Personnel féminin des bars : Cette licence discriminatoire

 

Comme si la crise liée au Covid-19 et la fermeture de leurs lieux de travail ne sont pas suffisantes, les travailleuses des bars doivent fournir une licence spéciale pour exercer. Une procédure refusée et jugée discriminatoire par les associations féministes.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

« Dans ces conditions difficiles marquées par la crise et par la raréfaction des opportunités d’emploi, il a fallu en rajouter pour enfoncer davantage, les travailleuses des bars, dans la précarité. Cette procédure est une aberration ! » s’insurge d’emblée Bouchra Abdou, directrice de l’association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté. Dénonçant une procédure franchement discriminatoire, l’association a déjà rendu public un communiqué revendicatif appelant à l’abolition immédiate de cette « licence » spécifique, obligatoire uniquement pour le personnel féminin.

Procédure dépassée

« C’est une procédure et un discours largement dépassés. Ils sont en flagrante contradiction avec l’esprit de la constitution de 2011 qui prône l’égalité des sexes et des chances pour tous », argumente Bouchra Abdou.

Ne datant pas d’hier, cette procédure est une mise en application d’un vieux texte réglementaire.  Il s’agit de l’arrêté n°3-177-66, signé par le directeur du cabinet royal en 1967, régissant le commerce des boissons alcoolisées. Parmi les dispositions réglementaires de cet arrêté : Le respect du paiement de taxes sur les débits de boissons à savoir les épiceries, les restaurants, les cabarets, les bars et les boîtes de nuit, pas de service pour les clients de confession musulmane et cerise sur le gâteau : La licence octroyée par la police au personnel féminin pour pouvoir travailler dans ces lieux.

Explication ? « Pour exercer, barmaids, serveuses, gérantes, responsables, cadres administratives ou femmes de ménage… toutes les femmes qui veulent travailler dans les lieux servant de l’alcool doivent disposer d’une autorisation spéciale fournie par la police. Les hommes eux, n’y sont pas obligés ! », nous explique, révoltée, la directrice de Tahadi. Contrairement à leurs compères masculins, le personnel féminin doit demander, conjointement avec le propriétaire du bar ou du restaurant, une licence auprès de la Direction générale de la Sûreté nationale.

 

 

« Cette demande inclut plusieurs documents, notamment  l’extrait de naissance, la fiche anthropométrique, une autorisation maritale si la travailleuse est mariée, l’acte de divorce ou certificat de célibat pour les célibataires et les divorcées ainsi que des photos. La décision de la DGSN est donnée suite à l’examen de la situation de la personne concernée», explique auparavant  Kacem Jdouri, président de l’Association Atlas des propriétaires des débits de boissons à Casablanca.

Pénalisées par leur sexe

Une inégalité flagrante qui suscite l’ire des féministes, des travailleuses  mais aussi des employeurs. Œuvrant depuis des années pour changer la situation, ces derniers ont porté, en 2019, le débat au sujet de l’arrêté de 1967 à la Chambre des représentants en rencontrant le groupe USFP. Ceci avec la promesse de faire parvenir leurs doléances aux ministères de l’Intérieur et des Finances.

« Avec la crise socio-économique causée par la pandémie et la fermeture de nombreux bars, beaucoup de travailleuses ont perdu leur emploi. Nous avons reçu de nombreuses plaintes, elles vivent dans une extrême précarité. Au lieu de s’intéresser à leurs conditions de travail et veiller au respect de leurs droits sociaux, on en rajoute à leur crise en imposant une autorisation pour le moins discriminatoire », insiste Abdou.

Dilemme

D’après cette dernière, beaucoup de femmes travaillent dans le noir et à l’insu de leurs conjoints et de leurs familles. « C’est toujours mal vu dans notre société de travailler dans de tels lieux pour une femme. Craignant la stigmatisation ou carrément d’être obligées de na pas travailler, ces femmes préfèrent taire leur véritable emploi. Mais avec une licence requérant la permission du mari ou du père, ce ne sera plus possible », explique-t-on auprès de Tahadi pour l’égalité.

Un sacré dilemme pour ces femmes  qui ne demandent qu’à travailler et qui sont pénalisées par leur sexe.