Moutons écrasés : Le verdict est-il équitable ?

 

Un mois de prison et une réparation de 20.000 dhs à verser aux plaignants, c’est le verdict « controversé » de l’affaire du ressortissant français qui a écrasé le bétail d’un jeune berger, à la commune de Mansouria. Les réactions  

Par Hayat Kamal Idrissi 

Début mai, la vidéo choc du massacre ébranle l’opinion publique. La scène s’est déroulée à plage David. Un homme à bord d’une voiture roulant sur une piste, fonce sur un troupeau de moutons en les écrasant sous le regard effaré de leur berger, un enfant. Le tueur est un ressortissant français établi au Maroc. En quelques secondes, Michel S. Pizzaïolo tue plusieurs moutons, avant de s’adresser au petit berger en le menaçant «Casses-toi, car sinon tu vas faire comme les moutons !». Des images choquantes qui ont provoqué l’indignation des internautes sur les réseaux sociaux et ont aboutit à l’arrestation du coupable. 

Crime et châtiment 

Au bout d’une vingtaine de jours, le verdict tombe lundi 18 mai. Le juge du tribunal de première instance de Benslimane a condamné Michel S Pizzaïolo à un mois de prison ferme assorti de dommages et intérêts de l’ordre de 20.000 dirhams, à verser aux plaignants. Les chefs d’accusation étaient « menace de commettre un crime, tuerie et mutilation d’animaux ». Et rebelote, une seconde vague d’indignation. « La peine n’est nullement à la hauteur du crime commis ! », martèle Yassine, acteur associatif de la société civile de Mohammedia.  Les internautes n’y vont pas de main morte non plus. Pour Paula, « Ce monsieur est dangereux et c’est une menace  pour la société. Les gens qui tuent les animaux pour le plaisir, finissent parfois par tuer des gens.  Beaucoup d’études l’on prouvé. Un mois ce n’est pas assez. Six mois, ça aurait pu être beaucoup mieux !», argumente la jeune femme. « Nous avons  confiance en nos juges, mais des fois il y a des choses que nous ne comprenons pas. Si c’était un Marocain qui avait fait ça, est-ce qu’il aurait eu le même jugement ? Si c’était un Marocain qui avait fait ça en France, quel aurait été son châtiment ? », s’interroge perplexe, Saïd.  

Pour la communauté « Protection et actions  pour la défense des animaux », très active dans la dénonciation de la maltraitance et de la cruauté envers les animaux, ce jugement ne prend pas en considération la gravité des actes commis envers cette famille mais aussi contre les pauvres bêtes. « Nous sommes horrifiés par ce que cet homme a fait à ces moutons. C’est un massacre. C’est de la cruauté pure et dure envers des animaux ! Un mois de prison, ce n’est pas assez. Il aurait mérité plus, avec retrait de permis de conduire et une amende de l’ordre de 3000 à 5000 euros », plaide l’administrateur de  cette communauté comptant des milliers d’abonnés en France et au Maroc.  

Une indignation qui se comprend mais qui n’est pas tout à fait fondée, comme nous l’explique Dr Youssef Rabhi, juriste. «A mon avis, le verdict d’un mois de prison est assez équitable », dit-il.  Quant aux dommages et intérêts, il faut quantifier les vraies pertes subies par la famille pour que l’on puisse juger, dit le juriste. Ceci dit, par lui, le juge a du prendre en considération les différents éléments de l’enquête, ses tenants et aboutissants mais aussi les conditions sanitaires et sociales de l’accusé.  

Dommages et intérêts 

Une analyse qui est, apparemment, loin de convaincre les onze associations de droits humains qui se sont portées partie civile dans cette affaire. « Ces associations ne sont nullement satisfaites par ce verdict. Mais pour moi en tant qu’avocat de la famille victime et représentant de l’association « Notre avenir », ce procès a été gagné. 

Youssef Rharib, l’avocat du barreau de Casablanca, a annoncé avoir fait appel mercredi 20 mai. « Notre recours à l’appel sera plutôt pour les dommages et intérêts, nous avons fait ce qu’on a à faire et nous avons confiance en la justice », précise Bouchra Chakir qui assure qu’un mois de prison, « ça peut se comprendre, surtout que la personne en question a 77 ans et qu’elle est déjà malade ». « N’importe quel juge au monde prendra ça en considération », admet-elle

Le avocats ont demandé une expertise vétérinaire pour évaluer les pertes surtout que les bêtes mortes étaient d’une bonne race assez coûteuse. « Mais cette requête a été refusée par le tribunal. Comment donc peut-on évaluer des dommages et intérêts en l’absence de telles données ? », s’interroge Rharib. Pour l’avocat, au-delà de la valeur matérielle du troupeau, la famille victime a subi un profond traumatisme psychique. « Encore sous le choc, l’enfant berger ne dort pas la nuit. Ses parents non plus. C’est une famille qui a été sinistrée à plusieurs niveaux. Nous avons présenté des certificats médicaux qui le prouvent, pourtant ça n’a pas été pris en considération pour la détermination du de la réparation », déplore Y. Rharib. Outre le fait de voir périr ses moutons, l’enfant a du affronter, impuissant, une menace de mort. « Et c’est un crime grave. Les articles de loi 425 et 427 sont clairs là dessus. La peine peut aller jusqu’à deux ans », ajoute le représentant des victimes « qui ne sont pas seulement les humains lésés mais également les moutons massacrés », précise-t-il.  

Droit animalier… Parent pauvre 

Seul avocat au Maroc à intenter des procès de droit animalier et détenteur de plusieurs jurisprudences comme il l’affirme, Youssef Rharib fait valoir l’article 603 et insiste sur le droit à la justice pour tous, même pour les animaux. « Je suis triste du sort de ces pauvres bêtes… Les humains sont capables de se faire justice eux-mêmes mais ces animaux n’ont pas cette chance », regrette pour sa part Bouchra Chakir.

Une affaire qui fait remonter à la surface le grand débat sur le droit animalier dans notre pays et surtout sur son application. Pour Dr Souad Tiali, juriste et activiste des droits humains, la loi marocaine reste loin d’offrir une protection efficace aux animaux et son application encore moins. « Quelques textes (trois) seulement se réfèrent à la maltraitance des animaux et ce n’est pas très élaboré. Aussi ce qui aggrave la situation, c’est la culture de protection de ces créatures qui fait défaut chez les citoyens. C’est rare que l’on pense à déposer plainte et à poursuivre quelqu’un pour avoir maltraité ou commis une atrocité envers un animal. J’encourage d’ailleurs mes étudiants doctorants à élaborer des thèses de doctorat dans le droit animalier pour insuffler un débat sur ce sujet très important », nous explique Dr Tiali.                 

Entre les droits de la famille victime et ceux de leurs bêtes massacrées, l’avocat réclame justice. « C’est tout ce que nous attendons de cet appel : Que justice soit faite pour que cette famille puisse redémarrer et reprendre du bon pied le cours de sa vie. Nous avons d’autres cartes à jouer. Elles seront montrées au moment opportun »,  promet Y. Rharib.

Affaire à suivre !