YORIYAS « Le photographe se doit d’écrire l’Histoire de son pays »

Après une brillante carrière de breakdancer, Yassine Alaoui Ismaili (alias Yoriyas), 34 ans, a consacré la majorité de son travail photographique à la ville de Casablanca avant de se retrouver photographe Free-lance pour le compte du New York Times et curateur pour l’exposition inaugurale du nouveau Musée National de la Photographie de Rabat. Lauréat du prix des Amis de l’Institut du Monde Arabe pour la création contemporaine en 2019, exposé à la Fondation d'entreprise Hermès, ce génie de la photo de rue, obsédé par le mouvement est un grand passionné de la photographie documentaire. Sa série "Casablanca: not the movie” portant un regard spontané, gymnastique et onirique sur la capitale économique du Maroc, intéresse les Galeries du monde entier. Entre la Galerie 193 à Paris à la Akaa_fair, Yoriyas dont les œuvres sont actuellement exposées à la Galerie 386M à San Fransisco, au même titre que Banksy, joue désormais dans la cour des grands. Rencontre avec une pépite de la photographie d’un autre genre, Made in Morocco.

 

 

Vous avez profité du confinement pour lancer un concours de photographie sur Instagram ?

 

Oui, j’ai lancé avec la commissaire indépendante Carine Dolek et le photographe Hamza Zidane un concours photographique sur ma page Insragram. C’est un #Hashtag   (en français : prends des photos chez toi), où on invite tous les amateurs et professionnels à partager leurs photos prises chez eux pendant le confinement. C’est une manière pour les participants de laisser libre court à leur imagination pour raconter de manière créative leur quotidien, tout en restant chez eux. Ce travail à caractère documentaire permettra aux Marocains de créer ensemble des archives visuelles et d’éterniser des moments uniques de que nous vivons dans le monde et qui serviront après à faire une analyse de la situation. Chaque semaine, 10 photos sont sélectionnées et nous invitons deux membres de jury internationaux (USA, Iran, Italie, …) pour désigner les gagnants. Les lauréats remportent un appareil photo et auront la possibilité de faire une exposition par la suite. En fait, mon souci majeur a toujours été de trouver un moyen pour développer la photo au Maroc et je suis ravi de voir que quatre jeunes photographes qui ont fait partie de l'exposition inaugurale du musée de photographie de Rabat vont exposer au kolga tbilisi photo en Géorgie !

 

Vous travaillez aussi un nouveau projet intitulé «Surreal Holiday».

 

Oui, ce sont des photos que j’ai prise de la ville Assilah pendant le confinement. Comme j’étais coincé avec ma femme là-bas, je me suis rendu compte que la pandémie du covid-19 avait transformé notre visite en vacances surréalistes, d’où le titre de ce projet. Et comme c’est une petite ville, les gens ont l’impression que c’est un espace sûr !  Ce qui est surprenant, c’est de voir tous ces chats et chiens qui ont investi la rue après que les gens l’ont déserté !

Comment êtes-vous passés de la danse à la photo ?

 

En poursuivant des études en Sciences Maths au lycée, j’étais passionné par les échecs et la danse hip-hop. Dans les rues de Casablanca, j’ai peu à peu succombé à cette culture « street » qui m’a mené vers la breakdance. J’ai alors fondé avec des amis ma propre troupe de danse « Lhiba Kingzoo » et on s’est retrouvé champion du Maroc puis champions d’Afrique. On voyageait souvent à l’étranger pour participer à des concours internationaux jusqu’en 2013 où je me suis blessé au genou. Et comme je ne pouvais plus danser, il fallait que je trouve autre chose pour tuer le temps.

Je n’ai jamais pensé devenir photographe. Au départ, lors de mes voyages, j’utilisais mon appareil photo comme un GPS. J’ai une très mauvaise mémoire topographique donc je prenais en photo chaque coin de rue pour retrouver mon chemin plus tard. Un jour, je me suis rendu compte que mes clichés étaient différents ce qui a été fait jusqu’à présent. A savoir : des images touristiques que l’on retrouve sur les cartes postales, des photographies de plateau du film Casablanca ou alors des clichés anonymes qui ne montrent que les aspects négatifs de la ville, comme la misère, la saleté et la violence urbaine ! Et c’est comme ça qu’est née l’idée de ma série « Casablanca not the Movie ». Lorsque je disais aux étrangers que je venais de Casablanca, ils me répondaient : "Oh comme le film, c’est si romantique…”. Je leur disais alors : "Je viens d’une ville aux antipodes du film qui n’a même pas été tourné à Casablanca, mais dans les studios d’Hollywood”.

