Triporteurs, ça ne roule pas !

ZOOM Les triporteurs courent les artères du Royaume en servant de gagne pain pour des milliers d’utilisateurs. Ils roulent, en grande partie, en dehors de la loi...

En quelques années seulement, ces engins à trois roues ont pu investir les rues, les grands marchés et autres souks des villes mais également des zones rurales. Très actifs dans le transport des marchandises, les triporteurs sont souvent convertis en mini bus. Une manière de rentabiliser le grand déficit en moyens de transports publics dans les zones industrielles, les quartiers populaires et même au centre ville à Casablanca et dans d’autres grandes villes telles que Rabat et Marrakech. Entre 3 et 5 dhs la course, le triporteur démocratise le transport et reste le moyen le plus adapté au faible pouvoir d’achat des petites bourses. En ce début d’après midi du lundi, le quartier commercial de Derb Omar commence à reprendre vie après la pause-déjeuner. Stationnant en file indienne dans une ruelle limitrophe, quelques chauffeurs de triporteurs discutent tranquillement en attendant des clients. Spécialisés en transport de marchandises et de tissus, les triporteurs de Derb Omar ne chôment pas. «Nous avons des clients habituels parmi les marchands du quartier. Ils nous connaissent et nous font confiance », nous explique Ahmed qui a une expérience de 12 ans en transport de marchandises. « La confiance du client » est brandie par Ahmed et ses collègues comme un atout, un plus… par rapport aux autres chauffeurs de triporteurs. «Il faut dire qu’il y a eu de nombreux incidents de vol… Le métier n’est pas organisé ce qui laisse une large marge à des malfrats de se substituer à des chauffeurs pour perpétrer des vols », s’insurge Adil sous l’oeil approbateur des autres chauffeurs. D’après ces derniers, ce genre d’agissements serait à l’origine de la « chasse aux sorcières » menée dernièrement par la police contre les triporteurs. «On m’a perquisitionné mon triporteur durant 10 jours. Je n’ai même pas su pourquoi et qu’elle a été au juste ma contravention.

J’ai dû payer 600 dhs pour le récupérer », raconte Amine, la vingtaine. Des récits de perquisitions, ce groupe de chauffeurs en a plein et les raisons diffèrent selon les situations. Si l’argument de l’illégalité de la bâche est souvent avancé par la police routière, l’absence de permis de conduire et l’illégalité du transport de personnes sont autant de raisons pour rédiger des contraventions et même pour procéder à la perquisition des engins en question. « C’est injuste. On nous prive de notre gagne pain à cause d’un flou légal dont on n’est nullement responsable », s’insurgent en choeur les propriétaires des triporteurs. Un avis que Ahmed Ouaddani, directeur général du Centre national d’essais et d’homologation, CNEH, ne partage nullement. D’après le responsable, « Il n’y a pas de flou, l’obligation de l’homologation est explicite dans la loi et les normes d’homologation de ce type de véhicule sont fixés par l’arrêté 2730-10 relatif à l’homologation des véhicules, leurs éléments et accessoires », explique-t-il. Si la loi est si claire, pourquoi donc persiste cette situation ambigüe spécialement pour les chauffeurs ? « Le constat, c’est qu’il y a des distributeurs qui homologuent leurs triporteurs (Voir Tableau) avec les caractéristiques réelles du véhicules (Cylindrée > 50 CC par exemple). Cependant, on constate que leur commercialisation ou utilisation ne respecte pas les conditions de l’homologation et par la suite, les exigences en matière du permis de conduire et de l’immatriculation », argumente le directeur du CNEH. Un constat que cet ex commerçant casablancais de triporteurs et membre de l’Association des importateurs et des distributeurs de motos corrobore en nous indiquant que la plupart des commerçants actifs procèdent à l’homologation de leurs triporteurs en tant que deux roues d’une capacité inférieure à 50 CC.

