Entretien avec Mohamed Mouftakir « Le beau nous permet de repenser la vie »

Le réalisateur marocain nous parle de son dernier film « L’Automne des pommiers » qui a raflé le Grand Prix à la 21e édition du Festival de Tanger. Faisant partie de la trilogie « Pégase » et « L’Orchestre des aveugles », ce drame social à la fois émouvant et poétique traite de la thématique du père, chère à ce réalisateur de l’esthétique sensible au « beau » et au « vrai ».  Propos recueillis par Kawtar Firdaous

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Vous venez de remporter le Grand Prix pour votre 3e long métrage à Tanger, en plus du prix de l’image, de la critique et des cinéclubs. C’est une sorte de consécration ?

Mohamed Mouftakir  :   Dans un festival de cinéma, avoir des prix c’est important, mais ce n’est pas uniquement cela qui compte. Le plus important c’est le débat autour des films : comment les cinéastes marocains défendent leurs pairs, quelle est la démarche de chacun pour contribuer à faire évoluer notre cinéma marocain…

Le film est le 3e de la Trilogie après « Pégase » et « l’orchestre des aveugles ». D’où vient cette obsession pour la thématique du père ? Et pourquoi la traiter de cette manière, un peu dramatique on va dire ?

« Pégase » est un psychodrame qui raconte l’histoire d’un père castrateur, « L’Orchestre des aveugles » est une comédie sociale qui raconte l’histoire d’un père protecteur, « L’Automne Des Pommiers » est un drame social qui raconte l’histoire d’un père nieur. On ne peut pas appeller cela une obsession, mais plutôt un choix thématique qui me permet, en tant que cinéaste et en tant qu’homme aussi de voir, sous toutes ses facettes, ce rapport au pouvoir paternel, à ce monde masculin, voire patriarcale qui gouverne le monde. Je le revois toujours sous l’angle de vision d’un enfant qui deviendra, lui aussi, un jour, père à son tour. On ne nait pas père, on le devient. C-à-dire on est éduqué et façonné pour le devenir.

Vous dites sur votre page Facebook :

« mes personnages, c’est l’autre en moi dans toute sa complexité…je suis mes personnes et ils sont aussi moi… ». Y a-t-il une part d’autobiographie dans vos œuvres ? »

Chaque auteur est ses propres personnages. Cela émane de lui. Ce sont ses doubles. Je ne m’inspire pas de la réalité pour créer et concevoir mes personnages. Ils vivent en moi. Je pars toujours de moi-même pour les faire naître et les faire sortir. Ils sont plus vrais et plus crédibles, car la réalité est en moi, les autres c’est moi. Chaque création est un long voyage, agréable et douloureux à la fois, vers l’inconscient qui n’est qu’un cumule de tout ce qu’on avait vécu et hérité depuis l’ère du temps. Chacun de nous porte en lui l’histoire tragique de toute l’humanité.

Est-ce que le fait de faire des films pour vous, c’est une sorte de catharsis, d’exutoire pour panser les plaies de votre vécu ?

D’abord je n’aime pas appeler ce que je fais des films. Je préfère le mot «  projets ». Ce sont des propositions et des démarches cinématographiques, voire des essaies qui pourraient, d’une manière ou d’une autre, contribuer à instaurer un cinéma marocain qui nous ressemble. Car, on le sait très bien, notre cinéma est encore jeune et trop fragile. Il n’a pas encore trouvé sa place incontournable au sein de son public, qui la dénigre, la snobe ou tout simplement l’ignore. Mais une seule chose dont je suis sûr, tout ce que je fais est sincère. Je ne fais pas de concession là-dessus, quitte à payer le prix très chèr.

Pour ce qui est du casting, pourquoi avoir choisi Ayoub Layoussifi et Fatima Khair ?

D’abord, je ne fais jamais de casting au sens propre du terme. Les choses viennent d’elles-mêmes, petit à petit, pendant l’écriture et pendant la préparation. Je procède par le feeling. Tout passe d’abord par l’émotion, avant la réflexion. Si je sens une actrice ou un acteur pour tel ou tel rôle, je le lui propose sans hésiter. Le reste c’est à moi de le faire, de mener à bien les choses, sinon à quoi cela sert de s’appeler metteur en scène si tu ne sublimes pas tes acteurs et les rends ainsi crédibles et convaincants.

Qu’en est-il de la métaphore de la pomme ?

