« Washington devrait réaffirmer sa politique de longue date de soutien à la proposition marocaine d'autonomie comme base pour une solution réaliste ».
J. Peter Pham Directeur du Centre de l'Afrique au sein de lu2019Atlantic Council.

Propos recueillis par Jamila Arif

L’Observateur du Maroc. L’Atlantisme devient de plus en plus présent dans la littérature politique et porte beaucoup de promesses de développement et de coopération. Quelle conception faites-vous de cet espace et comment le Maroc pourra-t-il y jouer un rôle primordial ?

J. Peter Pham. Les caractéristiques du nouvel environnement stratégique qui a évolué dans le sillage de la vague du changement transformateur qui a déferlé sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient depuis le début de l'année 2011, sont bien connues. Tout comme l'incertitude qu’engendre cette nouvelle dynamique. Certes, tout ce qui est nouveau n’est pas forcément positif comme en témoignent les nouveaux modes de trafic et de criminalité qui relient désormais les côtes occidentales de l'Atlantique en Amérique latine au littoral oriental de l’océan en Afrique de l'Ouest de la pire manière via des réseaux criminels. Ceux-là se livrent à la contrebande de stupéfiants vers l'Europe à travers les espaces mal gouvernés de l'Afrique et les frontières poreuses. L’Afrique de l'Ouest connait également de plus en plus d'incidents de piraterie maritime et d'autres troubles qui profitent non seulement du manque de financement et de capacité de la part des forces navales et d'autres forces de la région, mais aussi du manque de coopération entre elles. Pendant ce temps, la situation actuelle a renforcé les liens entre la criminalité et l'extrémisme dans le Sahel. Si le lien entre la criminalité organisée et le conflit est évident dans les affaires de kidnapping, les tensions liées au trafic croissant de drogue et à l'érosion des institutions étatiques par leur complicité avec le crime organisé ont également joué un rôle important dans la dynamique qui a conduit au déclenchement du conflit au Mali l'an dernier. En même temps, alors que les pouvoirs traditionnels dans l'espace atlantique (les pays européens et les Etats-Unis qui sont confrontés aux nouvelles réalités des contraintes économiques et budgétaires dont la solution ne peut plus être différée), de nouveaux acteurs régionaux ont vu le jour en Afrique de l'Ouest et en Amérique du Sud. Tout ceci renforce la logique derrière la nécessité d'un nouvel Atlantisme qui s'appuie non seulement sur un cadre sécuritaire traditionnel, mais qui requiert aussi l’adoption d'autres mesures liées à la sécurité humaine telle que la sécurité énergétique et alimentaire. Il fera également appel à l'investissement en matière d’infrastructures en tant que catalyseur du développement économique et social ainsi qu’à l’engagement politique renouvelé en vue de surmonter les tensions - le conflit artificiel autour des provinces du sud du Maroc nous vient à l'esprit- qui entravent le type de coopération et d'intégration régionales dont les coûts économiques sont si bien connus. Comme c'est le cas avec l'échec de l'Union du Maghreb Arabe et l'absence conséquente d’une interaction économique entre les membres de cette défunte organisation. Grâce à sa géographie (une longue côte atlantique à peu près à une distance égale de l'Amérique du Nord et l’Amérique du Sud et qui la relie à la fois à l’Europe au Nord et l'Afrique sub -saharienne au Sud) ainsi que ses relations politiques et économiques à la fois avec l’Europe (accord d'association avec l'Union européenne ) et les États-Unis (accord de libre-échange et le statut officiel de « principal allié non membre de l’OTAN » ), le Maroc est bien placé pour jouer un rôle important dans le nouvel espace Atlantique. Par ailleurs, le Maroc bénéficie également de liens de plus en plus dynamiques au sein du bassin de l'Atlantique sud. On voit bien que le Brésil est devenu un important partenaire commercial du Maroc. Le Royaume devient également un acteur majeur dans le développement en Afrique, à la fois à travers ses institutions financières et autres entreprises actives dans plusieurs secteurs dont les perspectives de croissance sont très importantes dans les années à venir. Ces secteurs comprennent notamment l'agriculture, les télécommunications, les produits pharmaceutiques et la manufacture. Par conséquent, comme le nouvel Atlantisme prend de l’envol à Washington et à Bruxelles, le Maroc peut jouer un rôle essentiel, non seulement comme un lieu de rencontre, mais en tant que hub de nouvelles opportunités.

Le Maroc continue à subir les effets de l’hostilité de certains pays africains qui l’attaquent sur son intégrité territoriale. Quelle devrait être l’implication des Etats-Unis dans ce domaine ? Surtout que le Maroc est son allié stratégique ?

