Covid-19. Le confinement déchire les couples

           

L’isolement serait redoutable pour certains couples. Le risque de voir ressurgir des conflits sous-jacents et approfondir les sujets de discorde est important. Occasion de se retrouver mais également menace pour l’unité du couple, le confinement est à double tranchant. 

 

En Chine, à la fin du confinement, les bureaux administratifs croulaient sous les demandes de divorce. Aux Etats Unis et  en France, les sociologues et les psychologues craignent qu’une autre vague survienne après le déconfinement. 

Ici au Maroc, on n’est pas à l’abri. « Le couple, ses problèmes et ses mutations, c’est universel. Ici, nous parlons d’une même crise vécue par tous en même temps, forcément on aura les mêmes résultats avec certaines variantes. Le couple  marocain n’a pas été épargné et nous devrons nous attendre à un grand nombre de ruptures et de divorces au bout de cette période de confinement », nous explique Maria Bichra, love coach. Travaillant en visioconférence depuis l’instauration de l’état d’urgence sanitaire, elle sait de quoi elle parle. Confrontée quotidiennement aux turbulences secouant la vie conjugale de plusieurs Marocains et étrangers, en cette période de confinement, elle affirme que cette expérience est l’une des plus rudes épreuves imposées au couple actuel.

« Le fait d’isoler les époux dans des espaces limités risque de faire surgir des conflits sous-jacents. Après quelques jours plutôt calmes, les choses sérieuses commencent. Des petites réflexions acerbes sur des sujets anodins, des prises de tête inutiles sur des disputes qui traînent depuis des mois… Personne n'est épargné. Ce qui diffère d'une relation à l'autre, c'est l'intensité de l'électricité ambiante. Il faut dire que se voir sans arrêt a de quoi user la patience », analyse Dr Mosatafa Massid, psychologue clinicien.

Entre le marteau et l’enclume 

Isolés, coincés entre quatre murs, angoissés … On est vite tenté de sombrer dans la déprime et d’exorciser ses propres démons en s’en prenant à l’autre. « Lorsque le couple a un passé violent ou l’une des parties est violente, le confinement devient un véritable danger, une menace permanente. Privés des échappatoires habituelles, qu’est le travail, le café, le bar, la famille ou les amis, le couple doit se faire face en permanence. Les tensions sont exacerbées sans aucune soupape en vue. Les choses risquent de dégénérer gravement », alerte Bichra.

Plus qu’un risque, la hausse de la violence domestique liée au confinement est aujourd’hui un fait avéré. Les récits et les alertes lancées de toute part par les psychiatres, les acteurs associatifs, les observateurs et par les instances relevant de l’ONU sont sans appel. Les associations de protection des droits des femmes s’en alarmaient et les premiers rapports l’ont malheureusement confirmé : l’état d’urgence sanitaire intensifie le risque de violence domestique. Pire, le foyer confiné constitue un terreau fertile pour la prolifération d’actes violents de toutes natures, envers les femmes mais aussi envers les enfants.

Une situation alarmante dans le monde entier mais également dans notre pays. Bouchra Abdou, directrice de l’Association Tahadi pour l’égalité, nous affirme que nous ne sommes pas mieux lotis. « La situation s’aggrave de plus en plus. La grande tension générée par le confinement et le stress psychique qui en découle, empoisonnent la situation dans des foyers déjà fragilisés psychiquement et socio-économiquement », explique l’activiste. En contact direct avec des femmes violentées, le centre d’écoute de Tahadi recueille chaque jour de tristes récits. «Privées de sortie et n’ayant nulle part où aller pour échapper à leur enfer, beaucoup de femmes sont obligées de subir en silence leur calvaire quotidien», déplore Bouchra Abdou.

Des petits différents qui dégénèrent, des anomalies de couple qui prennent d’autres dimensions, des violences amplifiées et parfois même des liens qui se dénouent. Le Covid 19 n’a pas épargné les mariages. Grippés à fond, ils ont vite succombé. « Si les tensions et les conflits existent effectivement, il ne faut cependant pas oublier que le confinement a aussi du bon », tempère le coach qui dit aux couples qui lui demandent conseil que « c’est là une belle occasion pour se retrouver, nous qui n’arrêtons pas auparavant de nous plaindre du manque de temps ». Selon elle, il faut profiter du confinement et le rentabiliser en renforçant les liens, en se redécouvrant les uns les autres et en retrouvant les complicités d’avant. Si le couple est « sain », dit-elle le confinement est en effet une belle opportunité. Ceci dit, le problème se pose principalement chez les couples mal en point, trainant des conflits profonds et où la violence a déjà détruit des liens. « Le confinement, ça passe ou ça casse ! » martèle Maria Bichra. Elle affirme d’ailleurs que cette période a été pour beaucoup de couples, une occasion de remise en question, d’évaluation et surtout d’une prise de décision éminente. La rupture est à la porte.

Le confinement a du bon 

« Tout dépend de la qualité de la relation », affirme de son côté Dr Massid. « Si on avait l’habitude de vivre ensemble sereinement, on a moins de risques d’être confronté aux mêmes difficultés qu’un couple qui battait déjà de l’aile, qui ne s’entend pas déjà, ou celles d’un couple infidèle ou encore un nouveau couple », énumère le spécialiste. D’après lui, d’autres facteurs vont entrer en jeu: La présence des enfants, un éventuel problème de santé, le télétravail, le chômage, la famille recomposée, la belle-famille … autant de sources de conflit multifactorielles. « Le stress conjugal, une lutte pour le pouvoir, un rapport de force, une communication compliquée ou défaillante, la répartition des tâches, le manque de recul et d’espace, la pression sexuelle et affective, le sentiment de solitude ou d’abandon… sont autant de facteurs intrinsèques liés à cette situation imprévisible, extraordinaire et surtout déstabilisante », explique le clinicien.

Pour rester positifs, les spécialistes ont de bons conseils pour préserver le couple, régénérer les énergies positives et amortir l’effet oppressant du confinement. Selon eux, il est opportun de « travailler et se redécouvrir ensemble; relire l’histoire du couple en évoquant les plus beaux souvenirs, photos et vidéos (de fiançailles, mariage, voyage à deux …); lettres d’amour qui sont autant d'amorceurs de bons souvenirs ». On est alors dans un état d'esprit qui permet le retour de sensations merveilleuses pour établir une communication non violente tout en se rapprochant et resserrant les liens. Plus pratique encore, ajoutent nos experts, on peut se livrer à des activités créatives et se projeter dans l’avenir en élaborant des projets communs et établir des jeux soupapes permettant d’alterner le pouvoir et d’offrir une marge de liberté et d’expression au compagnon ».