Hommes battus, entre honte et tabou

 

Loin d’être des cas isolés, les hommes battus par leur douce-moitié sont légion. Le confinement et les conditions spéciales liées à la crise sanitaire ont aggravé la situation davantage.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

La violence n’a pas de sexe ! Si les femmes restent les victimes « classiques » d’actes brutaux qu’ils soient physiques ou psychiques, les hommes n’en sont pour autant épargnés.  « Ils sont tabassés, humiliés, victimes d’actes de sorcellerie, de chantage économique ou sexuel… Le spectre de la violence contres les hommes s’élargit pour inclure plusieurs formes aussi destructrices les unes que les autres », affirme  Fouad El Hamzi, président de l’Association de défense des maris victimes de violences conjugales. Recevant régulièrement des plaintes d’hommes battus par leurs conjointes, le militant note toutefois une hausse remarquable du phénomène depuis le début de l’état d’urgence sanitaire.

Ironie et préjudice

Objet de blague et d’ironie, la violence contre les hommes existe bel et bien et cause de graves préjudices aux victimes, « qui n’arrivent souvent pas à dénoncer leurs  femmes de peur d’être stigmatisés. Socialement, un homme battu est perçu comme « castré ». Sa détresse est tournée en dérision » explique Meriem Mouaâtassim, psychologue clinicienne. Cette dernière évoque le sentiment pesant et sous-jacent d’auto-culpabilisation.  « La perception du rôle sexuel de l’homme dans la société l’empêche de déclarer ces actes violents. La victime se ferme alors sur elle même et se contente de subir en silence pour protéger sa dignité », ajoute la clinicienne. Une violence physique doublée d’abus psychiques qui finissent par isoler les hommes battus.

« Notre rôle dans l’association est justement de venir en aide à ces hommes. Les accompagner et les soutenir dans leur détresse », explique Fouad El Hamzi qui estime que la non-reconnaissance du phénomène reste l’un des premiers obstacles à ce combat. « Pourtant, ils sont plus de 24.500 hommes victimes recensés par notre association depuis 2008. En 2018, le Réseau a enregistré 3.000 cas contre 2.500 en 2017 », analyse de son côté Abdelfattah Bahjaji, président du Réseau marocain pour la défense des droits de l’Homme.

Des chiffres qui sont loin d’être représentatifs de la réalité, comme le soutient Bahjaji. « Ce sont là des hommes violentés qui ont eu le courage de venir nous voir. Beaucoup de victimes ne dénoncent pas leurs bourreaux. D’autre se contentent d’appels téléphoniques anonymes », regrette le militant. D’après ce dernier, le réseau reçoit en moyenne, 3 à 4 appels quotidiennement de la part d’hommes violentés.

 

 

Profils

« La honte, le tabou et la peur de devenir une risée de leur entourage les bloquent et les paralysent. Ils sont pris au piège dans ce cercle infernal : Entre sentiment d’injustice, sentiment d’infériorité et culpabilité. Ils remettent en question leur  identité  d’hommes et ça les affaiblit psychiquement », analyse la psychologue.

Attaqué de l’extérieur autant que de l’intérieur, Rachid comme un bon nombre de victimes, souffre en silence. Employé d’assurance, c’est un homme respecté par ses amis et ses collègues. Pourtant chez lui, son calvaire dure depuis des années. Sa femme le malmène en faisant de sa vie un véritable enfer. Des coups qui partent à l’improviste et des insultes virulentes font son quotidien. Camoufler les traces et les bleus sur son visage et son corps est devenu une chose vitale pour le jeune homme. Il faut surtout protéger les apparences… Et dans ce cas Rachid n’est pas seul. Touchant toutes les catégories sociales, toutes les tranches d’âge et toutes les villes, les violences varient selon les cas et peuvent prendre des formes inimaginables, comme le soutient Bahjaji.

Prise de conscience

« Ils sont âgés entre 22 et 84 ans. Toutes les catégories socio-économiques sont concernées», ajoute-t-il. Coups et blessures, sorcellerie, chantage sexuel ou économique, exclusion de l’éducation des enfants, trahison et amant imposé au mari, empoisonnement… La violence conjugale peut prendre toutes sortes de formes.

Une situation qui s’aggrave en cette période de crise et en l’absence d’une véritable prise  de conscience  de cette violence inversée, comme le déplorent les deux militants. Pour El Hamzi, les idées reçues et les préjugés limitent cette prise de conscience même au niveau des tribunaux.  « Considérant les femmes comme des victimes potentielles, les juges ont du mal à les imaginer comme étant des coupables », explique-t-il. « Défavorisés » d’emblée, les hommes battus doivent subir leur calvaire en silence en attendant des jours meilleurs.