ENTRETIEN: « Personne n’est complètement épargné ! »
Rachid El Mounacifi, Criminologue

L’émotion étant aveuglante, difficile de chercher à comprendre un père ou une mère qui aurait tué son propre enfant. On préfère vite condamner pour passer à autre chose. Pourtant, c’est en analysant, en étudiant et donc en comprenant chaque infanticide que l’on pourrait éviter à la société de le voir

se reproduire. C’est donc pour mieux comprendre ce qui semble être l’incompréhensible que L’Observateur du Maroc a interviewé Rachid El Mouacifi. Ses constats sont troublants.

L’Observateur du Maroc. Comment un père ou une mère, qui sont censés protéger leurs enfants, peuvent-ils basculer et en devenir les assassins ?

Rachid El Mounacifi. Un père ne veut pas dire un homme avec une moustache et une mère ne veut forcément pas dire une poitrine double ou un utérus porteur mais beaucoup plus que ça. Plusieurs parents ne sont même pas qualifiés ou aptes pour gérer leur propre vie. Comment pensez-vous alors qu’ils vont gérer une vie à deux ou une vie à plusieurs avec leurs enfants ? Il y en a même qui ne devaient pas se marier dès le départ de manière à éviter le pire et à protéger les futures victimes : leurs propres enfants.

Je n’utiliserai peut-être pas le mot assassin parce que chaque criminel, lors de la perpétration de son acte, se voit lui-même victime de quelque chose ou de quelqu’un: Victime d’un système corrompu comme le nôtre, victime de la société, victime de la vie injuste où il n’a pas su exaucer ses vœux… Il faut savoir aussi qu’en chacun de nous, il y a un côté positif et un autre négatif, le conscient et l’inconscient, le oui et le non… J’entends par là que tout reste possible dans le cerveau humain et personne n’est complètement épargné. Nous sommes tous et toutes nés pareils sauf que les circonstances de la vie (l’éducation et l’entourage, entre autres) peuvent tout changer et faire d’un individu un criminel ou pas. Pour des raisons illimitées, il se peut qu’un parent bascule et commet l’irréparable en tuant son propre enfant. On peut en citer la dépression, les drogues tous types confondus, le poids de l’entourage et l’éducation, le chômage, les problèmes conjugaux, le divorce et es conséquences, le sentiment d’injustice, la corruption, la détresse sociale, la révolte contre le système, la pression de la grande famille et bien d’autres raisons en étroite relation avec le psyché et la place de l’individu dans son entourage proche et lointain.

Toujours dans cette explosion de violence parentale que connait actuellement la société marocaine, il est inévitable de remarquer cette sorte de prévalence de la ville de Taroudant dans ce genre de meurtres doublés de viol. Ya-t-il une explication à cette localisation?

Justement, je suis actuellement et par mes propres moyens, en train d’étudier ce phénomène curieux. Pourquoi cette prolifération criminelle exactement dans cette région soi-disant conservatrice ? Pourquoi ce nombre élevé de crimes commis à l’encontre de mineurs dans ces contrées ? Pourquoi sont-ils souvent commis avec une certaine barbarie ? Est-ce que c’est génétique ? Est-ce en rapport avec les coutumes et les traditions locales ? Est-ce que l’emplacement géographique a quelque chose à avoir avec ce phénomène ? Est-ce une force manipulatrice qui se cache derrière afin d’attirer l’attention sur la région ? Est-ce une forme de révolte de la région contre le système et contre la marginalisation ? Est-ce un appel au secours? Plusieurs questions se posent mais la vérité reste ambigüe dans l’attente des réponses qu’apportera cette étude. Je tiens à préciser que pour mieux comprendre ce genre de phénomènes, il faudra les étudier minutieusement et c’est justement ce dont nous manquons affreusement dans notre pays. Personnellement, je n’ai jamais entendu parler d’un chercheur qui a étudié un type précis de crime pour en connaître l’histoire et l’analyser dans ses différentes dimensions psychiques, sociologiques et juridiques. Ce genre d’études est d’autant plus important et utile car susceptible d’aider à éviter certaines catégories de crimes, réduire leur nombre, limiter leur impact et surtout essayer de les éliminer dans le futur. Taroudant reste, en ce sens, un véritable cas à étudier. C’est une mine pour les chercheurs des sciences criminelles.

Historiquement, le Maroc a-t-il des antécédents en matière de meurtres d’enfants par leurs propres parents et de pédophilie «domestique» ou est-ce un phénomène social tout à fait nouveau ?

