La croissance africaine ne crée pas suffisamment d’emplois. Entretien avec Donald Kaberuka, Président de la BAD
Donald Kaberuka

L’économie africaine a connu une forte expansion ces dernières années. Êtes-vous confiant pour l’avenir ? 

Le continent a effectivement enregistré une croissance remarquable. Le PIB a triplé depuis l’an 2000, et sept des dix économies dont la croissance est la plus rapide se trouvent en Afrique. Nous prévoyons une croissance d’au moins 6 % en 2013. Mais nous ne devons pas confondre croissance économique et transformation économique.

Le défi actuel majeur est celui de la viabilité – les indicateurs du développement humain sont trop bas, il reste de sérieuses poches de fragilité et, à l’échelle du continent, nous nous heurtons aux limites du déficit d’infrastructures. Mais nous avons identifié certaines tendances lourdes qui, si nous savons les gérer, me rendent très confiant pour l’avenir : ressources naturelles, démographie, technologie, et la capacité de l’Afrique à profiter des nouveaux pôles mondiaux de croissance.

Notre population grandit (de 2,2 % par an, le double de l’Asie) et notre urbanisation est rapide (40 % aujourd’hui, 70 % d’ici 2050). La cartographie géologique permet de découvrir de nouvelles richesses naturelles, et les technologies de l’information continuent de faire avancer l’Afrique à grands pas, la révolution du téléphone mobile facilitant l’accès à l’information et réduisant les coûts des entreprises. Cependant, le dividende démographique n’est pas une prédestination, il dépend de ce qui est réalisé aujourd’hui.

Quels sont les deux ou trois principaux défis auxquels est confronté le développement économique de l’Afrique ?

L’emploi et l’inclusion. Bien que nos économies connaissent la croissance, elles ne créent pas suffisamment d’emplois. C’est pourquoi la Banque africaine de développement a bâti sa stratégie pour 2013- 2022 sur ces deux défis importants : veiller à ce que la croissance déjà forte soit partagée, durable et créatrice d’emplois. Autrement dit, nous voulons une croissance qui crée des opportunités pour tous, sans épuiser le capital naturel, terrestre ou marin, ni la biodiversité. Gardons à l’esprit que l’empreinte écologique du continent a progressé de 250 % en 50 ans.

Cette situation est due en grande partie à la politique et aux problèmes concrets de réduction du déficit de financement des infrastructures, lequel est estimé à 50 milliards USD par an pour les dix prochaines années et nous coûte 2 % de croissance chaque année. Seuls 33 % des Africains ont accès à des équipements sanitaires, 40 % à l’électricité et 66 % à l’eau potable, et nous avons beaucoup de mal à trouver des solutions transnationales pour nos besoins en matière d’infrastructures.

Nous ne ménageons pas nos efforts pour trouver des solutions. Le projet visant à lancer en 2013 le fonds Africa50 (essentiellement financé par des banques centrales et des fonds souverains africains) est un témoignage supplémentaire montrant que l’Afrique prend en charge l’avenir de son développement économique.

L’an prochain marquera le vingtième anniversaire du génocide au Rwanda. En tant que Rwandais, quelles leçons économiques peuvent être tirées, selon vous, pour le Rwanda, l’Afrique et le monde ?

Le Rwanda revient de loin, notamment grâce aux efforts de sa population et à l’aide de ses partenaires. Son évolution se poursuit comme celle d’autres pays. Quelles sont les leçons ? J’en vois trois. Premièrement, aussi mauvaises que puissent être les conditions de départ, un pays peut réussir si sa population est déterminée. Deuxièmement, et contrairement à ce que l’on dit souvent, l’aide étrangère est utile lorsqu’elle est correctement utilisée, notamment dans les phases précoces de développement, comme cela a été le cas en Corée. Troisièmement, il n’existe pas de boîte à outils standard pour reconstruire un pays : l’histoire et l’environnement jouent leur rôle, mais chaque pays doit tracer son propre chemin.

Entretien publié dans L’Observateur OCDE