Attention à l’endormissement

Ahmed Charaï

 

En communication politique, les discours peuvent faciliter l’action publique ou se transformer en entrave, s’ils sont brouillons ou, pire, totalement irréalistes. 

 

La réaction des autorités marocaines face au Covid-19 a été unanimement saluée et ce tant face à l’urgence sanitaire qu’en réponse aux impératifs socio-économiques. Mais les mesures prises sur le plan économique n’ont qu’une espérance de vie très limitée. À fin juin, les réalités seront très dures. Le déficit de l’État avoisinera les 10%, le taux de chômage dépassera les 12% et la dette publique dépassera les 120% du PIB. Relancer l’économie dans ces conditions ne sera pas chose aisée. Seulement et seulement si....

 

Or quel est le discours ambiant ? 

 

« Le gouvernement prépare une batterie de mesures pour que l’économie se rétablisse au plus vite », dixit le chef de gouvernement. « Les banques devront faire un effort supplémentaire », écrit la CGEM. 

 

On est en train de se bercer d’illusions et de laisser entendre que dans quelques mois nous serons au bout de nos peines. 

 

Le discours de la vérité, c’est qu’il nous faut entre 2 et 3 ans pour remettre en marche une majorité de secteurs et non pas la totalité. Les grands débats sur le nouveau modèle de développement n’ayant aucune chance d’être tranchés demain, concentrons-nous sur les réalités.

 

Que peut faire le gouvernement de plus pour relancer l’économie ? 

La première mesure qui vient à l’esprit ce sont les marchés publics, sauf qu’il faut les financer alors que nous sommes au maximum autorisé pour l’endettement externe. Le Trésor va donc se tourner vers les banques, si on exclut la planche à billets. Alors aura lieu l’effet d’éviction. L’argent récolté par le trésor pour financer les dépenses de l’État manquera au financement des entreprises et des ménages, c’est mécanique.

 

Le système bancaire marocain est solide, parce que nous l’avons voulu ainsi. Il s’applique les règles prudentielles de Bâle 4, les plus sévères. Seules quelques puissances économiques arrivent à y adhérer. Cette solidité du système bancaire lui permet d’accompagner le développement, mais aussi de se projeter à l’étranger, où en l’occurrence il accompagne la politique africaine du Maroc. On demande aux banques aujourd’hui d’accorder des crédits sans marges, c’est un gros risque, pour ne pas dire que c’est de la démagogie. Si nos banques se retrouvent fragilisées par un taux élevé d’impayés et des marges inexistantes, c’est l’ensemble de l’économie qui en pâtira.

 

Cessons de dire aux Marocains : « on s’occupe de vous, ça ira ». Traitons-les en adultes, disons-leur que la situation sera très dure, et cela durera dans le temps, mais que nous espérons pouvoir y arriver. Au moins il n’y aura pas de déceptions.