VISIONS DIVERGENTES DE L’ISLAM D’Oussama Ben Laden au Roi Mohammed VI
Alan H. Luxenberg

Par ALAN H. LUXENBERG, Président de Foreign Policy Research Institute (INSTITUT AMÉRICAIN DE RECHERCHE EN POLITIQUE)

Certains conservateurs confondent l’Islam - la religion - avec l'islamisme - une idéologie politique (ayant plusieurs variantes). À l'inverse, certains libéraux confondent la critique de l'islamisme avec celle de l'islam. Pire encore, parfois les deux parties s'arrogent même le droit de définir l’Islam - soit comme une religion de guerre ou une religion de paix. Mais chaque religion ne peut être définie que par ses adeptes et ces adeptes eux-mêmes peuvent la définir différemment… En effet, Michael Doran a analysé les événements du 11/9 en tant que produit d’une « guerre civile d’autrui », entendant par là, la guerre menée entre musulmans pour définir leur propre Islam. Si Oussama Ben Laden représentait l’extrémité de ce spectre, le Roi du Maroc, Mohammed VI, en représente l'autre extrémité. Comme le président Obama se prépare à recevoir le Roi, ce vendredi, il incombe à tous les Américains de prendre la mesure de l’esprit de ce Roi et de sa vision de l'islam, d'explorer l’envergure de cette vision et ce qu’elle signifie pour les Etats-Unis. La famille royale gouverne le Maroc depuis près de 400 ans. Depuis 1999, Mohammed VI, perpétue la lignée du prophète Mohammed, d’où il tient en tant que Roi, son rôle d’Amir al Mouminine ou commandeur des croyants, le chef religieux et politique du pays. Cela fait de lui un interprète autorisé de l'islam pour les musulmans au Maroc, ainsi que dans l’Afrique du Nord et de l’Ouest où prédomine le même genre d'Islam que celui pratiqué au Maroc, et dans d'autres parties du monde musulman - mais pas pour les djihadistes qui ont déclaré le Maroc un Etat apostat. De son côté, le Roi a décrit les doctrines de l'islam radical comme étrangères à l'Islam.

Si un non-musulman - même un président des Etats- Unis, ou en particulier un président des États-Unis - déclare que l'islam radical serait étranger à l'Islam, ce serait, avouons-le, assez insignifiant, en particulier pour les musulmans. Mais si le Commandeur des Croyants fait la même déclaration, alors il s’agirait de quelque chose de complètement différent et beaucoup plus significatif. En outre, l'Islam au Maroc est enraciné dans le soufisme, une branche ou une tradition de l'Islam connue pour son insistance sur la spiritualité, la tolérance et le rejet du fanatisme, particulièrement populaire auprès des jeunes marocains, qui constituent la majorité de la population. Dans la bataille pour conquérir les coeurs et les esprits, en particulier de la prochaine génération, les Américains auraient bien mal à trouver un allié plus efficace ou plus disposé que le Roi du Maroc. En effet, comme indiqué dans un nouveau rapport publié par l'Institute for Public Research CNA, le Maroc est un partenaire américain clé dans la lutte contre l'extrémisme violent. D’où l'inauguration, l'année dernière, du Dialogue stratégique maroco-américain. Comme Al -Qaïda et ses affiliés jettent leur dévolu sur l'Afrique, l'importance de ce partenariat devient de plus en plus cruciale. Sans surprise, dans l'édition 2013/14 de « The Muslim 500 » : Les musulmans les plus influents du monde, publié par le Centre Royal des études stratégiques islamiques en Jordanie, le Roi Mohammed VI occupe le cinquième rang. Cependant, l'ayatollah Khamenei de l’Iran, occupe le troisième. Et nous revoilà encore devant deux visions opposées de l'islam. Y aurait-il un doute pour nous Américains sur la question de savoir avec qui nous préférerions nous associer ? Ayant fait l'expérience de sa propre version du 11/9 lorsque le pays a été secoué par une série d'attentats-suicides en 2003, le Maroc a appris comment déployer le « soft power » pour freiner la propagation du djihadisme. Sa chaîne satellitaire Al- Sadissa, disponible pour les téléspectateurs à l'échelle régionale, propose une vision alternative de l'islam, différente de celle présentée sur les chaînes dominées par des activistes.

Ses programmes éducatifs destinés aux 50.000 imams du pays ainsi qu’à un nombre d’imams dans d’autres pays dont notamment le Mali favorisent également la modération. Le Maroc envoie des prédicateurs en Europe pour encourager les Marocains qui y résident à pratiquer l'islam tel qu'il est pratiqué au Maroc. La nomination de femmes comme murshidat ou guides religieuses est encore un autre effort que le Royaume déploie dans ce sens. En outre, en réponse à l’immense bouleversement qu’a connu la région du Moyen-Orient début 2011, le Roi a agi rapidement pour adopter des réformes politiques et économiques qui ont mis le pays sur la voie d’une libéralisation progressive, et pour répondre aux besoins urgents des pauvres. La vision du Roi de l’Islam embrasse la diversité culturelle, religieuse et ethnique. Peut-il y avoir une meilleure mise à l'épreuve de la tolérance dans le monde arabe que la façon dont un pays traite ses juifs et chrétiens ? Au Maroc, la loi prévoit des droits égaux pour sa population juive minoritaire, le patrimoine juif du pays est enseigné dans les écoles, et le Roi condamne personnellement la négation de l'Holocauste tout en demandant à ses compatriotes de commémorer l'Holocauste sans oublier le rôle historique du pays dans le conflit israélo-arabe et l’appel du Roi en faveur de la solution de deux Etats. Le Maroc est le seul pays arabe où un commentateur juif se fait entendre à la radio nationale - tel que décrit par l'hôte du programme, Joseph Braude, dans un article paru récemment dans Tablet magazine. Les droits des chrétiens sont également protégés par la loi, mais le prosélytisme est interdit.

Ici à Philadelphie précisément et aux États-Unis en général, nous sommes les héritiers du plus grand legs de William Penn, le fondateur de la colonie de Pennsylvanie, qui a épousé la cause de la liberté religieuse. Ceci s'est avéré être la pierre angulaire de la liberté américaine. Si le Roi Mohammed VI peut, dans la même perspective, favoriser une tolérance religieuse similaire, il apportera une contribution héroïque non seulement à l'histoire du Maroc et celle du monde arabe, mais aussi pour le monde entier. On pourrait penser au rôle démesuré de ce petit pays qu’est la Lettonie dans la promotion de la réforme démocratique dans l'ex-Union soviétique. Etre petit, cela ne menace personne, et le fait d’avoir navigué avec succès en faveur du processus de transition démocratique après l'éclatement de l' Union soviétique dont elle faisait partie, la Lettonie joue aujourd'hui un rôle important en aidant la transition démocratique ailleurs. Le Maroc, un pays de 32 millions d'habitants, n'est pas petit, mais il n'a pas été le centre du monde arabe, et pourtant, en vertu du rôle religieux unique du Roi, le Maroc pourra jouer un rôle aussi important dans ses efforts visant la maîtrise de la propagation du djihadisme.