Le différend sur le Sahara occidental ne peut pas continuer à être relégué au statut de «conflit oublié» périphérique aux affaires internationales, encore moins par les Etats- Unis, qui considèrent le Maroc comme « principal allié non membre de l’OTAN ». Une distinction que partage un seul autre pays africain (l’Egypte). Il ne s’agit pas uniquement d’une question de droits historiques et d'intégrité territoriale du Royaume sur laquelle j'ai abondamment écrit, mais aussi d’une question de stabilité et de développement sur le plan régional ainsi que de la sécurité et des intérêts de la communauté internationale dans son ensemble. Certaines figures liées au Polisario ont joué un rôle important dans les récents troubles qu’a connus la région. Cela va du recrutement des mercenaires pour défendre le régime de Kadhafi dans ses derniers jours à la fourniture de combattants pour les alliés d'AQMI dans le nord du Mali et même des otages occidentaux à échanger contre rançon. Le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki -Moon, s’est exprimé ouvertement sur le fait que « la montée de l'instabilité et de l'insécurité au sein et autour du Sahel » et le risque de « débordement» des combats au Mali nécessitent «un règlement urgent » de la « bombe à retardement » qu’est la question du Sahara. Les Etats-Unis devraient faire de la résolution du conflit du Sahara occidental - et les camps du front Polisario autour de Tindouf qui posent de plus en plus une menace à la sécurité régionale en tant que terrain de recrutement pour les extrémistes et les criminels - une priorité diplomatique. Bien sûr, quelque soit la solution adoptée, pour qu’elle ait une chance d'être viable et durable dans le temps, elle doit non seulement respecter les principes du droit international, mais être aussi nécessairement fondée sur la réalité géopolitique. Ainsi, Washington devrait aussi réaffirmer sa politique de longue date de soutien à la proposition marocaine d'autonomie comme base pour une solution réaliste.

L’une des causes les plus souvent invoquées pour expliquer le terrorisme, est l’extrémisme religieux. Sachant que le Maroc a toujours été pour l’ouverture sur toutes les cultures et les civilisations. Quelles sont les champs de coopération possible entre les Etats-Unis et le Maroc pour combattre les extrémismes ?

La diversité culturelle adoptée par la nouvelle constitution marocaine est unique dans sa reconnaissance explicite que la culture nationale du Maroc est enrichie et nourrie par des influences africaine, andalouse, hébraïque et méditerranéenne. Le Maroc est aussi activement engagé dans une vaste campagne de lutte contre la radicalisation. Sous la direction de Mohammed VI, les autorités marocaines ont mis en place un éventail de programmes culturels et religieux pour lutter contre la dérive des jeunes vers l'extrémisme violent. Le Roi en sa qualité de Amir Al Mouminine a favorisé les courants musulmans modérés dont notamment l'école malékite de jurisprudence, la théologie Ash'ari, et le mysticisme soufi. En outre, le Maroc a été disposé à partager généreusement cette expérience. Lors de sa dernière visite au Mali pour l'investiture du président de ce pays, le souverain marocain a présenté un programme d'assistance qui comprend l'éducation et la formation de 500 imams maliens pour aider à combattre la propagation de l'extrémisme au sein de leurs communautés. En plus d’un programme d’assistance plus conventionnel pour le développement humain (en particulier dans les domaines de la formation des cadres, des infrastructures de base et de la santé) ainsi que des mesures visant le développement du commerce bilatéral et les investissements pour stimuler l'emploi et le transfert des compétences. Les Etats-Unis devraient donc adopter une approche «triangulaire» par rapport à la sécurité et aux efforts de développement sur le plan régional. Le Maroc entretient des relations solides avec les Etats de la région. Et l'aide américaine peut optimiser les avantages des programmes mis en place à l’aide d’un bilan d’efficacité et de durabilité. Washington devrait soutenir les programmes de formation marocains d’envergure en faveur des militaires et des forces de sécurité dans le Sahel et en Afrique de l'Ouest. « African Lion », ou les manoeuvres militaires annuelles conjointes américano -marocaines destinées à améliorer l'interopérabilité, devraient également être élargies pour servir de plate-forme d’un cadre régional de sécurité collective qui aborde non seulement les défis des terroristes et séparatistes, mais aussi ceux liés à la traite et à d'autres réseaux criminels. L'Amérique devrait également étendre son soutien à la lutte antiterroriste régionale et aux efforts déployés contre la radicalisation, en s'appuyant sur la coopération déjà engagée entre le gouvernement marocain et ceux du Mali, de la Mauritanie, du Sénégal et d'autres pays africains. Il s’agit vraiment d’une proposition «gagnant-gagnant- gagnant»