Mineurs disparus. Aucun soutien aux familles et aux victimes

 

La disparition inquiétante de Adnane, l’enfant de Tanger soulève beaucoup d’interrogations quant aux répercussions socio-psychiques d’une expérience aussi brutale. Disparus et entourage des disparus, existe-il, au Maroc un programme de soutien qui leur est destiné pour surmonter le traumatisme ? Y a-t-il un dispositif spécial pour suivre de près et résoudre les affaires de disparitions non élucidées ? Eléments de réponses.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

La famille Bouchouf est sans nouvelles de Adnane depuis cinq jours. Disparu lundi 7 septembre 2020, l’enfant de 11 ans n’est toujours pas retrouvé au grand désarroi de sa famille mais aussi de ses proches et de beaucoup de citoyens compatissants. Sur les réseaux sociaux, un grand élan de solidarité avec la famille meurtrie ne cesse de s’amplifier au fil des jours. A coup de partages et d’appel à témoignages, c’est une grande  mobilisation pour retrouver l’enfant  avant qu’il ne soit trop tard.

Une course contre le temps

« C’est justement là où le bât blesse. Selon la loi marocaine, une personne ne peut être portée disparue qu’après 48 heures d’absence. Que cette personne soit mineure ou majeure, aucune procédure judiciaire ne peut être déclenchée avant cette durée préconisée par la loi », regrette maître Lamia Faridi, avocate du Barreau d’Agadir. Pour cette avocate, grande habituée des affaires liées aux mineures, ces 48 heures sont cruciales dans les recherches de personnes disparues surtout lorsqu’il s’agit de mineurs et d’enfants. « En deux jours, le disparu peut être violé, violenté ou carrément tué. C’est reconnu partout que les chances de survie et de sauvetage d’une personne disparue se minimisent gravement avec le temps qui passe. Chaque petit retard peut être fatal pour les victimes d’enlèvement ou de séquestration  », explique Lamia Faridi.

Si pour le cas de Adnane Bouchouf, rien n’est encore confirmé quant à un éventuel kidnapping ou une simple fugue, la vidéo largement partagée sur les médias et les réseaux sociaux, indiquerait déjà un suspect. Enregistrés par les caméras de surveillance des boutiques du quartier, des extraits vidéo montre Adnane discuter et partir avec un jeune  inconnu. La famille du petit disparu ne reconnaissant pas l’individu en question, redoute un éventuel kidnapping et soupçonne cet individu d’être derrière la disparition du petit. Son grand père, la mort dans l’âme, fait part de l’état psychique de toute la famille et spécialement de la mère. « Sa mère est effondrée. Elle n’arrive pas à affronter cette situation accablante tout comme nous tous », décrit, affligé, le grand-père.

 

 

Une dure épreuve que la famille devrait surmonter tout en menant des recherches en parallèle avec celles entreprises par les autorités. « Dans ces cas, les citoyens et la société civile se joignent spontanément aux recherches par compassion et par solidarité. Ceci dit nous n’avons pas au Maroc un programme spécial ou une cellule spécialisée qui se chargent de ce type d’affaires », note Faridi, avant d’ajouter « Au-delà du côté poursuites judiciaires liées aux différents types de disparitions, rien n’est prévu par le législateur pour l’accompagnement et le soutien psychique des victimes et de leurs familles durant et suite à l’épreuve », regrette l’avocate.

Crime et châtiment

Rappelons que selon le code pénal marocain, section IV de l'enlèvement, les articles 471 à 478 désignent les circonstances et les peines réservées au kidnapping de mineurs. Ainsi selon l’article 471, quiconque par violences, menaces ou fraude, enlève ou fait enlever un mineur de dix-huit ans ou l'entraîne, détourne ou déplace, ou le fait entraîner, détourner ou déplacer des lieux où il était mis par ceux à l'autorité ou à la direction desquels il était soumis ou confié, est puni de la réclusion de cinq à dix ans.

L’article 472, pour sa part, stipule que si le mineur ainsi enlevé ou détourné est âgé de moins de douze ans, la peine est doublée et la réclusion est de dix à vingt ans. Toutefois, si le mineur est retrouvé vivant avant qu'ait été rendu le jugement de condamnation, la peine est la réclusion de cinq à dix ans. Autre cas de figure, lorsque le coupable se fait payer ou a eu pour but de se faire payer une rançon par les personnes sous l'autorité ou la surveillance desquelles le mineur était placé, la peine, quelque soit l'âge du mineur, est la réclusion perpétuelle, indique l’article 473.

Si le mineur est retrouvé vivant avant qu'ait été rendu le jugement de condamnation, la peine est réduite à une réclusion de dix à vingt ans. L'enlèvement est cependant passible de peine de mort s'il a été suivi de la mort du mineur, stipule l’article 474. De lourdes peines qui attendent le kidnappeur de Adnane, si toutefois l’hypothèse de l’enlèvement est prouvée. Affaire à suivre !

 

 

Ce qui se passe ailleurs

Au Canada où chaque année, de 70.000 à 80.000 personnes sont portées disparues auprès des services de police, la majorité de ces personnes sont retrouvées dans les sept jours. « Mais il n'en reste pas moins qu'une disparition peut être extrêmement stressante pour la famille et les proches », note le site de la Gendarmerie royale du Canada. Cette dernière considère d’ailleurs les disparitions comme « une priorité opérationnelle ». Ainsi une stratégie nationale est élaborée afin de rendre des comptes, soutenir les familles, sensibiliser la population et forger des partenariats solides avec d'autres organismes. Un Programme national d'ADN pour les personnes disparues (PNAPD) contribue à faire progresser les enquêtes sur les personnes disparues et les restes humains non identifiés.

En France voisine où chaque année sont enregistrées 10.000 disparitions inquiétantes non élucidées, le dispositif est encore loin d’être aussi efficace. Les corps de nombreuses personnes disparues, non identifiés, sont enterrés sous X. « Car il n'existe aucune obligation légale, pour les communes, d'identifier un corps découvert en France, par un test ADN », note le collectif Assistance et recherche de personnes disparues sur son site. « Afin de résoudre de nombreuses disparitions inquiétantes, et permettre aux familles de disparus de pouvoir faire leur deuil, les associations de soutien aux disparus demandent une loi rendant obligatoire un test d'ADN systématique pour tout corps anonyme retrouvé », réclame ces acteurs associatifs. Au Maroc, « le rôle de la société civile se limite à un soutien « informel » et « occasionnel » mais rien d’officiellement engageant », conclut Lamia Faridi.

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