FERMETURE DE LA PHARMACIE DE LA CNOPS: Une transition douloureuse

SANTÉ Effective après plusieurs reports, la fermeture de la pharmacie centrale de la CNOPS n’en finit pas de tarauder les esprits. Patients bénéficiaires, médecins traitants, pharmaciens, cliniques spécialisées, tous déplorent une transition mal préparée...

«Je vis un calvaire depuis la fermeture de la pharmacie de la CNOPS à Rabat. N’ayant pas les moyens de me procurer mes médicaments sans prise en charge, je ne sais plus où donner de la tête depuis trois mois… », raconte, la mort à l’âme, Si Omar, retraité meknassi atteint du cancer de la prostate depuis 2009. Ayant l’habitude de se procurer ses injections tous les trois mois à Rabat, il se retrouve sans traitement au lendemain de la fermeture de la pharmacie centrale. « Je ne cesse de faire des allers retours à Rabat, de frapper à la porte des cliniques désignées par la CNOPS, des pharmaciens, j’ai même postulé auprès d’associations de bienfaisance, sans résultats vu que je suis soi-disant assuré», se plaint le septuagénaire d’une voix abattue par la maladie et le désespoir. Le cas de Si Omar n’est pas isolé. Ils sont nombreux, les adhérents de la CNOPS, à être surpris par cette décision qui a été pourtant à l’ordre du jour depuis l’amendement de l’article 44 de la loi 65-00 portant sur le code de la couverture médicale de base (7/7/2011). Rappelons que cette loi interdit en effet aux organismes gestionnaires de cumuler la fonction de gestionnaire de l’assurance maladie et celle de producteur de soins et ce, à compter du 31 décembre 2012.

« Passé ce délai, les organismes gestionnaires disposant d’un ou plusieurs établissements de soins sont tenus de se conformer à la nouvelle loi soit en déléguant la gestion à un autre organisme, soit en optant pour un autre mode jugé approprié par les organes délibérants des organismes gestionnaires concernés », lit-on dans le bulletin officiel. Une transition que la CNOPS a dû préparer au préalable… «D’abord, nous avons externalisé une partie des médicaments au niveau des CHU. Nous travaillons de concert avec les oncologues et les néphrologues sur un partenariat rénové et sur des pistes concrètes qui vont mettre le médicament coûteux à la portée de nos assurés qui, auparavant, devaient se déplacer à Rabat pour s’en procurer», déclarait Abdelaziz Adnane, Directeur général de la CNOPS à « la Vie Economique » à la veille de la fermeture de la pharmacie reportée d’ailleurs à plusieurs reprises. Incertitudes Première centrale d’achat de médicaments coûteux au Maroc, la «défunte» pharmacie affichait des achats annuels de l’ordre de 400 millions DH. Un important montant qui couvrait entre autre les besoins en médicaments de 108.000 malades atteints de maladies chroniques tels les cancers, l’insuffisance rénale et les hépatites. Des patients qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés face à une situation pour le moins délicate. «Personne ne nous a avisés au préalable. La dernière fois où je suis allé récupérer mes médicaments, j’étais choqué par la fermeture de la pharmacie. On m’avait alors orienté vers trois cliniques à Casablanca», raconte Driss, ex instituteur atteint d’un cancer de la prostate depuis deux ans. Rentré les mains vides, il se dirige illico presto vers un centre de cancérologie conventionné pour récupérer ses injections et ses comprimés mais surprise ! On lui indique sur place, après une consultation « forcée », qu’il va falloir arrêter son traitement hormonal pour faire une radiothérapie. D’après son « nouveau médecin », cette thérapie va lui permettre de se débarrasser une fois pour toute de son cancer.

Désorienté, Driss rentre voir son médecin traitant pour lui demander conseil. « C’est là que mon urologue m’indique qu’il n’y a nullement besoin dans mon cas de suivre de radiothérapie qui est d’autant plus mal indiquée dans mon cas, vu ma maladie cardiovasculaire et mon hyper tension », rajoute, scandalisé, Driss. Pour son médecin, Dr Lahlou «cette histoire est louche. Suivant le cas de mon patient depuis deux ans, je vous assure qu’il répond très bien à son traitement hormonal. Son taux de PSA est passé d’ailleurs de 20 lors du premier diagnostic à 0,01 aux dernières analyses. C’est dire la grande amélioration de son cas qui ne nécessite nullement une intervention radio thérapeutique », insiste l’urologue. Ce dernier relate en effet de nombreux cas ayant été victimes de « traitements inadéquats » prescrits par des centres de cancérologie dans le cadre de la réorientation des adhérents de la CNOPS après la fermeture de la pharmacie centrale de Rabat. «Les dégâts sont graves. J’ai des patients qui étaient en phase de rémission et qui ont vu leur état se détériorer à cause de ces radiothérapies inadéquates », s’insurge ce praticien. Ahmed, 50 ans et cancéreux depuis deux ans et demi, n’est pas prêt d’oublier sa mésaventure. Il en garde en effet des traces douloureuses sur son corps meurtri par la maladie mais surtout par une thérapie qui lui a brûlé le torse et le rectum ; et dont il n’arrive toujours pas à en guérir. Une situation que Pr Redouane Samlali, radiothérapeute et Directeur de la clinique « le Littoral », modère en évoquant la grande utilité de ce genre de choix thérapeutique dans l’éradication définitive du cancer spécialement celui de la prostate. «Le littoral est parmi les rares institutions en Afrique à instaurer le système de prise de décision en RCP (Réunion de Concertation Pluridisciplinaire) afin de définir le meilleur traitement à adopter pour nos patients », se défend le cancérologue. Un débat scientifique dans lequel le patient est entrainé sans y comprendre grand-chose. «Je me sens perdu depuis cette fermeture, je n’arrive plus à croire qui que ce soit... j’ai perdu complètement confiance ! », désespère Driss qui n’arrive toujours pas à avoir sa prise en charge malgré deux mois de va et vient à Rabat.

