Enfants confinés: « Nous sommes en prison ! »

 

Avec des mots simples mais poignants, des enfants nous décrivent leur détresse et leur souffrance avec le confinement.

 

Par Hayat Kamal Idrissi et Abdelhak Razek   

« Nous détestons le Coronavirus ! »,  « Nous sommes comme en prison », « Le masque m’étouffe », « Mon école et mes copains me manquent trop », « Je veux juste voir ma famille  »… chacun à sa manière, des enfants, de différents âges, essaient de nous décrire leur quotidien de confinés.

 

« Je me déteste ! »

 

Coupés du monde depuis trois mois, ils en sont arrivés au bout de leur endurance. Privés de sortie, traumatisés par la menace du virus, emprisonnés entre quatre murs, leur psyché est profondément touchée. « Malgré toutes nos tentatives de les divertir et de les occuper, rien ne vaut pour un enfant le rythme normal de sa vie antérieure : école, copains, jeux, sorties, famille… Ils sont profondément affectés par ce confinement qui se prolonge », nous confie, dépassée, Amal Idrissi, mère de Rim, 7 ans. Pour Rim, c’est justement ces prolongations qui n’en finissent pas qui cause son malheur. « J’étais si contente de pouvoir sortir le 10 juin, de pouvoir respirer enfin et de jouer au jardin. Lorsqu’on a annoncé le report de la fin du confinement jusqu’au 10 juillet, je me suis détestée ! J’ai détesté le Coronavirus et j’ai détesté tout ! J’étais tellement triste et déçue », nous confie la fillette, le verbe abattu.

Pour Liyla, 9 ans, le confinement était une épreuve dure. Elle le qualifie innocemment de «Prison ». « C’est vraiment dur. J’en étouffe chaque jour. Même si je suis mes cours à distance, je joue un peu avec ma sœur, je m’occupe en navigant sur le net ou en aidant ma mère à la cuisine, le temps se prolonge et devient bizarrement si long. Je m’ennuie à mourir ! », décrit Lilya, avec un nœud à la gorge. Même tristesse, même détresse du côté de Chahrazade, 8 ans. « Le confinement est une chose contre nature ! Ne pas pouvoir sortir, aller à l’école,  jouer à l’extérieur, aller à la plage… ce n’est pas normal. J’en souffre même si je me suis plus ou moins adaptée », nous confie-t-elle,  en jouant avec sa sœur cadette.

 

Des troubles qui guettent

 

D’après Soukaina Laâziri, psychologue clinicienne, le confinement révèle en effet certains côtés de la personnalité des enfants, que les parents ne soupçonnaient même pas. « Des parents se plaignent de certains nouveaux traits de caractères chez leurs enfants.  Ils deviennent têtus, trop nerveux, peu concentrés, angoissés et parfois agressifs. Les enfants n’arrivent pas en effet à accepter et intégrer l’idée d’être coupés du monde et isolés loin de toutes les belles choses dont ils ont l’habitude de profiter », analyse la clinicienne. Des attitudes « normales » que le confinement peut provoquer chez les enfants. « Et que les parents devraient prendre en considération. Ceci pour éviter que cette période délicate ne laisse de graves séquelles sur l’état psychique de leurs enfants », insiste la psychologue.

 

 

Une alerte dans ce sens a d’ailleurs été lancée au cours la semaine dernière par la Société marocaine de pédiatrie. Dans une lettre adressée au ministre de la Santé Khalid Aït Taleb, la SMP s’inquiète par rapport aux conséquences d’un si long confinement sur la santé mentale des enfants. Les pédiatres en appellent d’ailleurs à son assouplissement pour préserver leur bien-être ; mais surtout éviter des stress post-traumatiques et autres troubles du comportement.

« Comme le confinement va être prolongé dans certaines régions du Maroc, je voudrais attirer votre attention sur son effet dévastateur sur l’enfant, comme le confirment de nombreuses études. En effet, l’impact psychologique et le traumatisme qui en découlent doivent être pris en compte, d’autant plus que l’enfant n’est ni vecteur ni contaminant », argument le président de la SMP, Dr Hassan Afilal, dans ce courrier requête. Le pédiatre évoque la dépression, l’hyperactivité, l’irritabilité et l’agressivité… tant de troubles guettant nos bambins en « captivité » depuis trois mois. Une situation qui d’autant plus oppressante car incompréhensible par les jeunes esprits comme l’affirme la psychologue. « Je veux sortir ! Je veux aller retrouver ma grand-mère. Elle me manque tellement », s’écrie, désespéré, Ryad, 6 ans. Même réclamation de la part de Lilya, Rim et Chahrazad.  Des voix innocentes, attendrissantes et surtout impuissante face à une situation inédite.

 

Rupture et retrouvailles

 

« La rupture brutale et brusque des liens sociaux à cause du confinement qui a surpris tout le monde, a été d’un profond effet sur le moral des enfants. Amis, copains d’école, cousins, grands-parents, famille…  cet éloignement de trois mois les a déstabilisés », analyse  Soukaina Laâziri. De son côté le président de la SMP, ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de nommer les choses. « Le manque de liens peut conduire à des états d’aliénation… les enfants ont été quelque peu oubliés dans ce contexte de Covid-19 », fustige-t-il en mettent en garde contre « Des états de stress post-traumatique et des troubles du comportement dont il va être difficile de se débarrasser par après ».

Soucieux du bien être physique et moral des petits, les médecins ont d’ailleurs émit plusieurs recommandations pour un meilleur accompagnement,  telles l’autorisation du non-port du masque dans les voitures. Une mesure préventive pour éviter des cas d’hypoxie ( Manque d’oxygène) et hypercapnie ( hausse anormale de la pression partielle en CO2 dans le sang). Pour la psychologue, il est essentiel de communiquer et d’être sincère et clair avec les enfants lorsqu’il s’agit d’expliquer les différentes prolongations du confinement. « Aussi, faut-il les préparer psychiquement à leur prochain déconfinement. Pour éviter un nouveau état de choc face à la vie normale », conclut-t-elle.

 

https://www.youtube.com/watch?v=5iJerJnWCEo&feature=youtu.be