Séduire à tout prix : la folie des rondeurs (vidéo)

 

Diktat des apparences oblige, des Marocaines cèdent à l’appel des sirènes et redoublent d’ingéniosité pour répondre aux nouveaux standards de la beauté parfaite… Pour être parfaitement sexy, certaines mettent en danger leur santé, voire leur vie. A l’ère du nouveau coronavirus, leurs bricolages esthétiques pourraient être mortels.

Par Hayat Kamal Idrissi/Vidéo : Wissal Tazi   

 

«Je suis assez maigre, trop maigre même. Je n'ai jamais eu de fesses, elles sont toutes plates ! J’ai absolument besoin de votre aide, je ne peux pas continuer à ressembler à une planche. Si l'une d’entre vous connait un médicament, un complément alimentaire ou même une crème pour grossir des fesses... elle me sauvera la vie !», c’est l’un des «appels de détresse», postés assez souvent sur les groupes féminins de facebook ou sur autres forums des différentes communautés.  Choquant ? Plutôt banal puisque ce genre de requêtes sont légion ces derniers temps.

Réseaux sociaux et révolution médiatique aidant, le phénomène prend d’autres dimensions et devient plus visible. N’ayant pas les moyens de se livrer aux opérations de chirurgie esthétique, nombreuses sont celles qui se rabattent sur solutions bricolées : médicaments à utilisation détournée, potions à base d’herbes, crèmes à composition inconnue…

«Une bonne liste et un large choix, selon les envies et la bourse de chacun», nous affirme cette administratrice d’une page facebook spécialisée dans les solutions rondeurs artificielles.

SOS silhouette !

Loin du diktat  de la minceur à tout prix plombant le moral de nos voisines occidentales, beaucoup de Marocaines sont en constante quête de kilos superflus. Sur les réseaux sociaux, les blogs et les forums, les questions relatives à la prise de poids abondent. On veut grossir avant le mariage, on souffre d’une petite poitrine ou de fesses trop plates et on cherche des réponses rapides, efficaces et pas chères. Chacune y va alors de son expérience, de ses ratés ou de ses petites victoires. «Pire, ces mêmes réseaux participent d’une manière cruciale dans sa propagation à grande échelle que ça soit en terme de causes ou en termes de conséquences», nous explique Hassan Baha, chercheur doctorant en sociologie de l’image de l’Université Hassan II.

Décryptage: Les images diffusées, les photos postées à longueur de journée, les propos énoncés, les articles publiés… tous prônent des critères précis de la beauté selon les «goûts actuels». Le corps d’une belle femme est un ensemble harmonieux de rondeurs bien localisées : Fessier bombé, seins bien en vue, ventre plat, lèvres charnues, pommettes hautes... le chercheur nous rappelle que ces «nouveaux idéaux » trouvent d’ailleurs un terreau culturel fertile dans notre société. «Car les rondeurs ont toujours été signe d"opulence et de bonne santé. Elles sont aussi gages de fertilité et de maternité glorieuse», rajoute-t-il.

 

Bricolages esthétiques 

«Ce sont des critères qui ne sont pas toujours donnés naturellement  et ce n’est pas donné à tout le monde d’en acquérir d’une manière artificielles… », rajoute le chercheur. Nullement découragées, nombreuses sont les Marocaines qui vont trouver le moyen de se «faire » belles et de coller au model prôné partout dans les médias, au cinéma, dans la rue, sur les réseaux sociaux.

«Personnellement, j’ai grossi des fesses grâce à des suppositoires à base d’herbes. J’ai gagné deux tailles de pantalon au bout de trois boites. Je suis satisfaite», répond presto illico,  une internaute à notre amie en mal de fesses. Curieuses mais surtout alléchées par la solution miracle,  les autres membres du groupe ne vont tarder à accabler «la miraculée» de questions sur sa potion magique et bien évidemment sur sa provenance.

Des suppositoires à base d’herbes «inconnues» pour grossir du fessier ce n’est pas en effet une nouvelle méthode. «Pratiquée depuis longtemps, cette manière pour gagner en volume au niveau du postérieur trouve ses origines au Sahara où les femmes rondes ont la côte. Donc tous les moyens sont bons pour avoir le corps idéal. En plus du Hguine (qui consiste en l’injection d’eau salée dans la zone concernée), il y a des herbes aux vertus grossissantes prises par voie anale ou orale. Souvent leur composition reste un secret jalousement gardé par leur fabricants», nous explique le sociologue. Une recette secrète qui laisse planer en effet de lourds doutes quant à leurs effets secondaires sur la santé de leurs adeptes. «Il faut savoir que des herbes qui même inoffensives peuvent s’avérer toxiques si le dosage et la manière d’utilisation sont mal adaptée.

