Barrages collinaires : Les lacs de la mort

 

Chaque année, les lacs collinaires font des centaines de morts par noyade. Au Rif, la situation devient alarmante.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

« Il ne se passe pas une semaine en été sans qu’un jeune ou un enfant perd la vie en nageant dans ces lacs collinaires. La chaleur étouffante dans les montagnes les pousse à risquer leur peau en se rafraichissant dans les seules « piscines » disponibles », nous assure, au téléphone, Abdelmajid Aharaz, représentant de l’Observatoire international des médias et des droits de l’Homme, section Tanger-Tétouan-Al Hoceima.

 

Noyades en série

 

Il y a quelques jours, un jeune de 19 ans, qui travaillait dans les champs voisins, meurt noyé dans un barrage collinaire à Zaouiate Herrach, commune de Beni Hmad (Province de Chefchouen ). Exténué par le dur labour sous un soleil de plomb, il cherche un peu de fraicheur dans les eaux stagnantes du barrage. Mais il y trouve la mort. Un triste sort pour le jeune travailleur mais également pour de nombreux habitants des bourgades du Rif se situant loin des points d’eau naturels.

Ouvrages de stockage, les retenues collinaires recueillent  les eaux de surface et les eaux de pluie et de ruissellement.  Considérées comme des barrages, elles ne sont toutefois pas autorisées par la loi. « Encore moins par ici au Rif. Car souvent les agriculteurs qui les construisent, utilisent ces eaux pour irriguer les nouvelles variétés de cannabis importées. Très vorace, ces variété « intruses » exigent une irrigation régulière et importante contrairement aux variété beldi locales, adaptées au milieu rifain », nous explique Aharaz.

 

Barrages illégaux

 

Doublement illégaux, les barrages collinaires ont été l’année dernière l’objet d’une large opération de destruction de la part des autorités locales. Une opération qui a suscité d’ailleurs une forte indignation des populations locales trop dépendantes de ces barrages. « Pourtant ça repousse comme des champignons  et ce sont nos enfants et nos jeunes qui paient le prix cher de cette situation hors la loi. De profonds bassins dangereusement agencés sans aucune surveillance.  C’est une invitation franche à la mort », s’insurge Noureddine Âouni, activiste de la société civile à Bab Berred. Il en appelle, par la même occasion, à l’interdiction totale et au contrôle continu sur terrain.

Une réclamation qui n’est pas du goût de tout le monde. Un simple tour des commentaires sur une publication à propos d’un nouveau naufrage d’un autre jeune de Beni Rzine, province de Chefchaouen, est instructif. Beaucoup d’interventions montrent qu’au-delà du souci de sauvegarde d’innocentes vies, l’enjeu socio-économique l’emporte largement. « Vous voulez nous ruiner ! », « Vous réclamez la destruction des barrages car vous n’êtes pas un pauvre agriculteur qui n’a que ces eaux pour sauver sa récolte », « Ce n’est nullement notre responsabilité. Les gens doivent faire attention. Ces barrages sont un outil de travail pour des centaines de simples fellahs et non pas des piscines municipales ! »…

Des réactions fortes à profusion. Leurs auteurs insistent, en effet, sur l’importance vitale de ces retenues.  Moyen d’irrigation non seulement de cannabis, mais également de cultures vivrières dans des zones arides, ces barrages sont les garants de la sécurité alimentaire de milliers de familles. Noyade ou faim ?  Un sacré dilemme !