Quand la crise devient une aubaine pour les « Khettafas »

La crise est une aubaine pour certains secteurs dont celui du transport clandestin. Dans certains quartiers de Casablanca, les khettafas n’ont plus froid aux yeux et la pratique tend à devenir presque une profession à part entière.

Mounia Kabiri Kettani 

La scène se passe à Lissasfa. Depuis près d’une semaine, plus d’une trentaine de vieilles  voitures s’installent chaque jour à partir de 7 heures du matin tout au long de la ruelle menant vers Kasbat Al amine, au vu et au su de tout le monde. Un lieu pas loin de différentes stations de grands taxis. En maitre des lieux, un courtier en chaise roulante fait régner l’ordre. Le décor ne choque plus personne mais interpelle les habitants des résidences  situés à côté du lieu, surtout que ces « khettafas » n’ont aucune notion du respect du code de la route : ils font des demis tours secs au milieu de la route, roulent en sens interdit à toute allure…bref pour eux tout est permis dans leur «  chasse aux clients ».  Le phénomène n’est pas nouveau. Mais il s’est amplifié, selon de nombreux témoins, de plus en plus lors de cette période de crise sanitaire.

Une opportunité à saisir

La décision du ministère de l’intérieur pour limiter la capacité dans le transport en commun à 50% a été une aubaine pour l’activité clandestine. Les grands taxis par exemple ne peuvent transporter que trois personnes au lieu de six ce qui n’est pas sans impact sur leur recette journalière. « Beaucoup de taximans ont procédé alors à l’augmentation des tarifs de manière « illégale ». A bas prix et desservant des destinations prisées, les "Khettafas” sont alors devenus aux yeux de certains, des "sauveurs” », analyse ce conducteur d'un de ces grands taxis, en colère, à cause de ce comportement qu'il juge irresponsable de la part de certains de ses collègues. Les premiers concernés, les clients de ce moyen de transports en commun. Contrariés, ils n’ont plus le choix que de recourir aux services des Khettafas. C’est le cas de ce quinquagénaire qui qualifie le comportement des taximans de «inacceptable ».  «Lors des heures de pointes et lorsqu’il y a un grand flux d’usagers qui veulent se déplacer, et vu les mesures exigées par les autorités, les khettafas  nous sauvent la vie», nous confie-t-il. Il ajoute aussi que le prix de chaque course avec ces transporteurs est moins cher que celui des les grands taxis et bus. Moins cher oui, mais ces chauffeurs ne se sentent pas concernés par les mesures prises par le ministère de l’Intérieur pour circonscrire la propagation du coronavirus. Nous avons été témoin de l’une des scènes les plus surréalistes. L’un de ces chauffeurs a trouvé le moyen d’entasser 10 personnes dans sa voiture, qui dans l’absolu ne peut transporter que six.

De lourdes sanctions

Le phénomène n’est pas nouveau.  Mais si avant, ces rabatteurs se contentaient de relier la ville à sa périphérie, en dehors du circuit desservi par les moyens de transport en commun, aujourd’hui, ils étendent de plus en plus leurs activités et paraissent tellement sûrs d’eux-mêmes au point qu’ils se permettent de non seulement rôder près des arrêts de bus, mais aussi stationner et occuper toute une ruelle dans l’attente de leurs clients, même s’ils sont dans la clandestinité.  Pourtant s’ils interceptés, les véhicules sont saisis et mis en fourrière et les chauffeurs sont passibles d’une amende de 500 à 1.000 DH.

Un mode risqué

Pour les usagers, ce moyen de déplacement n’est pas sans risques. Une vidéo scandaleuse a fait le tour des réseaux sociaux à la veille de l’Aid Al Adha. Elle montre un jeune homme avec le visage plein de sang, agressé par l’un des ces chauffeurs clandestins qui le transportait de Casablanca vers sa destination en raison de l’interdiction de la circulation entre les villes décrétée lors de cette période.

Au-delà des agressions, il y a la vétusté du parc, la manière de conduire de ces chauffards qui n'ont ni agrément , ni assurance…les risques qui pèsent sur les usagers sont donc innombrables. Et en cas d'accidents, ils sont exposés à des problèmes encore plus sérieux.

A Lissasfa, les Khettafas résistent. Un appel à Khadija Benchouikh, gouverneur de la préfecture d'Arrondissement de Hay Hassani a fait bouger les choses. Des patrouilles de police font le tour du quartier pour chasser les fraudeurs qui ne semblent pas baisser les bras et qui se prêtent au jeu du chat et la souris avec les autorités. Ces derniers ne comptent pas non plus se laisser faire et nous promettent qu’ils feront le nécessaire pour lutter contre le phénomène dans la zone. Wait and see...