Il est presque impossible de répondre correctement à cette question parce que les statistiques et les données n’existent pas et même si elles existaient, elles ne seraient pas fiables. Pourquoi ? Pour la simple raison que de tous les crimes, ceux envers les enfants sont certainement les plus étouffés et occultés par la loi de la « Hchoumae ». Il n’y a pas de nouveauté dans l’univers criminel marocain mais il y a la « Hchouma », une sorte de passe-partout qui vient arranger les choses lorsqu’elles ne sont plus au goût de la galerie. Dans la société marocaine, nous cachons énormément d’atrocités derrière ce mot qui bloque la pensée des Marocains et arrange plus d’un dans la foulée. Une multitude de crimes sont commis dans notre pays mais sont souvent occultés par l’ombre de « Hchouma ». Il y a aussi cette fâcheuse tendance d’un déni têtu : Chez nous, tout va bien, les atrocités n’existent que chez les autres. La notion de « Hchouma » handicape la société marocaine et la laissera à la traine tant que cette dernière ne s’en est pas émancipée. Je me demande quand allons-nous parler de tout ouvertement ? Car c’est par là que l’on peut commencer. Nous avons modernisé nos maisons, nos véhicules, nos habits, nos portables et jusqu’à notre discours… Mais que devient notre pensée profonde ? Notre attitude face au crime perpétré en famille ? La criminalité a toujours existé dans ce pays mais le fait que les gens ainsi que les autorités cachent cela, encourage le criminel à continuer son travail en toute tranquillité. Il ne faut pas non plus négliger l’influence des changements que connait la société marocaine avec sa modernisation accélérée et qui privilégie la prolifération du crime. La preuve, en 2012, la criminalité dans notre pays a augmenté de 7%. Grâce aux médias, à l’internet et à la révolution technologique, nous commençons aujourd’hui à entendre parler de crimes qui passaient sous silence en d’autres époques.

Peut-on considérer ces parents meurtriers comme des psychopathes ou sont-ils de simples malades sociaux incapables de gérer leurs pulsions sexuelles ou criminelles ?

Personnellement, je vois ces parents meurtriers comme des malades dont le mal n’a pas pu être détecté à temps pour qu’ils soient soignés. Et même s’ils étaient détectés, je doute fort qu’ils auraient eu droit au bon traitement. Allez voir nos hôpitaux psychiatriques et leurs locataires pour juger vous-mêmes des conditions de traitement de ce genre de maladies. C’est une vérité lamentable. En 2013, nous n’avons toujours pas un bon système de santé qui couvre les besoins de base. Ces pères et mères meurtriers sont des malades certes, mais aussi des victimes. Des victimes de leur entourage (voisinage, famille…) qui n’a pas vu ou ne veut pas voir le voisin ou le parent dérangé psychiquement. On est des pros, peut être les champions du monde de «Tbergig», mais prendre soin l’un de l’autre reste un miracle. Le système social solidaire n’existe plus chez nous. Chacun pense à soi en laissant et en regardant l’autre crever dans son coin. Chaque maladie a un point de départ et un point d’arrivée. Il suffit juste de le détecter à temps pour l’éliminer ou la freiner. Il faut savoir que parfois, il est impossible pour le malade de détecter par lui-même sa maladie. C’est aux autres alors de le faire, qu’ils soient les membres de sa famille, ses voisins, ses amis ou même ses collègues de travail.

À votre avis, quel serait le meilleur moyen pour remédier à ce phénomène ? la peine de mort, la perpétuité ou la castration chimique, qu’elle serait la peine la plus dissuasive ?

Il faudra toujours traquer les criminels et les punir. Tuer un enfant est un crime contre l'humanité. Mais pour mieux « choisir » le châtiment d’un criminel malade, il faudra étudier son cas au préalable. J’utilise le mot malade même si ce terme gêne encore certaines personnes. Devant l’atrocité de ce genre de meurtres parfois doublés de viol, c’est logique de penser à des peines exemplaires qui auront un effet dissuasif et pour le criminel et pour les autres. Pour beaucoup de spécialistes, de décideurs et même de citoyens, la peine de mort serait la meilleure option. C’est la solution la plus facile, la plus dure et la moins coûteuse. Sauf qu’un criminel malade n’a pas choisi de commettre de crime à l’encontre de son ou ses enfants. D’une façon ou d’une autre, il n’est pas tout à fait responsable de ses actes. Au lieu de le châtier, il faudrait lui offrir un suivi médical et un traitement adapté. Aucune société n’est épargnée par le crime dans toutes ses déclinaisons et la société marocaine ne fait pas l’exception. Pour y remédier, je conseille toujours de privilégier la prévention et l’éducation qui se fait dans le respect des valeurs familiales, des droits de l’homme et des préceptes de l’islam. C’est par là que l’on construira une société saine au lieu de construire des prisons remplies à craquer