Colère à tous les étages « Nous ne sommes pas du tout contents du nouveau dispositif instauré par la CNOPS pour le traitement des malades spécialement ceux atteints du cancer de la prostate. Nos patients ont disparu et nous ne savons pas où ils sont actuellement. Certains nous reviennent, très déçus, car n’ayant pas accès à leurs médicaments habituels. Orientés vers les centres de cancérologie, ces derniers leur indiquent qu’ils n’ont pas à s’occuper des patients suivis par d’autres urologues ; sauf si c’est pour un complément thérapeutique. D’autres y sont pris en charge sans concertation avec leurs médecins traitants. La situation est ambigüe pour les malades et pour les médecins », explique Dr Mounir Chefchaouni, urologue et représentant de l’Association des urologues privés du Maroc (AMU). Alarmés par les appels de détresse de leurs patients, les urologues disent avoir déjà adressé plusieurs courriers à la CNOPS dans ce sens… sans retour. Déplorant un manque de communication, le praticien confirme que les urologues n’ont jamais été avisés de la prochaine fermeture de la pharmacie. « Autre bémol, cette fermeture est un grand changement qu’il a fallu bien préparer en mettant en place des procédures de remplacement adaptées et efficaces. Or, c’est le chaos actuellement », ajoute Dr Chefchaouni qui se spécialise dans le traitement du cancer de la prostate, considéré comme le deuxième cancer de l’homme au Maroc, juste après celui du poumon avec 6.4 d’incidence pour 100.000 personnes à Casablanca (étant donné qu’il n’y a pas de registre national du cancer). Des procédures de remplacement que la CNOPS confirme avoir mis en place avant la fermeture de la pharmacie.« L’avenant signé en 2008 avec les oncologues permettait aux cliniques privées de servir les médicaments coûteux et de les facturer directement à la CNOPS dans le cadre du mode tiers payant.

 

 

Nous avons réitéré la même expérience en 2011 avec les CHU et en 2012 avec les centres d’oncologie », se défend Abdelaziz Adnane, Directeur général de la CNOPS (voir entretien). Des accords qui devraient épargner aux patients venant des différents coins du royaume de faire le déplacement jusqu’à Rabat pour se procurer leurs cures… En principe ! Car dans la réalité, les choses ne sont pas aussi simples. «Nous étions surpris que certains malades arrivent à la clinique en se disant orientés par la CNOPS vers nous pour se procurer leurs cures. Jamais au sein de la clinique le Littoral, nous n’allons nous transformer en distributeurs de médicaments. Nous vendons des soins et pas de la pharmacie ! Ce problème est posé spécialement avec les urologues. Il est impensable qu’un centre comme le littoral puisse livrer tous les médicaments de l’hormonothérapie pour des malades qui ne sont pas les siens. L’accord que nous avons avec la CNOPS consiste à s’occuper des malades qui sont traités chez nous », tranche Dr Semlali. Les grands perdants Une position qui laisse perplexe quant au destin des malades qui ont l’air d’être abandonnés par leur assureur et par ses prestataires partenaires. «N’ayant pas la possibilité d’avoir mes médicaments auprès des cliniques, j’ai couru les officines pour trouver finalement un pharmacien qui m’a livré mes injections en acceptant un chèque de garantie. Cela fait plus d’un mois là que j’attends d’être remboursé par la CNOPS pour régler ce chèque sans provisions », nous raconte, inquiet, Hassan, un fonctionnaire de Casablanca. « Une chance » que Omar n’a pas eu à Meknès et peine toujours à avoir ses médicaments tandis que la maladie et le désespoir continuent de le ronger.

« Le grand problème c’est que beaucoup de bénéficiaires n’ont pas l’enveloppe financière mensuelle nécessaire pour pouvoir acheter les médicaments en attendant leur remboursement » insiste Dr Chefchaouni en nous mettant sur la piste des pharmaciens et sur l’importance du rôle qu’ils peuvent jouer dans le dénouement de cette situation. De son côté Dr Mounir Tadlaoui, secrétaire général de la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens d’officine (FNSPM), affirme que la solution est entre les mains de l’assureur. « Il suffit que la CNOPS, à l’instar de la CNSS, active le mode du tiers payant avec les pharmaciens pour mieux servir ses adhérents. Opérationnel depuis quelques mois avec la CNSS, ce système a déjà fait ses preuves», confirme Tadlaoui. Mais si la solution est si évidente, qu’est ce qui explique la situation actuelle ? D’après le Secrétaire général de la Fédération des pharmaciens, « C’est au niveau de la CNOPS que ça bloque. Nous ne savons pas pourquoi au juste mais la fédération est prête à prendre sur elle pour aider à fluidifier le processus. D’ailleurs, beaucoup d’entre nous font de grands efforts pour faciliter l’accès aux médicaments aux clients patients en attendant leur remboursement… », rajoutet- il. Une accusation de plus qui se rajoute aux autres reproches attaquant la CNOPS qui n’en est pas là à ses derniers malheurs. Véritable boîte de pandore, la fermeture de la pharmacie de la CNOPS a révélé beaucoup d’anomalies. Une affaire compliquée aux ramifications multiples dont le grand perdant reste le pauvre malade.