ECHANGES COMMERCIAUX Marocains et Américains peuvent mieux faire

Le Maroc et les Etats-Unis sont liés, depuis 2006, par un Accord de libre échange (ALE) qui n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. À qui profite donc cet Accord ? Et pourquoi les entreprises marocaines ont-elles tant de mal à pénétrer le marché américain ?

L’accord de libre-échange signé avec les États-Unis a fait couler beaucoup d’encre. Certains politiciens appellent à la révisionde cet accord et d’autres à la suppression de quelques clauses. « Bien que l’ALE présente beaucoup d’opportunités pour les deux pays, des zones d’ombre persistent pour le Maroc », soutient Youssef El Otmani, le représentant de l’association « Moroccan american network » au Maroc. Et d’ajouter : «Avouons-le, actuellement, ce sont les Etats- Unis qui profitent nettement plus de cet accord ». Et pour cause ! «La progression plus forte des importations par rapport aux exportations a engendré un déficit commercial en défaveur du Maroc », relevait l’Institut royal des études stratégiques (IRES) en 2012. Les exportations de produits marocains vers les Etats-Unis n’atteignent même pas un milliard de dollars par an, alors que le Maroc importe pour l’équivalent de trois milliards et demi de dollars annuellement. «A titre comparatif par rapport à des accords signés entre les Etats-Unis et d’autres pays, nous avons remarqué une croissance des échanges de 25% à 50% dans les deux sens seulement 5 ans après la signature de l’accord, ce qui est loin d’être le cas pour le Maroc », note El Otmani.

Le même son de cloche se fait entendre du côté du département de l'Industrie, du commerce et de l'économie numérique. Pour Moulay Hafid Elalamy, nouveau ministre en charge de ce ministère, les résultats demeurent en deçà des aspirations des opérateurs marocains et américains, compte tenu des réelles potentialités des deux pays. « Depuis l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange entre le Maroc et les USA en 2006, le commerce bilatéral entre les deux pays a enregistré une augmentation de plus de 490%, passant d'un volume global de 663 millions de dollars en 2005 à 3,96 milliards de dollars en 2012», précise le ministre. Le Maroc avait aussi fait son entrée en 2011, pour la première fois, au «Top 5 des marchés arabes» les plus importants pour Washington, avec un volume d’importations de biens américains de 2,86 milliards de dollars durant cette année. Le Royaume se positionnait ainsi en 2011 en quatrième position dans le monde arabe en tant que marché de destination pour les exportations américaines, la première place étant occupée par les Émirats arabes unis avec 15,89 milliards de dollars d’importations, suivis respectivement de l’Arabie saoudite (13,82 milliards) et de l’Égypte (6,18 milliards), selon un classement établi par la Chambre arabo-américaine du Commerce (NUSACC) sur la base de statistiques officielles du gouvernement US. L’ALE, qui offre de nombreuses opportunités pour élargir et diversifier le flux des investissements des deux côtés de l’Atlantique, a aussi permis d’éliminer les droits de douane sur plus de 95% des biens et services échangés entre les deux pays et d’ouvrir la voie à de nouvelles opportunités pour le commerce et les investissements. Pour le Maroc, l’Accord prévoyait dès sa mise en vigueur une exonération quasi totale (99%) sur les produits nationaux, ouvrant ainsi de réelles opportunités pour le textile, l’agro-industrie et les produits de pêche.

