Le cannabis assoiffe Bab Berred

 

Enregistrant l’un des plus importants taux de précipitations pluviales et neigeuses au Maroc, la ville de Bab Berred vit pourtant dans la soif. Détails d’une situation paradoxale.

 

Par Hayat Kamal Idrissi  

 

Perchée à plus de 1000 m d’altitude, au pied de Jbel Tizirane dans la Province de Chefchaouen, la ville de Bab Berred enregistre chaque année l’un des plus importants taux de précipitations pluviales et neigeuses au Maroc.

« Paradoxalement, nous mourrons de soif. Les habitants chanceux n’ont droit à un approvisionnement en eau qu’une fois par trois jours, durant une heure au maximum. Pour les autres, c’est une fois par semaine », s’insurge Youssef Chtoun, guide montagnard et l’un des habitants touchés de Bab Berred. Une situation qui dure depuis des années en s’aggravant chaque jour un peu plus, tout en s’apparentant à une « sécheresse » ! « Alors que Jbel Tizirane est très riche en ressources hydriques », note Abdelmajid Aharaz acteur associatif et représentant de l’Observatoire international des médias et des droits de l’Homme, section Tanger-Tétouan-Al Hoceima.

 

 

Où sont les châteaux d’eau ?

Pourquoi donc la ville est assoiffée alors que l’eau si précieuse est à portée de main et coule à flot à quelques kilomètres, au mont surplombant la ville ?  « Le problème réside essentiellement dans l’absence d’infrastructure adaptée et de châteaux d’eau pour recueillir l’eau des précipitations et des neiges fondues en période estivale », explique Aharaz.

Pour Youssef Chtoun, « Rien que la brume et le brouillard enveloppant le jbel pourraient approvisionner Bab Berred en eau durant toute l’année !!! Mais rien n’est fait pour optimiser ces ressources pourtant disponibles », se révolte le guide. Il déplore une situation devenue insupportable pour la population locale  mais aussi pour les visiteurs et les touristes attirés par le grand potentiel touristique de la région. « Un véritable gâchis ! », regrette-t-il.

 

 

Exode collective

« Beaucoup d’habitants ont quitté la ville à cause de la soif. Ma grand-mère qui est née et grandi ici, a été obligée de vendre l’ancienne demeure familiale pour se réfugier à Tétouan car n’en pouvant plus de vivre avec quelques goutes d’eau une fois par semaine », nous raconte Youssef, la mort dans l’âme. Même souffrance et même galère pour les autres habitants. N’ayant pas d’autres choix, ils se contentent des quelques litres recueillis durant les quelques minutes d’approvisionnement.

« Cette quantité est affreusement insuffisantes. Beaucoup d’habitants sacrifient leur hygiène pour préserver l’eau recueillie. Prendre une douche ou laver son parquet devient un vrai luxe auquel tout le monde n’a pas droit », décrit Aharaz. Ce dernier nous affirme que la crise liée au Covid-19 et les mesures de prévention ont plombé davantage la situation.

 

 

Couteuse et peu goûteuse eau

Pire encore, Chtoun nous assure que l’eau qui coule dans les robinets de Bab Berred est loin d’être de potable. « A cause de son aspect et de son goût douteux, beaucoup d’habitants préfèrent l’utiliser pour les tâches ménagères. Pour boire et cuisiner, ils achètent de l’eau minérale ou des tonneaux d’eau de source récupérée dans les montagnes avoisinantes  à 150 dhs », ajoute-t-il. Etancher sa soif devient ainsi très couteux dans une ville où le pouvoir d’achat est plus que faible, comme l’affirme Abdelmajid Aharaz.

« Nul besoin de vous décrire la situation socio-économique dans une petite ville où l’activité économique est très limitée et les opportunités d’emploi sont presque inexistantes. Même les quelques entreprises et projets qui essaient de se faire une place au soleil, sont paralysées par la rareté de l’eau. L’exemple des bains maures, des lavages et autres cafés qui sont profondément touchés ou carrément fermés est éloquent », nous explique l’acteur associatif.

Servie par un seul château d’eau dont la capacité est beaucoup plus inférieure à ses  besoins réels, Bab Berred attend depuis des années d’être reliée au réseau d’approvisionnement en eau potable depuis le lointain Oued Kenar. « Un projet prometteur qui devrait atténuer la souffrance des habitants mais qui tarde alors que la ville est agonisante de soif. Cependant la reconstruction du Barrage effondré de Laânaaser, déjà promise par l’ex ministre de l’eau Charafat Afilal, devrait sauver la ville, mais aussi les autres villages de la région tout aussi touchés par la soif », note Aharaz.

Cannabis coupable                    

Une situation difficile qui ne se limite pas à la ville mais qui touche également tous les villages et les douars avoisinants. Véritable moteur de développement local, l’eau a été pompée à outrance par les plantations du cannabis, premières coupables de cette « sécheresse » comme le soutient Youssef Chtoun.  « La nappe phréatique a été complètement pompée par les puits forés à la sonde par les grands agriculteurs de cannabis. C’est l’une des grandes causes de la rareté des eaux par ici », explique le guide.

De son côté Aharaz pointe du doigt la voracité en eau des nouvelles variétés de graines de cannabis importées. « Contrairement au kif beldi, la variété locale, très adaptée au milieu naturel du Rif et peu consommatrice d’eau, les variétés intruses importées d’Amérique Latine, d’Asie et d’Europe sont voraces et exigent d’énormes quantités d’eau pour une irrigation intense. C’est la raison principale du desséchement de la plupart des sources et puits de la région », regrette-t-il.

« Ni élus municipaux locaux, ni parlementaires de la région n’ont proposé de solutions pour nous sortir de cette situation. Nous sommes seuls face à la soif », s’insurge Youssef Chtoun.  Une situation critique qui perdure malgré les réclamations insistantes et les nombreuses manifestations de la population locale contre la soif. Bab Berred profitera-t-elle un jour du potentiel hydrique de Tizirane ? A suivre.