Inédit : Une application anti-violence numérique

 

 

Enfin une application marocaine pour contrer les violences liées au genre et spécialement les violences numériques. Les victimes pourront désormais soumettre leurs plaintes en toute sécurité et sans être inquiétées. 

 

Par Hayat Kamal Idrissi    

 

Bonne nouvelle pour celles qui souffrent en silence et dans la solitude, des assauts d’agresseurs virtuels.  « « Stop violence numérique » vient renforcer les efforts de lutte contre les violences numériques à l'égard des femmes. Cette application enrichit en effet  le dispositif national de lutte contre les violences du genre tout en confirmant le rôle, de premier plan,  de la société civile », nous affirme Bouchra Abdou, directrice d’ATEC ( Association Tahadi pour l’Egalité et la Citoyenneté (ATEC)). A l’origine de cette initiative, l’association vient de lancer cette nouvelle application avec le soutien de l'Ambassade du Royaume des Pays-Bas au Maroc.

A l’écoute

« Cette application démontre la capacité de la société civile nationale à proposer des réponses et des solutions pratiques et intelligentes qui tiennent compte de l'évolution dangereuse du phénomène des violences numériques à l'égard des femmes », explique Abdou qui est en contact direct avec la souffrance de milliers de femmes victimes de violence en général et celle numérique spécialement. Recevant chaque jour des dizaines d’appels de détresse, le centre d’écoute de Tahadi n’a pas chômé ces derniers temps et spécialement pendant la période de confinement.

Décrite par ses initiateurs comme une application innovante et facilement accessible et téléchargeable, « Stop violence numérique » adopte un langage interactif et commode. « A travers lequel les femmes victimes des violences numériques peuvent facilement soumettre leurs plaintes et leurs revendications et sans complications », décrit la directrice de Tahadi. Télécharger l’application, y poster sa plainte en toute sécurité, spécifier ses revendications… Le rôle de l’application ne se limite pas cependant à être une simple oreille compatissante. Les révélations d’une victime vont suivre un circuit bien défini… selon ses propres choix.

 

 

Accompagnement légal et psychique

« L’association se charge, par la suite, de traiter directement la plainte ou de la renvoyer aux autorités compétentes, en veillant, bien entendu, à ce que le suivi soit assuré, tout au long de son itinéraire légal, en coordination avec la personne concernée », assure Bouchra Abdou. Ne se contenant pas d’écouter, les initiateurs de l’application propose un véritable accompagnement légal et psychique aux « plaignantes ».  « Notre avocat, notre psychologue et nos assistantes sociales sont là pour épauler les victimes qui souffrent souvent dans la solitude, la crainte et la honte. La nature des violences les plongent dans l’isolement. L’application est venue justement pour les sortir de ce cercle infernal », ajoute la responsable.

« Stop violence numérique » est ainsi conçue pour fournir aux victimes des violences numériques et à tous les visiteurs des données et des informations riches et pratiques. Textes législatifs, dispositions et procédures juridiques, noms, numéros et adresses des différents intervenants… tout y est. « L'application fournit également un certain nombre de conseils aux victimes réelles ou potentielles des violences numériques pour qu’elles puissent y faire face », ajoute-t-on auprès de Tahadi.

Agressions prolongées

« Ce qui caractérise la violence numérique, c’est son aspect publique. La victime est doublement atteinte. Elle subie l’agression devant des centaines voire de milliers de « spectateurs ». C’est une atteinte à son intégrité qui se prolonge dans le temps et dans l’espace », nous explique Soukaina Zerradi, psychologue clinicienne, opérant auprès des victimes de violence numérique au centre d’écoute de l’ATEC. Une agression qui est revécue à répétition et à chaque fois que les photos ou les vidéos sont visionnées par des internautes « voyeuristes ».

« Le problème avec la violence numérique c’est son aspect « infini ». Les vidéos et les photos relatant l’acte peuvent être téléchargées, conservées  et repartagées. Impossible de s’en débarrasser définitivement et c’est là le côté profondément destructif de ce type de violence surtout pour des victimes jeunes et vulnérables », regrette Bouchra Abdou.

Des propos confirmés par la psychologue qui est en contact direct avec la détresse des victimes et n’en connait que trop l’impact de telles épreuves sur leur santé psychique. Mais ce n’est pas tout ! Profondément tourmentées, la plupart ont eu des idées suicidaires  à un certain moment et sont même passées à l’acte.  « La mort devient une issue assez pratique à cet enfer », dévoile Zerradi.

Pire que la détresse d’être agressée sauvagement, d’être offertes malsainement  aux commérages sur les réseaux sociaux, ces jeunes filles doivent affronter leur propre esprit. D’après la psychologue, les victimes de la violence numérique doivent surmonter, au préalable, un douloureux dilemme : Elles se considèrent comme coupables. « Elles ne se représentent pas comme étant des victimes. Tout au contraire, elles s’auto-incriminent et trouvent qu’elles sont coupables et responsables de ce qu’il leur arrive. Ce sentiment de honte de soi est encore plus accentué lorsqu’il s’agit d’affronter le regard stigmatisant des autres : La famille, les voisins, la société en général », analyse la psychologue.

 

 

Un frein psychique puissant qui empêche d’ailleurs la plupart des victimes d’aller dénoncer leurs agresseurs auprès de la police, comme nous l’affirme Bouchra Abdou. « Elles ont peur du scandale, de qu’on dira-t-on. Elles sont certaines que tout le monde va les considérer comme des filles faciles, des coupables qui ont creusé elles mêmes leur tombe », explique, avec regret, la directrice d’ATEC.

1,5 million de victimes

D’après une enquête menée par le Haut Commissariat au Plan concernant la cyber-violence, elles sont près de 1,5 million de femmes au Maroc à en être des victimes au moyen de courriels électroniques, d’appels téléphoniques, de SMS... avec une prévalence de 14%. Ceci tout en prenant en considération le grand nombre de victimes qui n’arrivent pas ou renoncent à leur droit de dénoncer ce type d’agressions. «Seule une femme sur dix dépose plainte quand il s’agit de violence numérique », affirme auparavant la directrice de Tahadi. Par « violence numérique » on indique toute violence ou agression ou harcèlement via les réseaux sociaux,  à travers les outils  technologiques que ça soit par des appels, des SMS, des messages, des photos…

Notons que les acteurs de la société civile multiplient les efforts de sensibilisation et d’accompagnement pour  «mettre à profit», la loi 103-13 relative à la violence contre les femmes, fraichement mise en application. Car personne n’est à l’abri comme le confirme les différentes affaires éclatant ici et là ; tout en révélant le côté sombre de la révolution des moyens de communication et des réseaux sociaux, toutes catégories confondues.