Aujourd’hui, l'agroalimentaire marocain représente l’un des secteurs qui bénéficient le mieux du marché américain. Les États-Unis ont, en effet, doublé leurs importations alimentaires au cours des dix dernières années. Ce segment représente, à lui seul, plus de 85,5 milliards de dollars. En outre, pour les textiles marocains utilisant des intrants étrangers autres que les Etats-Unis, il est prévu un quota de 30 millions de m2 par an et pour une durée de 10 ans. «Malheureusement, cet avantage demeure sous-exploité», déplore Hanine Tazi, directeur de Pôles industrialisation & compétitivité, intégration & maillage, commerce & marché local de l’AMITH. Les statistiques qu’il avance montrent en effet un taux d’utilisation des quotas de 8% sur la période 2006-2012. Si les textiliens ont du mal à profiter aujourd’hui de cet accord, c’est pour des raisons que Tazi explique par la parité euro/dollar donnant l’avantage à la destination Europe aux yeux des industriels. Cette parité tend actuellement à s’améliorer en faveur du dollar, rendant le marché US plus attractif. Sur un autre registre, les crises successives qu’ont affrontées les industriels ont diminué leur capacité de réponse sur ce marché. « L’amélioration observée actuellement de nos exportations sur les marchés traditionnels devrait permettre de revenir en capacité pour adresser le marché outre atlantique », prévoit Hanine Tazi. Ce qui lui redonne espoir, c’est la stratégie Vision Textile 2025.« Une fois entérinée par les pouvoirs publics, cette stratégie renforcera le secteur grâce à une plus grande intégration de l’amont, et permettra de mieux répondre aux besoins de ce marché de capacité et d’en capter les opportunités ».

Seul bémol, selon Tazi, l’absence de ligne maritime directe entre le Maroc et les Etats-Unis. « Une entrave de taille sur laquelle nous travaillons», assuret- il. Obstacles à lever Une rencontre organisée en avril dernier par la Chambre de commerce américaine au Maroc (AmCham) autour du thème «Les exigences du marché américain pour les produits pharmaceutiques et agroalimentaires », a permis de reconfirmer que les sociétés marocaines ont toujours du mal à se faire une place sur le marché américain. «L’optimisation des exportations marocaines vers le marché US dépend avant tout du degré d’agressivité de nos opérateurs et de leur capacité à proposer une offre adaptée aux spécificités de ce marché gigantesque», explique un expert dans les échanges maroco- américains. Cette situation est due, selon les Américains, à la structure de l’économie marocaine qui reste marquée par un nombre réduit de grossistes. Aux États-Unis, c’est le système des trois tiers qui domine et que se partage fabricants, grossistes et détaillants. Or au Maroc, nous n’avons que des fabricants et des détaillants. À ces facteurs, s’ajoutent d’autres inhérents à la spécificité du marché américain, particulièrement sa normalisation. Selon Youssef El Otmani, ce marché se caractérise par son niveau d’exigence très élevé en matière de qualité.

Cela se traduit par les normes et procédures « des fois complexes » à respecter. Exemple, les normes sanitaires constituent le principal obstacle sur lequel butent les entreprises marocaines, surtout celles opérant dans l’agroalimentaire. Les critères de conformité sont légion dans la réglementation américaine: étiquetage, emballage, analyses microbiologiques, allergéniques et phytosanitaires…« Il n’est pas évident pour un nouvel entrant marocain de s’introduire sur le marché américain sans aucun appui», concède AmCham. Lors d'une récente rencontre organisée par l'Asmex, la Douane à Agadir et l’ISCE sur les préalables nécessaires pour l’accès des entreprises au marché américain, Mohamed Bensouda, directeur général de l'IESC, a relevé que la méconnaissance du marché cible, la mauvaise évaluation des moyens financiers et la pratique insuffisante de l'anglais commercial ou encore l’absence de réseau local sont des facteurs élémentaires d’échec face au marché US. Les clés seraient, selon différents spécialistes ayant participé à la rencontre : la segmentation, la diversification et le positionnement produit. Une démarche indispensable dans un Etat-continent de plus de 300 millions de consommateurs hétérogènes (par leurs ethnies, religions, communautés…). En effet, le marché américain compte une multitude de sous-marchés, chacun constitué de dizaines de millions de consommateurs. «Ce pays-continent effraie par sa taille et son éloignement, mais il faut le segmenter et l’appréhender comme plusieurs marchés en un», a recommandé Bensouda. Et d’ajouter : « C’est un marché saturé qui suppose une démarche de niches définie à partir de la demande du consommateur: consumer driven marketing ». La balle est donc dans le camp des entreprises marocaines exportatrices.