Santé mentale. C’est grave docteur ?

 

Parent pauvre de la santé publique, la santé mentale n'est pas au top de sa forme dans notre pays. Si le nombre des malades mentaux ne cesse de croître depuis quelques années, les infrastructures médicales, la prise en charge, les ressources humaines, elles, ne suivent pas. Tour d’horizon de la situation à l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale fêtée le 10 octobre de chaque année.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

Le moral des Marocains n’est pas au beau fixe… à en croire les chiffres de l’une des rares enquêtes épidémiologiques nationales sur la prévalence des troubles mentaux et les toxicomanies au Maroc. Réalisée en 2007, par le ministère de la Santé en collaboration avec l’OMS, cette étude montre en effet que 26,5% des Marocains souffrent de troubles dépressifs, 9% de troubles anxieux, 5,6% de troubles psychotiques, 1% de schizophrénie, 2% d’abus d’alcool, alors que 1,4 % ont développé une dépendance alcoolique.

 

Les femmes plus dépressives

 

Une autre étude, réalisée en 2009, par Nadia Kadiri, professeur de psychiatrie au CHU Ibn Rochd, en collaboration avec le ministère de la santé et l’OMS, s’est penchée sur la prévalence des troubles mentaux chez les Marocains. Un travail de terrain qui a été réalisé sur un échantillon national de 6.000 personnes âgées de 15 ans et plus. D’après cette étude, les femmes marocaines, à l’instar de la gent féminine mondiale, se sont révélées plus dépressives que les hommes. Une situation de prédisposition que les chercheurs expliquent par la pression des facteurs socio-environnementaux et physiologiques subie par la femme marocaine.

Double responsabilité familiale et professionnelle, frustrations, pression multiples, perturbations hormonales (cycle mensuel, grossesse, accouchement…), les femmes en deviennent ainsi une proie privilégiée à la dépression. « D’autant plus qu’elles ne se ménagent pas des soupapes afin d’alléger la pression comme c’est le cas pour leur congénères masculins : Sorties amicales, matchs de foot, alcool… », analyse Dr Mostafa Massid, psychologue clinicien.

Un état des lieux confirmé par le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), publié en 2019, au lendemain de la célébration de la journée mondiale de la prévention du suicide le 10 septembre. Ce rapport rappelle la triste réalité d’un grave problème de santé publique sévissant partout dans le monde. D’après l’OMS, ils sont près de 800.000 personnes à se suicider chaque année et beaucoup d’autres tentent de le faire sans toutefois y parvenir. Chez les 15-29 ans, le suicide constitue la deuxième cause de mortalité après les accidents de la route. Géographiquement, le suicide n’est pas le seul fait des pays à revenu élevé, c’est un phénomène mondial. Cependant 9% des suicides surviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.

16% des Marocains ont des tendances suicidaires

 

Au Maroc, les chiffres ne sont guère rassurants. Ils étaient 1013 personnes à mettre fin à leurs jours, soit 2,9 pour 100.000 habitants (Chiffres enregistrés en 2016). Selon ce même rapport, les femmes marocaines seraient plus portées que leurs congénères à passer à l’acte. Le taux de suicide chez les femmes, largement plus élevé que chez les hommes, confirme ce constat : 613 femmes contre 400 hommes. Des chiffres qui placent le Maroc dans le classement morbide des cinq pays les «moins cléments» pour les femmes à savoir le Bangladesh, la Chine, le Lesotho et le Myanmar. Au niveau arabe, notre pays occupe, tristement, la deuxième place des pays arabes où les femmes se suicident le plus, juste après le Soudan (801).

Au-delà des chiffres glaçants de l’OMS, la réalité est encore plus inquiétante. Chaque jour apporte son lot de nouveaux suicides dans notre pays. Jeunes, moins jeunes, femmes, hommes, célibataires, mariés, travailleurs, chômeurs… Le suicide n’épargne personne, mais semble tout de même frapper certaines catégories. L’une des rares études analysant le phénomène a été menée en 2007 sur un échantillon de 5.600 personnes par le ministère de la Santé et le CHU Ibn Rochd. Résultats : 16% des Marocains ont des tendances suicidaires à cause notamment des difficultés socio-économiques, des différentes frustrations et autres déceptions.

Il ressort également de cette étude que les femmes (21%) sont plus suicidaires que leurs congénères masculins (12%). Autres malchanceux qui seraient prédisposés au passage à l’acte ultime : les célibataires, les couples n’ayant pas d’enfants et les personnes souffrant de troubles psychiques. L’étude révèle qu’entre 40 à 70% des cas de suicide concernent des personnes ayant présentés antérieurement des signes dépressifs.

Plus de morts par suicide que par le SIDA

Des chiffres certes partiels et trop anciens mais qui restent révélateurs de l’ampleur du phénomène et surtout du mal être d’une bonne partie de la population. Fragilisée, la jeunesse est malheureusement  la catégorie la plus touchée. « Ceci est valable dans tous les pays du monde. Il y a une sorte de stigmatisation, de discrimination, de mise à l'écart de la santé mentale et de la psychiatrie partout dans le monde. A titre d'exemple, l'OMS affirme que durant les trente dernières années, il y a eu plus de morts par suicide que par le SIDA. Pourtant, tout le monde parle du SIDA, mais personne ne parle de suicide. Or, nous savons que 80% des suicides résultent de problèmes psychiques », martèle Dr Driss Moussaoui, psychiatre et président de la Fédération internationale de psychothérapie.

Même si le praticien  reconnait la nette amélioration en termes de prise de conscience des problèmes de la santé mentale, il déplore toutefois la flagrante insuffisance des moyens. « Que ça soit au niveau quantitatif ou qualitatif, nous manquons de tout. Nous avons un manque de lits en psychiatrie et un manque considérable de médecins et d'infirmiers… » Regrette-t-il auparavant. Même constat du côté de Fouad Mekouar, d’AMALI ( Association marocaine pour l’appui, le lien, l’initiation des familles de personnes souffrant de troubles psychiques) : « La santé mentale est reléguée au second plan et les efforts déployés ne comblent pas les besoins d’un secteur mal au point ».

 

Covid-19, pandémie psychique

 

Une situation critique qui a été aggravée davantage avec la pandémie du Covid-19. Malmené par les conditions de confinements et les différentes restrictions liées à la crise, l’état psychique des citoyens est profondément affecté. Crise sanitaire doublée de crise socio-économique, le moral est gravement en berne. Les spécialistes évoquent une hausse significative de cas de dépression avec des risques de passage à l’acte.

Les enfants ne sont pas épargnés non plus. Le service de pédopsychiatrie du CHU Casablanca a fait un constat glaçant ! Le nombre d’hospitalisations liées aux tentatives de suicides chez les pré-adolescents et les adolescents a été multiplié par sept sous l’effet du confinement, comme l’affirme Said Afif, pédiatre et président du Collège syndical national des médecins spécialistes privés (CSNMSP).

Durant les 20 jours ayant suivi le déconfinement, l’unité de service pédopsychiatrie d’Ibn Rochd, réservée aux adolescents de plus de 12 ans, a enregistré trois fois plus d’hospitalisations pour tentative de suicide, trois fois plus de cas de violence et trois fois plus de cas de troubles de conduite en comparaison avec l’avant-confinement.  Alarmant ? Certes surtout en l’absence d’une politique intégrée de santé mentale et de spécialités d’accompagnement comme le déplorent les spécialistes.

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