«Ce qui est loin de la vérité car sur le terrain, tout le monde sait que ces engins servent au transport des marchandises aussi bien que des personnes avec une capacité beaucoup plus importante», explique le commerçant. Un état de fait qui constitue selon le directeur du CNEH «Un délit d’après la loi n° 52-05 notamment son article 156». Originaires pour la plupart de Chine, les triporteurs circulant au Maroc sont commercialisés à des prix oscillant entre 16.000 et 18.000 dhs. Kajang, Top Moto, Hounday, Osaka, JK Motor, Yamazuki Moto, Doker (monté au Maroc) …sont autant de marques qui alimentent le marché national et répondent à une demande de plus en plus importante. Boostées par les commandes faites dans le cadre de l’INDH pour la réinsertion socio-économique de couches fragiles et d’anciens détenus, les ventes des triporteurs ont enregistré un véritable saut quantitatif ces trois dernières années. « Ces triporteurs représentent en effet de bonnes opportunités d’emploi pour de larges couches sociales spécialement les plus vulnérables économiquement. Avec leur prix plus ou moins abordables, ils constituent la planche de salut pour de nombreux utilisateurs », analyse Khalid, commerçant de triporteurs. Une opportunité pour les utilisateurs mais également pour les distributeurs et autres vendeurs qui ont commercialisé en 2012 plus de 80.000 unités. «Un chiffre qu’il faut revoir à la hausse vu la demande qui est toujours aussi accrue », nuance-t-il. Des chiffres qui en disent long sur l’ampleur du marché et sur l’importance du parc des trois roues. « D’où la nécessité d’une meilleure organisation », insistent les chauffeurs mais également les commerçants. Si ces derniers réclament une meilleure adaptation de la loi à la particularité de ces engins et de la situation socio-économique de leurs utilisateurs, les chauffeurs eux, essaient de s’organiser en un corps de métier.

« C’est encore en gestation mais nous ressentons tous la nécessité d’organiser le métier, d’instaurer des filtres et d’imposer des conditions avant de délivrer une sorte de permis pour l’exercice du métier de transporteur de marchandises », nous explique Amine et ses amis dont le premier souci reste de se conformer à la loi et d’éviter tous dérapages. «Ceci afin de protéger notre gagne pain et celui de nos familles». De leur côté, les commerçants reviennent sur l’homologation et spécialement sur la question de son coût jugé trop cher. « L’homologation se fait par type. Celle des triporteurs se fait à 50.000 dhs. C’est trop cher et une fois appliquée, ça se répercute sur le coût d’achat pour les consommateurs dont le pouvoir d’achat reste assez faible» argumente cette source à l’Association des importateurs et distributeurs de motos au Maroc. Il estime d’ailleurs qu’une révision à la baisse est plus qu’adéquate vu la situation actuelle. « A15.000 dhs par type, je ne crois pas que les distributeurs vont hésiter avant de procéder à une homologation en bonne et due forme», continue-t-on à l’ADID. Autre piste de « légalisation d’exercice», « l’instauration d’un permis de conduire spécial adapté aux spécificités culturelle et économique des chauffeurs » indique Khalid, commerçant casablancais de triporteurs.

Prenant en considération l’important taux d’analphabétisme dans les rangs des utilisateurs, les autorités devraient, selon le commerçant, proposer une version soft du permis de conduire spécial triporteurs avec des examens théoriques et pratiques simplifiés. « Sans oublier le coût qui ne devrait pas dépasser les 500 ou 600 dhs. La plupart des chauffeurs ne peuvent pas payer les 2500 dhs d’un permis classique ». Pour la question de sécurisation, notre interlocuteur propose d’instaurer un système de plaques d’identification et du propriétaire et de l’engin. «En l’absence d’immatriculation, une identification au numéro de la carte nationale affiché sur les plaques du triporteurs serait plus qu’opportune. Ça sera un bon moyen pour identifier l’engin et le filer en cas d’incidents… », continue le commerçant. Une proposition que de nombreux chauffeurs de triporteurs sont prêts à adopter. « Nous aussi nous voulons nous protéger, protéger notre métier et la réputation de ses travailleurs. Nous sommes prêts à débourser une part de la cagnotte pour payer l’immatriculation ou son équivalent. Nous voulons en finir avec cette persécution et consacrer notre énergie au travail au lieu de passer notre temps à fuir les points de contrôle de la police routière », confirment Ahmed avec l’approbation de ses compagnons. Un souhait légitime pour cette catégorie mal jugée par la clientèle et mal compris par les autorités. Affaire à suivre...