Reportage. Dayet Aoua, agonie d’un lac

 

Dayet Aoua n’a plus du lac que le nom… desséchée, le beau lac a disparu à coup de pompage de la nappe phréatique locale par les cultures avoisinantes. Un véritable dilemme socio-écologique.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

Dayet Aoua, la plus fameuse zone humide marocaine, celle dont les belles photos illustraient si gracieusement les textes de nos manuels scolaires et les murs de nos salles de cours, n’a plus du lac que le nom. Un minuscule étang au bord de l’agonie… C’est le paysage désolant qui vous frappe en vous rendant sur les lieux. Triste destinée pour un lac qui au-delà de son intérêt écologique et son impact sur l’écosystème, représentait une belle attraction touristique attirant les visiteurs des villes avoisinantes mais également des quatre coins du Royaume.

Dynamique esquintée

«Daya était une source de revenus  pour les populations locales. Attirant des touristes tout au long de l’année, les habitants leur louaient des maisons,  proposaient de la restauration et de la cuisine locale à base de produits de terroir. Des barques et des pédalos offraient des balades au bord du lac et des jeunes du village des randonnées pédestres autour et dans les montagnes avoisinantes aux amateurs de nature et de sports montagneux. Même les agricultures arrivaient à commercialiser leurs produits que ça soit des légumes ou des fruits… le lac générait une véritable dynamique  économique dans la région», nous explique Said Aharhar, originaire de la région, administrateur de la page facebook «Akhbar Dayet Aoua» et fervent défenseur du lac.

 

 

Pour Ahmed, jeune employé qui a quitté sa daya natale pour trouver refuge à Imouzer Kandar, le desséchement du lac a chamboulé sa vie et celle de beaucoup de jeunes du village. «Nous vivions des activités et des différents divertissements liés  au lac et au tourisme vert. On arrivait à entretenir nos familles grâce aux revenus qui n’étaient certes pas faramineux  mais qui étaient suffisants pour nous retenir sur place », regrette Ahmed, opérant actuellement comme serveur dans un café.

Perchée à plus de 1400 m au cœur du Moyen Atlas, Aoua se situe à quelques kilomètres de Imouzar Kandar au nord d'Ifrane. Mesurant quelques 140 ha, il change de superficie et de profondeur selon les saisons. « Mais depuis trois ans maintenant, le lac n’arrive plus à se remplir… Il ne dépasse plus le quart de sa capacité de remplissage. Cette année c’est presque le desséchement complet », explique, la mort dans l’âme, Said Aharhar. D’après Mohamed Outaleb, Président de la commune de Dayet Aoua, le mal du lac n’est pas aussi récent. «Depuis les années 80, Daya n’est  plus au top de sa forme. Son niveau très variable accusait des périodes critiques surtout durant la sécheresse. Si après de fortes précipitations, le lac se régénérait, il n’en reste pas moins fragilisé », note l’élu local. La nature n’est-elle plus aussi généreuse avec le lac ou y a-t-il d’autres raisons derrière le tarissement de cette zone humide? « Le facteur naturel est certes probant mais il ne faut pas négliger le facteur socio-économique », relativise Outaleb.

Cultures intensives

«La véritable source du problème n’est autre que les cultures avoisinantes du lac. Les nombreux puits creusés en abondance pour irriguer les larges plantations d’arbres fruitiers et spécialement les pommiers ont fini par pomper la nappe phréatique », s’insurge Said Aharhar. D’après lui, le pompage abusif et permanent de l’eau souterraine pour arroser les plantations avoisinantes, a privé le lac de ses sources naturelles. Pire, l’eau qui était, il y a quelques années, si proche de la surface, devient de plus en plus difficile à trouver.

 

« On passe des forages à 90 m à plus de 300 m. Au-delà du triste destin du lac, c’est toute la nappe phréatique locale qui en souffre», rajoute, alarmé, Mohamed Outaleb. Sur les verdoyantes plantations de pommiers, de poiriers et autres pêches bien portants, ceinturant daya, plane toutefois le spectre d’un stress hydrique sous-jacent. Un danger que les agriculteurs semblent loin d’imaginer en continuant à planter toujours plus et à pomper, 24h/24h, une eau si précieuse et si fragile.

 

 

Ecosystème en danger

«Chaque année, on voit fleurir de nouvelles plantations de pommiers encore plus vastes et plus friandes d’eau. Les agriculteurs voient miroiter le gain que représentent les récoltes d’une telle culture, mais ont-ils néanmoins conscience du danger que ça représente pour l’écosystème local et pour les ressources en eau qui se raréfient chaque jour un peu plus ?» s’alarme Aharhar. « Nous sommes face à un choix difficile. C’est une région agricole par excellence. C’est la principale activité économique génératrice de revenu. On ne peut pas empêcher les populations locales de travailler et de gagner leur pain pour épargner le lac, aussi douloureuse soit cette décision», répond, résigné, l’élu local.

Un véritable dilemme socio-écologique pour les responsables d’où le lac sort largement défavorisé. «Même si l’on considère l’apport du tourisme écologique et vert autour du lac, il reste dérisoire et peu important par rapport aux rentes de la culture des arbres fruitiers. Malgré le grand potentiel de la région, le tourisme vert est très mal développé. Il est encore loin d’être aussi rentable », argumente Outaleb.

Un calcul mathématique qui, de prime abord, semble logique mais qui perd de sa consistance aussi vite si l’on considère la grande menace d’un stress hydrique planant sur la région. «La pomme a eu ses moments de gloire il y a quelques années. Mais cette culture a été victime de son propre succès. Beaucoup d’agriculteurs ont troqué leurs cultures de légumes et de légumineuses, peu couteuses en eau,  contre les arbres fruitiers en particulier le pommier », analyse Aharar.  Mais ce grand engouement a fini par générer d’autres problèmes outre le desséchement du lac, « A savoir la grande concurrence doublée d’une commercialisation titubante sans parler des méfaits des insecticides sur l’écosystème en général», analyse l’acteur associatif.

Ces cultures qui pompent la vie au lac et à la région, valent-elles leur coût écologique ? Leur impact socio-économique pourra-t-il compenser les dégâts causés à la nature environnante ? La sensibilisation des populations à une utilisation raisonnable et raisonnée des sources en eau pourra-t-elle sauver la mise ? L’encouragement du tourisme rural et vert dans la région n’est-il pas apte à réaliser la difficile équation d’un développement économique durable et écologique ? Plein d’interrogations qui planent sur l’avenir de Dayet Aoua mais surtout de toute une région dont la vie est axée sur le lac et sur sa survie.