Qu’est-ce qui vous attire dans la photo de la rue ?

 

La rue c’est un peu chez moi, je respire la rue, c’est mon espace de prédilection. J’adore l’urbain et la photo a été une évidence pour moi. J’ai grandi en m’entrainant dans la rue avec mes amis, je suis habitué à sortir et rencontrer des gens. Je voulais photographier la rue et certains quartiers de Casa de manière positive, j’en avais assez des photographies de poubelles ou d’ordures ! La photographie peut avoir une dimension politique, sociale ou culturelle. Quand on parle de la rue, c’est aussi une manière d’évoquer les changements opérés dans un pays !

 

Vous avez une méthode particulière pour approcher les gens ?

 

J’ai toujours eu l’esprit de la rue, je suis quelqu’un de sociable, je n’ai pas peur d’approcher les inconnus, j’aime discuter, partager des moments de la vie quotidienne, vivre l’instant présent et le capter.  Cette manière d’approcher les gens, de les mettre en confiance, je l’ai hérité de mon père qui m’a beaucoup inspiré pour forger ma personnalité. Quand je prends des photos, je me fonds dans le décor, les gens oublient presque que je suis là, en train de les photographier. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas faire des portraits des gens, mais comment les gens bougent dans un espace donné. J’aime capter le mouvement, l’énergie, la vie, …

Vos photos racontent des histoires ?

 

Au début, j’observais et je shootais ce qui m’attirait comme les couleurs, l’énergie des gens que je croisais. Lorsque je me retrouve dans un lieu bondé, j’essaie de capter cette spontanéité et cette anarchie qui s’en dégage. J’aime bien organiser et mettre de l’ordre dans cette anarchie, j’essaie dans un cadre précis de mettre chacun à sa place, et selon un angle donné de prise de vue, je peux le mettre en avant ou en retrait. L’idée, c’est d’établir un lien entre le sujet photographié et les autres qui se trouvent en même temps que lui dans la rue. Et c’est cela la photographie de rue. Après, tu développes ton travail, tu passes de l’observation au documentaire photos. Tu travailles plus en profondeur. Ma série « Casablanca not the Movie… », interpelle aussi sur la manière dont les étrangers perçoivent Casa. J’essaie de combattre les stéréotypes orientalistes et corriger certaines idées préconçues. J’essaie d’aller au-delà des clichés et proposer autre chose, ma vraie perception des choses, ma vraie réalité et la manière dont je vois ma ville et le Maroc dont lequel j’ai grandi. J’essaie de réhabiliter l’image de la ville de Casablanca à travers mes photos, de montrer comment le Maroc est maintenant, comment on le voit nous, Marocains. Il est temps pour les photographes marocains de se réapproprier ce droit et photographier le Maroc tels qu’ils le voient eux.

 

Que représente la photographie pour vous ?

 

La photo me permet en tant que Marocain, de constituer bien sûr de manière subjective, une sorte d’archives de nos villes. Le photographe a le pouvoir d’écrire l’Histoire. C’est pour cela qu’il est impératif que les gens du pays écrivent leur propre histoire. Les photos sont des indicateurs de développement d’un pays. C’est notre devoir à nous de constituer nos propres archives.

 

Avant la photo, vous vouliez devenir réalisateur ?

 

Oui, parce que j’adore raconter des histoires à ma façon. Mais lorsque j’ai commencé à réaliser des courts métrages, je me suis rendu compte qu’il me fallait une équipe et du matériel coûteux, …je voulais faire des films indépendants qui ne plaisent pas forcément à tout le monde, et donc, c’était difficile de convaincre les producteurs. La photo ne nécessite pas d’équipe ni beaucoup de moyens.

J’ai toujours été attiré par la vie de la rue et les personnages bouillonnants qui l’animent au quotidien. Chaque jour, j’étais témoin de scènes dignes des grands films hollywoodiens. Alors, je me suis dit « pourquoi ne pas capter cette instantanéité fugace, ces énergies et ces moments éphémères ».

 

Des projets ?

 

J’ai plusieurs expositions virtuelles à l’étranger : « Afrique - Aux yeux des photographes » sur le site allemand du patrimoine culturel mondial de Völklinger Hütte en Allemagne et « Just Watch » à la Galerie 386M à San Fransisco (du 19 au 5 juillet 2020). C’est une galerie prestigieuse qui a déjà exposé les œuvres d’artistes de renom comme Banksy, rien que ça!