Entretien: « Tout comportement inhabituel d’apparition récente mérite l’attention des parents »

Entre prolongement du confinement et la non reprise de classes qu’en septembre prochain, les enfants « souffrent psychologiquement ». analyse et conseils de la Pédopsychiatre, Bahia El Ouazzani

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Quels sont les effets psychologiques du confinement sur l’enfant ? 

Bahia El Ouazzani :Le confinement actuel est une situation exceptionnelle à laquelle tous les enfants ne réagissent pas de la même manière, cela dépendra de leur âge, de leurs conditions de vie et de leurs vulnérabilités. Mais les enfants, quel que soit leur  âge, partagent un point commun : ils sont très sensibles aux réactions et au ressenti de leurs parents, à leur façon de vivre cette épreuve et de gérer leurs propres émotions.

En effet, au départ le confinement, annoncé comme court et passager, a été accueilli par la plupart des enfants et adolescents comme une période de «pseudo- vacances» : plus de temps en famille, moins de contraintes de temps, moins d’exigences scolaires. Mais la prolongation de la période de confinement a été chez un certain nombre d’entre eux à l’origine d’un vécu anxiogène. Tous leurs repères ont été bouleversés : rythmes de la journée et de la semaine (tous les jours se ressemblent), rythmes du sommeil, parfois horaires et quantité des repas, arrêt de la scolarité et des activités extra-scolaires, tendance à la sédentarité, diminution voire rupture des liens sociaux (ils ne voient plus les membres de leur famille élargie ni leurs ami(e)s), surexposition aux écrans et parfois crainte d’attraper la maladie ou de voir l’un de leurs proches mourir.

Quels sont les signaux d’alarme à rechercher ?

Plusieurs symptômes peuvent être observés et vont différer selon l’âge, le stade de développement et l’existence éventuelle d’une vulnérabilité sous-jacente. Toute manifestation ou comportement inhabituel d’apparition récente et qui s’installe dans le temps mérite l’attention des parents.

Les enfants aussi bien que les adolescents, ont du mal à verbaliser facilement et spontanément leurs inquiétudes, c’est souvent le corps qui va prendre le relais par l’agir ou par des symptômes somatiques. La souffrance psychologique des jeunes dans ce contexte peut être exprimée par toute une palette de symptômes : l’enfant devient anxieux, stressé, pleure pour un rien, n’arrive plus à dormir ou dort trop au contraire, passe sa journée à manger ou perds complètement l’appétit, s’énerve facilement, se met en colère, refuse tout ce qu’on lui demande de faire ou propose, se plaint de douleurs, n’arrive pas à se concentrer, se remets à faire pipi au lit ou à salir sa culotte alors qu’il était propre…

Il ne faut pas hésiter à prendre l’avis d’un professionnel de la santé (médecin généraliste, pédiatre, pédopsychiatre, psychologue) si les symptômes s’installent dans le temps ou gênent le fonctionnement de l’enfant. Un dispositif digital de soutien a été mis en place par la société marocaine de pédopsychiatrie et professions associées pour répondre aux questions des enfants, adolescents parents et professionnels qui le souhaitent. (www.smppa.ma)

Quel est l’impact psychologique chez l’enfant de la scolarité à distance et la non reprise des cours en classe ?

L’école est pour l’enfant, en plus d’un lieu d’apprentissage, un lieu de rencontre et de renforcement du lien social. Le fait d’être privé de ces échanges épanouissants est ce qui est le plus à déplorer dans cette situation de scolarisation à domicile. L’isolement social perturbe l’équilibre émotionnel de l’enfant qui a besoin pour mieux grandir de s’identifier à ses pairs et d’appartenir au groupe.

L’enfant peut profiter d’un apprentissage à distance si plusieurs conditions favorables sont réunies : l’accès aux cours à travers Internet ou la télévision, l’accompagnement par un adulte en cas de besoin, des rythmes conservés, une concentration suffisante et surtout le fait d’en comprendre l’utilité pour garder la motivation nécessaire.

L’enseignement à distance peut convenir aux enfants mâtures et autonomes, habitués à travailler seuls mais cela peut être un facteur de stress supplémentaire pour beaucoup d’enfants qui ont besoin de la dynamique de classe et du soutien permanent de leurs enseignants pour avancer. Cette situation peut être alors source d’une peur de l’échec voire d’une anxiété de performance, ce qui peut conduire à un comportement d’évitement, d’opposition ou même  de refus face aux  apprentissages.

L’existence de troubles d’apprentissages ou cognitifs antérieurs peut compliquer la tâche de l’enfant, rajouter une difficulté supplémentaire à l’adulte qui l’encadre et renvoyer un sentiment d’échec aux deux.

A noter aussi que la scolarisation à domicile peut exposer parfois les enfants à des violences de la part des parents. Plusieurs parents se sont retrouvés contraints à gérer en même temps les apprentissages scolaires et leurs obligations professionnelles et quotidiennes mais ont aussi pu manquer d’outils pédagogiques ou se retrouver dépassés par le niveau scolaire de leurs enfants, ce qui peut conduire à des situations de surmenage et de détresse psychologique.

L’annonce récente de la non reprise de classe jusqu’au mois de septembre rajoute un relâchement supplémentaire pour plusieurs jeunes qui se trouvent démotivés, sans enjeu particulier pour continuer le programme.

Quels sont vos conseils pour les parents pour rassurer au mieux leurs enfants ?

Il est très important que les parents se montrent disponibles pour leurs enfants : être à leur écoute et à l’écoute de leurs émotions, ouvrir le dialogue autour de la situation actuelle en utilisant des mots simples, pouvoir saisir ce qu’ils ont réellement compris, essayer de les réconforter face à leurs inquiétudes, insuffler du positif au confinement, les encourager à exprimer leurs sentiments à travers le jeu, le dessin et les histoires.

Il est également essentiel de structurer le quotidien en mettant en place des repères temporels et spatiaux qui sont très rassurants pour les enfants. En plus des moments dédiés aux apprentissages, leur proposer des activités adaptées à leur âge en intégrant des moments d’activités en familles, du sport, des jeux créatifs et limiter le temps d"exposition aux écrans autant que possible ainsi que l’accès aux chaînes d’informations.

Il est également souhaitable d’encourager les enfants à maintenir le lien avec les amis et la famille à travers les différents outils informatiques et leur permettre ainsi de se focaliser sur le positif et les préoccupations de leurs âges.

Entretien réalisé par Mounia Kabiri Kettani