HAFID STITOU : « Jouer est une manière pour moi d’explorer la schizophrénie ! »

L’acteur franco-marocain nous parle de son dernier film « Come back » signé Brahim Chkiri. Un drame social où il campe avec brio le rôle d’un père de famille violent et alcoolique et qui devrait sortir prochainement dans les salles marocaines. Rencontre avec un acteur vrai, forgé par la vie, une personne digne avec une belle âme, solidaire des plus démunis en ce temps de crise sanitaire, avec des valeurs comme il n’y en a plus !    Entretien réalisé par Kawtar Firdaous

L’Observateur du Maroc et d’Afrique: Tout d’abord, comment vous portez-vous en ce temps de crise sanitaire ? Décrivez-nous une journée type chez vous pendant le confinement ?

HAFID STITOU  : Avant tout, j’espère que nous allons sortir rapidement de cette horrible crise. Mes journées sont banales, comme c’est le cas pour des millions de gens de part le monde. Je me réveille vers 9h, je prends ma douche, je donne à manger aux chats, puis je prends mon petit déjeuner en regardant les informations. Un peu plus tard dans la matinée, je fais du jardinage, je converse un peu avec mes amis pour prendre de leurs nouvelles. Vers 12H, je consulte mes emails et l’après midi, je fais un peu de lecture ou je regarde un vieux film. Le soir, je fais un peu de sport et je surfe sur internet… Je dois avouer que je suis très chanceux, car je suis conscient que ce n’est pas le quotidien de beaucoup de gens qui vivent dans la précarité.

Que faites-vous pour rester en forme ? Que conseillez-vous aux gens de faire en cette période de crise ?

Je fais tout pour rester actif, je mange sainement, notamment beaucoup de fruits et de légumes et très très peu de viandes. Je me fais des jus frais chaque matin à base de brocoli, concombre, carottes, fenouil, gingembre et cannelle. Mes aliments sont riches en fibres et pauvres en sucreries. Je pratique un peu de sport, je fais des exercices simples (stretching pendant 20 mn), je bouge énormément et en famille, c’est encore mieux. Il faut  éviter de rester à longueur de journée devant la télévision. De temps en temps, je joue aux cartes ou aux échecs, je bouquine… Il m’arrive même de repeindre des recoins de mon appartement. Bref, il faut s’occuper en permanence même si votre maison est petite.

J’ai vu sur votre page Facebook que vous avez aussi offert vos services pour venir en aide aux personnes âgées, genre leur faire les courses… ?

Oui, c’est très important d’être solidaire en ce temps de crise sanitaire surtout avec les plus démunis et  les vielles personnes qui sont très vulnérables. C’est la moindre des choses que l’on puisse faire et c’est un devoir envers notre prochain.

Comment se passe la vie chez vous en Belgique ?

Les gens sont disciplinés, la Belgique est un petit pays mais grand par son système social. Ils sont toujours très prévoyants et à la pointe de la technologie.

Dans « Come back », vous interprétez le rôle d’un père de famille qui a vu sa vie basculer lorsqu’il a perdu son emploi. Et qui s’est mis à violenter sa femme tout en sombrant dans l’alcool. Pourquoi avoir choisi ce rôle ?

Je ne l’ai pas choisi, c’est Brahim Chkiri qui me l’a proposé. Et pour être franc, j’accepte les yeux fermés n’importe quel rôle venant de lui. C’est un des plus grands réalisateurs que nous avons au Maroc, il est talentueux et est connu pour sa marque de fabrique bien à lui. Nous devons encourager nos talents et les tirer vers le haut. Pour ce qui est du personnage, je crois que c’était un rôle sur mesure pour moi. Vous savez, la violence l’alcool, le chaos que cela engendre…, il y a tellement de personnes qui vivent ces drames au quotidien : les femmes battues, les pères absents, les maris démissionnaires, la religion mal comprise et toute cette tristesse et ces tensions qui en découlent et qui font éclater la cellule famille …  C’est pour toutes ces raisons que  Brahim en a fait un film et je suis heureux d’y avoir apporté ma modeste contribution.

Comment vous avez préparé ce rôle ?

Je n’ai pas de méthode à proprement dit. Je n’ai rien préparé, j’ai énormément échangé avec Chkiri à propos du personnage et du scénario, il a essayé de me transmettre toutes ces émotions qui peuvent émaner du personnage. J’ai par la suite essayé de transférer ces émotions devant la caméra du mieux que je pouvais. Après, quand c’est dans la boîte, vous ne pouvez plus rien faire et c’est le réalisateur qui choisit les meilleurs prises au montage.

