Violences à l’encontre des femmes: Les centres d’écoute brisent l’omerta

SOUTIEN Le Maroc compte 70 centres d’écoute des femmes victimes de violence. Ils fonctionnent, hélas, à plein régime. Coup de projecteur sur l’expérience de l’Association marocaine de lutte contre la violence à l’égard des femmes (AMVEF).

Au centre de ville de Casablanca se trouve le Centre d’écoute et d’orientation juridique et de soutien psychologique pour femmes victimes de violence (le Centre). En ce lundi matin, la salle d’accueil de cette structure affiche complet. Des femmes d’origines sociales diverses, des jeunes et moins jeunes se présentent avec un épais cahier de doléances. Parmi elles, des femmes portent des signes de coups et de blessures. La fin d’un tabou Il y a 18 ans, ce premier centre au Maroc ouvre ses portes. «En 1995, la violence conjugale était encore un tabou dans la société marocaine», se remémore Najat Errazi, membre de l’Association marocaine de lutte contre la violence à l’égard des femmes (AMVEF), porteuse de ce projet. Dès sa première année, le centre reçoit 304 cas de femmes violentées par son mari ou un membre de sa famille. Deux décennies après, le Centre accueille plus de 1000 cas par an. «La violence faite aux femmes est en constante progression. La nouveauté, c’est que les victimes n’hésitent plus à venir dénoncer les violences qu’elles subissent», observe Aicha Ferdaous, responsable du Centre de l’AMVEF. Par contre, une constante, les auteurs de la violence sont dans leur majorité les maris (79%) ou l’ex-mari (9,5%). Sanaâ * , 24 ans, s’est mariée il y a deux ans avec un collègue de travail. De cette union est né un bébé de 7 mois.

Depuis une année, elle mène une vie insuppor- table. Elle nous confie les raisons de cette première visite au centre : « Mon mari me frappe et me maltraite, il refuse de prendre en charge son fils de 7 mois ». Cette jeune femme nous raconte le calvaire qu’elle subit : « Je vis chez mes parents depuis des mois. Mon mari refuse de me remettre ma CIN ou le carnet d’état civil. Il ne veut rien savoir. Il prend des drogues et j’ai peur pour moi et pour mon enfant». Pourtant, Sanaâ est prête à revenir vivre avec son mari à condition «qu’il me respecte et qu’il prenne en charge son fils». L’équipe du Centre reçoit quotidiennement des dizaines de cas similaires. Sa mission est d’assurer à ces femmes un suivi juridique et psychologique. «Nous devons d’abord écouter ces femmes, leur récit et leurs demandes. Leurs revendications peuvent être un accompagnement juridique pour la demande de divorces ou juste un soutien pour les femmes fragilisées par la pression qu’elles subissent», explique A. Ferdaous. Rania* a été violée par son mari et trois de ses amis. Trois ans après ce terrible crime, elle tente de retrouver une nouvelle vie. Aujourd’hui, elle est bénévole au Centre. «J’ai passé des moments très difficiles, mais grâce au soutien du Centre, j’ai pu m’en sortir», souligne-t-elle. Cette chef d’entreprise menait une vie de couple paisible jusqu’au jour où son mari commence à avoir de mauvaises fréquentations. «Au moment de la procédure du divorce, j’ai subi des violences physiques et psychologiques de la part de mon ex-mari. Une fois, il m’a jeté du 1er étage de l’appartement où j’habite.

Malgré mes plaintes, il n’a jamais été inquiété. Une deuxième fois, il débarque avec trois de ces amis. Ils me violent. Chez la police, ils m’ont demandé des preuves matérielles pour attester mes accusations. Je n’avais que le certificat médical pour prouver les violences sexuelles subies. À leurs yeux, ce n’était pas suffisant pour le poursuivre car il était toujours mon mari», s’indigne Rania, qui tente toujours de tourner cette page difficile…Elle se propose d’assister les victimes. «Elles trouvent de la facilité à se confier à moi. J’étais dans la même situation qu’eux, je comprends leurs angoisses», affirme-t-elle. Au chevet des femmes Au Centre, les violences subies par des femmes sont diverses. Dans les statistiques de l’AMVEF, il ressort que dans 20% des cas, il s’agit de coups et blessures, dans 18% d’insultes, 14% d’humiliations, 13% de non subvention aux besoins familiaux, 6% de renvoi du domicile conjugal, 5% de menaces, 3,5% de menace d’assassiner l’épouse, 3% d’absence de communication et 2% de sodomisation. En 2012, le Centre a enregistré 23 cas de viol conjugal. Sur le plan national, le tableau est aussi noir. Les résultats de l’Enquête nationale de la prévalence de la violence à l’égard des femmes publiée par le Haut commissariat au plan en 2011 sont inquiétants. Sur 9,5 millions de femmes âgées de 18 à 64, 6 millions, soit 62,8%, ont subi un acte de violence.

Dans 48% des cas, il s’agit de violences psychologiques, 31% d’atteintes à la liberté individuelle, 17,3% des cas sont des violences liées à l’application de la loi, 15% des violences physiques, 8,7% des violences sexuelles et 8,2% des violences économiques. En attendant la loi En décembre 2012, Abdelilah Benkirane avait contesté ces chiffres les qualifiant «d’irréalistes». Le chef du gouvernement riposte en lançant en septembre 2013 l’Observatoire national de lutte contre la violence à l’encontre des femmes. Bassima Hakkaoui, Ministre de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social a présenté au Conseil du gouvernement du 7 novembre, le projet de loi 13-103 portant sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes. Ce projet suscite l’ire des ONG féministes. Plus de 60 associations féministes publient un communiqué le 6 novembre pour dénoncer « leur mise à l’écart de l’élaboration de ce projet ». Fatéma-Zahra Chaoui, présidente de AMVEF nous explique : « ce texte ne répond aux revendications des ONG oeuvrant dans ce domaine depuis dix ans. Il ne comporte que des modifications apportées au Code pénal et sa procédure. Le projet fait l’impasse sur la dimension préventive, les approches Genre et Droit». Pour cette raison, entre autres, le gouvernement a décidé reporter l'examen de ce projet. Benkirane temporise et décide de présider une commission chargée d'examiner ce texte pour y apporter les amendements nécessaires. Cette décision ne risque-t-elle pas de reléguer aux oubliettes, une nouvelle fois, ce projet tant attendu ?