseignants dans la production et l’alimentation des supports de e-learning, par des éléments susceptible de rendre le processus encore plus efficace et fluide. « Nous ne sommes pas en vacances ! Tout au contraire, l’heure est à la mobilisation », insiste El Azhari qui n’oublie pas de faire une mention spéciale pour le monde rural. « Les élèves des régions rurales auront eux la possibilité de suivre leur cours via la programmation de la chaine Attakafia », rajoute-t-il… sauf  que toutes les familles dans les régions rurales n’ont pas la chance d’avoir un  téléviseur chez eux.

Pire encore, dans certaines régions reculées, des bourgades entières n’ont pas l’électricité et ne sont pas liées au réseau de télécommunication. Le cas de Mohamed Arouz de la bourgade ighzrou admam, perchée à plus de 2500 m d’altitude dans la province de Boulmane, est éloquent. Ses fils qui suivent leurs études au village d’Oumjniba, à une dizaine de kilomètre de leur douar natal, devront rester confinés au foyer familial. Chez les Arouz, point d’électricité ni d’eau. Rien que du gaz pour éclairer et des virées quotidiennes jusqu’à la source au fond de la montagne pour s’approvisionner en eau. La télévision ou le téléphone portable ? « Vous rigolez ! Nous n’avons ni électricité ni réseau par ici », nous répond le père de famille qui est aux prises avec la nature pour pouvoir survivre avec sa famille. Relevant de la science fiction, le e-learning, serait-il possible pour les enfants de Mohamed et leurs semblables assez nombreux dans les différentes régions du pays, et qui peinent même en période normale de suivre leurs études d’une manière régulière ? Si les solutions proposées par le ministère sont louables car susceptibles de sauver l’année scolaire, il reste néanmoins des questions en suspension concernant les familles et les élèves des régions reculées. Et même ceux résidant au cœur des villes, mais n’ayant pas les moyens de se connecter à internet et de se procurer des gadgets et des Smartphones afin d’accéder  au contenu pédagogique proposé. Une situation qui remet à jour et d’une manière accentuée  la question de l’égalité des chances en matière d’enseignement.