Comment était l’expérience avec Brahim Chkiri ?

Brahim est un réalisateur très calme et serein. Il a sa propre vision des choses, il sait ce qu’il veut. Moi, je ne suis qu’un outil entre ses mains, j’attends qu’il me façonne, qu’il me pousse à m’explorer ; voila le vrai « kiffe » pour un acteur : se découvrir, vivre le rôle et oublier ce qu’il y a autour, s’oublier soi-même et se fondre dans le personnage. En fait, c’est une manière pour moi d’explorer ce qu’est la schizophrénie.

Vous interprétez souvent des personnages sombres et des rôles de méchants tourmentés. Qu’est ce qui vous attire en cela ?

Dans la vie je suis hyperactif et je déborde d’énergie, c’est ma nature. Le fait de jouer des méchants m’amuse car je suis tout le contraire dans la vraie vie. Je fantasme aussi à travers un personnage qui ne me ressemble pas.

Pensez-vous à faire de la comédie un jour ? 

Oh que oui ! J’aimerai jouer dans une comédie. Et comment !  J’attends cela depuis longtemps. Je rêverais de réitérer encore une fois l’expérience avec Brahim Chkiri. Je crois qu’il détient la bonne recette.

Vous écrivez aussi des scénarios ? Vous réalisez des courts métrages ?

Oui, j’écris des scénarios comme énormément d’acteurs mais beaucoup d’écrits restent dans les tiroirs. Cela dit, j’ai eu la chance de réaliser mes propres projets comme le court métrage « Seth » en 2017 qui est un polar sombre sur le trafic des organes.

Vous préférez être acteur ou réalisateur ?

Acteur bien sûr ! La réalisation est un domaine tellement complexe que je m’y aventure doucement.

Qu’est ce qui vous inspire ?

La famille m’inspire énormément. Je suis issu d’une famille nombreuse et très modeste, d’un père ouvrier illettré et d’une mère érudite qui ne vivait que pour ses enfants, complètement dévouée pour les pauvres, surtout au Maroc. Nous avons êtes élevés avec beaucoup de dignité et je trouve cela formidable.

Les sujets qui vous touchent le plus ?

Les sujets sur les enfants me touchent particulièrement, les gens qui jugent les autres et scrutent la vie de chacun, les raisons qui poussent un homme ou une femme à basculer dans le mauvais camp avant de passer à l’acte, la rédemption, le pardon,… en gros, les choses complexes de la vie et qui des fois nous dépassent. Le pourquoi de tant de malheurs et de déviances ?

Vous considérez-vous comme un artiste engagé ?

Non, absolument pas mais je suis une personne qui a des valeurs.  A cause de cela, je suis passé à coté de très beaux rôles au cinéma mais que finalement, n’étaient pas pour moi !

Un réalisateur avec qui vous aimeriez travailler ?

Il y en a tellement. Au Maroc, il y a Noor-Eddine Lakhamri qui a  un univers très complexe et intéressant, pour ne citer que lui. Mais il y à beaucoup d’autres aussi.

Comment voyez-vous l’avenir du cinéma marocain ?

Au Maroc, le cinéma doit être plus indépendant. Les riches doivent mettre les mains à la poche pour produire des œuvres nationales. Il n’y a que de cette manière que nous arriverons à avoir une vraie industrie cinématographique. Nous avons le CCM avec à sa tête Sarim Fassy Fihri qui fait un boulot remarquable, nous avons besoin d’hommes comme lui mais il faut arrêter de prendre le CCM pour une banque ! Nous devons absolument chercher d’autres sources de financement, des investisseurs, des sponsors, des gens pour créer une micro industrie du cinéma au Maroc.

Quels sont vos projets ?

« Come back » devra sortir prochainement, j’ai joué avant dans un film belge « Cleo » d’Eva Cools (2019). Mais pour le moment, je suis en mode confinement avec ma famille et je prie Dieu pour que tout cela se termine très vite car il y a beaucoup de tristesse sur terre en ce moment. J’espère néanmoins que les gens soient plus solidaires et moins avides de cupidité. Pensons à nos enfants, laissons leur au moins une chance d’avoir un monde meilleur