Entretien: « Pas de relance du tourisme sans ouverture de frontières »

Impact de la crise sanitaire, contrat programme, reprise des activités, ouverture des frontières, projets en cours et futurs… le président directeur général du groupe Hivernage Collection, Ahmed Bennani, dit tout.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : le tourisme a accusé un coup dur lors de cette pandémie. Quel a été l’impact sur vos activités ?

Ahmed Bennani : Nous sommes en train de vivre une crise sans précédent. Pour nous, comme pour tous les hôteliers de la ville de Marrakech, l’impact a été très lourd : nous avons raté notre grande saison du printemps 2020 et avons été forcés à fermer nos hôtels vers la mi-mars. En été, les restrictions liées aux déplacements imposés au niveau du pays ont été comme un coup de grâce. Et les professionnels n’ont pas pu bénéficier du peu de tourisme local qui aurait pu limiter la casse. Aujourd’hui, ce n’est plus un secret,  l’année 2020 est complètement perdue. Et nous n’avons aucune visibilité pour la période à venir. J’espère que les choses vont prendre un autre tournant et qu’on trouve des solutions rapides et efficaces.

Est-ce que selon vous, ce qui a été fait jusque là par les pouvoirs publics pourra relancer le secteur touristique ?

A mon sens, ce qui a été fait n’est pas suffisant. Les avis des professionnels sont unanimes. Pas de relance sans ouverture de frontières. Aussi, on ne peut se contenter des vols spéciaux. Il faut absolument que les vols réguliers reprennent comme avant.  Ces mesures permettront à nos partenaires et les autres marchés émetteurs de reprogrammer la destination et le Maroc et d’avoir une visibilité plus claire.

Autoriser l’accès au territoire sur réservation n’a-t-il pas eu l’effet escompté ?

Pas du tout. Avant la pandémie le taux d’occupation à Marrakech se situait aux alentours de 68% avec 80 à 120 vols programmés par jour. Comment peut-on espérer une reprise avec un ou deux vols seulement par jour actuellement? C’est tout simplement impossible. Aussi, je suis un peu déçu du travail de l’ONMT qui était absent de la scène pendant 7 mois. Ce n’est que récemment que l’office a commencé à bouger. Et d’après les échos reçus,  beaucoup de nos partenaires ne sont même pas au courant de cette mesure d’ouverture du territoire aux touristes sur réservation d’hôtels. Cela veut dire que la campagne de communication orchestrée par l’ONMT n’était pas suffisante pour faire circuler l’information dans les différents pays.

Que pensez vous du contrat programme signé entre l’Etat et les professionnels pour une éventuelle relance ?

L’un des objectifs principaux de ce contrat est de sauvegarder les emplois. Pour notre groupe, 10 à 15% de l’effectif perçoit le SMIG. Le reste ce sont des salaires qui sont situés en moyenne entre 8.000 et 10.000 DH. L’aide programmée par l’Etat, est donc insuffisante. Et nous avons été obligés de compléter la différence pour garder notre personnel. Le problème se pose aujourd’hui pour les intérimaires qui font partie aussi de notre équipe. Les pourparlers sont en cours avec les parties prenantes pour régler cette problématique. Mais jusque là, rien de concret. Il y a aussi le problème d’accompagnement et de financement de la part des banques. Un accord a été signé avec la GPBM pour faciliter l’accès au financement pour les hôteliers. Or, nous remarquons aujourd’hui, que la procédure est très compliquée et la plupart des professionnels ne sont pas éligibles aux critères imposés par le secteur bancaire. Nous invitons alors, les banques à jouer pleinement leur rôle et accompagner, comme convenu, le secteur qui a toujours participé au PIB et drainé des devises au pays. Pourvu que le gouvernement agisse dans ce sens.

 Si on ouvre demain les frontières, serait-il possible de sauver la saison d’hiver ?

Si on ouvre les frontières cette semaine, on ne pourra même pas sauver le premier trimestre 2021. Mais on va atténuer un peu l’impact. Dans ce cas, on aura fait comme les autre pays qui grâce à l’ouverture des frontières ont pu réaliser des taux d’occupation de 20% à 30%. Mieux que rien. Autre mesure qui pourra aussi agir favorablement sur la reprise, la mise en place des tests antigéniques au niveau des aéroports à l’arrivée. Pour nous, l’objectif est de pouvoir reprogrammer les vols sur notre pays et surtout toutes ses destinations touristiques et espérer avoir quelques touristes qui ont le courage de voyager et je pense qu’il yen a pas mal aujourd’hui.

A quand une véritable reprise du tourisme selon vos pronostics ?

Aujourd’hui plusieurs scénarios se présentent. Les plus optimistes parlent de 2022 et les plus pessimistes tablent sur une reprise en 2025. A mon avis, il faut se situer entre les deux. Et donc, le secteur, à mon sens, ne pourra être véritablement relancé qu’en 2023. Il faut donc agir rapidement.  Si nous ne sommes pas réactifs, nous allons donner l’occasion à d’autres pays de récupérer nos parts de marchés comme c’est le cas de la Grèce, la Tunisie ou encore la Turquie… Ces pays ont d’ailleurs ouvert leurs frontières actuellement et ont pu enregistrer déjà des taux d’occupation de près de 40%.

Après une fermeture de près de 7 mois, les établissements du groupe Hivernage collection viennent de rouvrir leurs portes. Quelles perspectives de développement pour la période à venir ?

 Le groupe est présent à la fois dans le segment hôtellerie de luxe à travers « The Pearl Marrakech »  et « l’Hivernage Hôtel & Spa », et dans la restauration via  la marque « table du marché » qui compte actuellement douze points de vente à travers le Maroc. Contraints de fermer nos portes durant cette crise sanitaire, nous avons profité de la période pour procéder à la rénovation de nos établissements hôteliers. L’enveloppe allouée à ce projet avoisine les 45MDH.  Un partenariat acté récemment avec Nobu Hospitality permettra de faire du Pearl Marrakech le tout premier ‘’Nobu Hôtel et Restaurant’’ d’Afrique. Les transformations opérées sont d’ailleurs inscrites dans ce sens. Le partenariat, qui a été décalé en raison de la crise du Covid, sera effectif avant la fin 2021 et a pour objectif de drainer une nouvelle clientèle et repositionner la destination.

 D’autres projets en vue ?

Oui. La crise ne freinera pas nos investissements et notre volonté d’aller de l’avant. En 2021, la marque « Table de marché » va s’ouvrir à la franchise. Aussi, nous sommes en train de développer un nouveau projet d’un village de bien être avec un hôtel 5 étoiles, un centre welness, le plus grand en Afrique, une piscine olympique, un parcours aquatique… la construction a démarré il y a 5 ans, mais elle a subi un arrêt suite à un problème de financement. Le taux d’avancement des travaux est de l’ordre de 80% et l’enveloppe allouée au projet est de 300MDH. L’ambition aujourd’hui est d’être accompagné par le nouveau fonds d’investissement Mohammed VI pour achever les 20% restantes du projet le plutôt possible.