La pomme nous parle à nous tous. Elle est riche en symboles. Ce fruit a accompagné l’histoire de l’humanité depuis ses tout débuts. C’est un fruit mythique, lié à notre chute, à notre sortie du confort, du paradis. Un fruit lié à la tentation, au désir et surtout au savoir. Un fruit interdit et désiré à la fois. J’aime ce côté contradictoire que représente la pomme dans l’inconscient de chacun de nous. En fait, j’aime tout ce qui est contradictoire, je le sens vivant, dynamique et vrai.

Vous dites que sans émotion, vous êtes incapable d’écrire. Comment vivez-vous votre processus d’écriture ?

Sans émotion on ne peut ni écrire, ni aimer ni faire quoi que ce soit. L’être humain est un être émotif par excellence. Tout commence par une simple idée et dont tu tombes amoureux. Après il faut en prendre soin, la laisser vivante, la développer avec soin et sans précipitation. Ne pas la déformer par des procédures réflexives inutiles et nuisibles, jusqu’à l’aboutissement. Un travail réussi est celui qui garde l’idée de départ fraiche et vivante jusqu’à la fin, car c’est cela que ressentent les spectateurs, c’est l’unique chose vraie et sincère dans tout le travail. C’est voire l’âme d’un film qu’on ne voit pas mais qu’on sent !

Est-ce qu’après cette trilogie, vous pensez passer à autre chose ?

Je suis en train de réfléchir sur plusieurs projets. J’attends de tomber amoureux de l’un d’eux et tout va se déclencher de lui-même. La phase la plus difficile est celle-ci, ce qu’on appelle l’inspiration. Le reste, ce n’est que de la transpiration.

Votre façon de filmer est très poétique. Vous accordez beaucoup d’importance à l’esthétique de l’image. C’est quelque chose que vous travaillez consciemment ou est ce que c’est une chose spontanée chez vous ?

L’art est par essence poétique. En dehors du poétique, il n’y a point d’art. Le côté poétique on le sent en contemplant une toile, en écoutant de la musique, en regardant un spectacle, un film ou en lisant un roman. Il n’existe pas uniquement dans les poèmes ! Le poétique est une image, une sensation lancinante qui traverse en douceur les choses autour de nous. C’est ce regard que nous portons sur les choses et que ne réussissons à transmettre via des expressions. On est tous poétiques quelque part et c’est cela qui fait des nous des humains. Le poétique parle au fin fond de chacun de nous et nous permet de sentir et de voir la beauté qui se cache derrière la surface des choses.

D’où vous vient cette attirance pour « le beau » ?

Le beau est universel. Il est au-delà de l’expression « Les goûts et les couleurs ne se discutent pas ». Il est au-delà de l’agréable aussi. Le beau contient du vrai ; il est vrai. Le beau nous met face à notre réalité, face à nous même. Le beau nous permet de repenser la vie dont nous faisons partie et dont on’est pas les vrais maitres comme certains le croient. Le beau est tout simplement la vie. Raconter la vie nous met constamment face au beau. Le beau est à la fois rassurant, déstabilisant et insaisissable. Il se cache dans une mélodie, dans un verre, dans une phrase, dans un objet peint ou dans un plan. Seuls les vrais artistes arrivent à nous le faire voir par moment et ils sont rares. Je ne prétends pas être l’un d’eux, mais chercher le beau est ma quête majeur.

Quel genre de réalisateur êtes-vous sur le plateau ?

Le doute est l’unique certitude à laquelle je crois. Je ne suis sûr de rien, mais je sais où je veux aller car je sais très bien d’où je viens. Je connais mon projet, mais je le cherche constamment en m’aidant de certains repères que je questionne aussi. Le reste du travail,  je le fais en me fiant à mon feeling et en discutant avec mes collaborateurs. Rien n’est définitif pour moi jusqu’à la sortie du film dans les salles.

Avez-vous trouvé des difficultés à financer votre film ?

Faire un film coûte toujours cher, mais on s’adapte. Après le montage financier, on revoit souvent le budget à la baisse. Il ne faut pas faire de concession sur le plan artistique ni trahir son projet et son idée de départ qui est l’âme du projet.

On tourne autour de 30 films/an (documentaires inclus). Au-delà de la quantité, la qualité laisse à désirer ! Comment palier au problème ?

La qualité va s’améliorer avec le temps. Mais que veut dire « qualité » ? Il y a plusieurs cinémas et plusieurs films variés. Chaque cinéaste doit être vrai et sincère dans sa démarche et dans son amour pour son projet. Ce sont les faux qui constituent des parasites dans le corps des cinéastes marocainsΘ