Une polémique qui dérive
Ahmed CHARAI

Zakoura, une ONG, et son président Nouredine Ayouch ont organisé des journées d’études et ont abouti à la conclusion qu’il faut utiliser le dialectal pour l’enseignement primaire, et, accessoirement, diminuer la part de l’enseignement religieux en bas âge. Branle-bas de combat, la polémique s’enflamme. Entre ceux qui y voient une tentative de disloquer la nation, ceux qui accusent les francophones de vouloir préserver leurs privilèges et ceux qui pensent que l’arabe et le Coran sont liés et que c’est donc l’Islam qui est mis en cause, nous sommes servis. Même Abdellah Laroui est sorti de sa retraite pour se servir du sujet, estimant que l’unité nationale était menacée. C’est donc devenu un problème identitaire. Restons calmes et cantonnons le débat dans ses limites. La darija, langue d’enseignement, c’est une vraie mauvaise-bonne idée. Tout simplement parce que c’est un autre ghetto. Il faut la codifier, ce qui prendra des générations, d’autant plus qu’il existe des darijas régionales et non pas une seule darija nationale. Et cela ne résout rien par rapport à l’acquisition du savoir. Laroui a toutefois raison de soulever la problématique du passage de l’oral à l’écrit. Le drame n’a rien d’idéologique, il est très pragmatique.

En 1978, le Maroc a procédé à une arabisation sauvage qui a détruit l’école publique, parce qu’elle l’a privé de son rôle de moteur social. Tous les linguistes le savent, une langue peut servir pour la transmission des sciences et techniques quand les sociétés qui la parlent sont acteurs de la création de ces sciences et techniques. Aucune société ne parle l’arabe classique et le monde dit Arabe est absent sur ce terrain. C’est pour cela que 40 ans après, il nous est impossible de proposer des cursus scientifiques au supérieur en langue arabe. Les déperditions sont énormes. Il suffit de comparer le nombre de bacheliers scientifiques aux diplômés du supérieur. La mondialisation étant un fait, pas un choix, l’avenir c’est le multilinguisme. Toutes les études prouvent que les enfants sont capables d’apprendre plusieurs langues en même temps. L’arabe peut être la langue véhiculaire pour les matières relevant des sciences humaines. Les maths, la physique, les sciences de la vie et de la terre doivent être enseignées en langue étrangère. Pour des raisons historiques, le français s’impose. Mais rien n’interdit des cursus en anglais ou en espagnol. Cette polémique, qui dérive, oublie l’essentiel. Il ne s’agit pas d’idéologie, mais de former des jeunes capables de trouver un travail et de participer à la création de richesses dans une économie mondialisée.