Aucun moyen d’en connaitre les effets secondaires sur la santé à court et à long terme sans des analyses approfondies de leur composition. Pire, que savons-nous des conditions de fabrication de ses potions ? Sont-elles respectueuses de l’hygiène ? Ceci même si nous supposons que les herbes utilisées sont inoffensives… », s’alarme Nadia Faguihi, toxicologue.

Certes ces produits sont moins chers et plus accessibles, mais sont-ils pour autant sans danger pour la santé? Vitamines, médicaments à utilisation détournée, crèmes… les offres se multiplient sur les réseaux sociaux les unes plus alléchantes que les autres avec des prix abordables et surtout de belles promesses qui ne sont pas toujours tenues.

« Je ne cesse de me comparer à mes camarades de classes. Je suis plutôt filiforme. Pour moi avoir des rondeurs sexy est un rêve… mais aucun de ces médicaments que j’ai acheté en ligne n’a donné d’effet », nous avoue cette lycéenne dont le corps n’a pas encore fini de grandir et qui pense déjà aux moyens de le transformer pour mieux coller aux nouveaux standards d’une beauté parfaite.

Un acharnement et un engouement qui nous rappelle les ravages provoqué il y a quelque temps par le fameux Derdek. Derrière cette appellation «farfelue», se cache en effet un médicament de contrebande commercialisé librement chez les commerçants de produits cosmétiques et autres «Attara». Vantant ses multiples vertus, ces revendeurs affirment que c’est un produit gorgé de vitamines. Une information tout à fait erronée qui a été démenti par Dr Rajaa Benkirane, alors Responsable Centre National de Pharmacovigilance, dans un dossier que nous avons préparé il y a quelques sur le phénomène. «Derdek est en fait un corticoïde, un produit de contrebande qui est introduit d’une façon illicite sur le marché marocain. Il est commercialisé clandestinement dans plusieurs villes », nous explique auparavant  la responsable.

Prescrits habituellement en cas d’allergies et en traitement de cas asthmatiques, les corticoïdes sont réputés pour leurs effets secondaires lourds en cas de prises de longue durée. Selon les spécialistes, Derdek et les autres produits similaires peuvent  s’avérer très dangereux pour la santé et même pour la vie de l’individu en cas d’utilisation détournée et accrue sans ordonnance. D’après la toxicologue, à force de consommer ces corticoïdes,  ces personnes désireuses de grossir peuvent nuire à leur santé d’une façon irrévocable. Médicament de liste 1, la consommation de derdek et les autres corticoïdes  doit être prescrite par un médecin. Le dosage doit être en adéquation avec le poids du patient et sa prise ne doit pas dépasser les 6 jours.

Or, «dans la vie réelle», les choses se passent autrement. La plupart des adeptes de Derdek le prennent comme bon leur semblent selon l’effet escompté et la rapidité avec laquelle ils veulent le voir. Rétention d’eau, problèmes cardiovasculaire, fragilité des os, problèmes neurologiques… la liste des effets secondaires s’allonge dangereusement. Un suicide déguisé en une simple envie d’avoir des rondeurs localisées. Avoir un corps idéal vaut-il la peine de mettre sa vie en danger ? «C’est la puissance de l’image de soi, le désir de plaire, le besoin de se faire une place au soleil, les effets narcissiques des réseaux sociaux… tous ses éléments bombardent l’esprit des femmes, les confortent dans leur désir de coller aux standards de beauté et ceci à tout prix. Elles en oublient parfois de se préserver des dangers représentés par ces potions pas si magiques que ça !», regrette Baha.

Pubs mensongères

Sur facebook, tous les moyens sont bons pour convaincre et pour appâter d’autres clientes. A force de partages, de likes et de captures d’écran, les pourvoyeuses de crèmes et de produits miracle ne lésinent pas sur les moyens pour séduire leurs futures clientes.

«Voici la photo de notre chère Amina de Casablanca, au bout de 15 jours seulement elle a réussi à avoir la paire de sein dont elle rêve depuis toujours. Elle partage avez nous sa photo mais aussi sa joie. Merci à toi Amina de nous avoir fait confiance», poste l’administratrice de «Maâchabati», une page spécialisée en prise de volume de toutes sortes. De l’augmentation mammaire au fessier rebombé en passant par les lèvres «botoxées» et les pommettes rebondies… rien ne semblent intimider ces spécialistes improvisés qui ont des solutions à tout.

Leur produit miracle ? «Des crèmes capables de changer votre corps et votre vie», promettent-ils à toutes celles qui veulent bien les croire. Les images de leurs exploits véridiques ou juste «préfabriquées», semblent en tout cas convaincre un bon nombre. Un marketing simple et efficace à base de publicité mensongère… c’est la recette du succès de ces vendeurs de rêves.