Débat : Mariage ou transaction commerciale ?

 

Un simple post d’un jeune employé, sur un groupe facebook, provoque une onde de choc sur la toile avec un véritable débat de fond : Se marie-t-on avec une personne ou avec un salaire ? Analyse d’un buzz révélateur !

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

« Je suis un jeune homme de 26 ans. Je touche 6500 dhs comme salaire et ma fiancée, fonctionnaire, 5500 dhs. Je pense lui faire une proposition : Je veux être le seul capitaine à bord. Après le mariage, on fait un compte commun. Je lui donne son argent de poche et le reste je le gère personnellement au mieux, pour la stabilité et la prospérité de notre foyer… », C’est, en résumé, le fameux post publié sur le groupe « le salarié » et qui était à l’origine d’un véritable buzz sur la toile.

Provoquant des milliers de réactions, il a été largement partagé sur les réseaux sociaux. Entre ironie, dérision, incrédulité et colère, le jeune homme demandant « la bénédiction » des autres membres avant de se lancer, n’avait pas soupçonné tout l’émoi qu’il va provoquer.

 

Mariage en mutation

 

« Ces réactions ne sont pas spécialement provoquées par ce post. C’est un débat social sous-jacent qui est en perpétuelle gestation ces dernières années. Le mariage n’est plus ce qu’il était dans les esprits et sa perception a complètement muté », nous explique Khalid Hanefioui, sociologue.  « Fini le temps des rêves de jeunes filles où le prince charmant arrivait sur son beau cheval et enlève la princesse pour lui offrir une vie pleine d’amour et de prospérité…», lance, sceptique, Siham, 31 ans, cadre dans une société d’assurance. Le verbe amer, la jeune femme, comme tant d’autres venant se livrer sur ce groupe féminin, avoue qu’elle n’arrive pas à trouver chaussures à ses pieds et pas faute de ne pas chercher. « Il n’y a plus d’hommes ! Sue des mâles ! Du moins pas comme ils étaient du temps de nos parents et grands parents ! » généralise  Siham.

 

 

Partant d’expériences personnelles et d’histoires de proches, la majorité de ceux répondant au fameux post, notent avec regret, comment le mariage est devenu une véritable transaction commerciale. « Ce n’est plus une union entre deux âmes pour fonder un foyer mais plutôt une alliance économique. On ne voit plus que le salaire ! », fustige Latifa. Pour les autres, fini le temps où on cherchait une « bent nass » ou « weld nass » pour se marier ; avec comme conditions essentielles l’amour, ses mœurs, son sens de responsabilité, sa gentillesse ou même sa beauté.

La dinde de la farce

 

« Que de la cupidité ! Ce qui importe actuellement c’est son salaire et surtout sa capacité à l’offrir avec le sourire », ironise Said, qui répond au post en essayant d’analyser la situation. « Toutes ces histoires me coupent vraiment l’appétit ! Aucune envie de me marier. Je préfère nettement rester seule et vivre en paix au lieu d’être perçue comme la dinde de la farce », s’exprime une autre jeune femme, dégoutée, avant d’ajouter « Mon père n’a jamais su combien ma mère employée touchait. C’était lui le seul responsable de son foyer. Rien à avoir avec les jeunes d’aujourd’hui », matraque-t-elle.

Un avis que de nombreuses jeunes femmes marocaines partagent, et qu’elles traduisent en acte en retardant de plus en plus leur âge de mariage. Les chiffres du dernier rapport du Haut-commissariat au Plan l’illustrent si bien. Datant de novembre 2019, ce rapport révèle que l’âge du mariage dans la société marocaine a considérablement changé avec une forte tendance à le retarder. Ainsi l’âge moyen de mariage est passé à 31,9 ans pour les hommes et à 25,5 ans pour les femmes soit 8 ans plus tard qu’en 1960.

« Célibataires ou bikhir »

 

Le mariage ne fait-il plus rêver les Marocains ? Difficile à croire mais c’est du moins ce que confirment les résultats de ce rapport en révélant un célibat croissant dans la communauté. 35% des femmes marocaines n’ont jamais été mariées, dont 24% entre 30 et 34 ans tandis que 11% ont entre 45 et 49 ans.

L’évolution du niveau d’instruction, la durée plus importante des hautes études, l’émancipation des femmes, la forte introduction sur le marché du travail et l’indépendance financière des femmes actives sont autant d’explications pour ce « retard marital ». Pour Maria Bichra, coach de couples, l’émancipation des femmes a élargi le champ des attentes de ces dernières par rapport à une relation et par rapport au mariage en particulier. « Les femmes ont commencé, de bonne foi, à prendre trop de place dans le couple en croquant dans l’espace de leurs hommes. Ces derniers de peur de décevoir, acceptent et cumulent les frustrations en cédant à contre cœur leur rôle », note la spécialiste.

A l’instar de leurs compagnes, les hommes ne sont pas plus courageux et hésitent de plus en plus avant de faire le grand saut. « A 35 ans, je ne me sens pas prêt pour le mariage », avoue Abdellatif, employé dans un centre d’appel à Casablanca. « J’ai peur de ne pas être à la hauteur de la responsabilité. J’ai l’impression qu’il y a trop de facteurs aléatoires dans l’équation du mariage et je n’ai pas envie de m’y aventurer » coupe-t-il net. Pour Omar, 30 ans, ingénieur en informatique, les choses ne sont pas plus claires même si avec une situation financière amplement plus confortable.

« Les expériences pas très réussies autour de moi ne me donnent nullement envie de passer à l’acte. Des belles histoires d’amour finissent par tomber à l’eau à la première épreuve après le mariage, spécialement celles d’ordre financier » commente le jeune ingénieur. Des mots qui en disent long sur l’ampleur du malaise dans les rangs des jeunes « mariables » et qui expliquent en partie les chiffres avancés par l’étude du HCP.

 

 

Malaise socio-économique

D’après cette dernière, les hommes marocains convolent en justes noces, en moyenne, à 31 ans contre 22 ans en 1960. Un sacré décalage que le sociologue Khalid Hanefioui explique par plusieurs facteurs économiques, sociaux et psychologiques. D’après le spécialiste, la pauvreté et la précarité de la situation économique d’une belle partie de la population est un véritable frein pour le mariage pour les jeunes.

« Surtout, si l’on considère le coût économique et psychique du mariage, avec ses grandes nécessités tels que l’emploi, le logement, les charges quotidiennes, le niveau de vie de plus en plus cher et le coût de l’éducation des enfants », argumente le sociologue. Ce dernier est d’ailleurs catégorique : « La situation socio-économique est nullement encourageante pour les jeunes qu’ils soient hommes ou femmes », conclut-il.

« Ceci dit le mariage garde toujours cette place dans l’imaginaire et dans l’esprit des femmes et des hommes. C’est à travers cette institution que chacun réalise son accomplissement émotionnel et personnel », analyse Bichra, forte d’une expérience de 11 ans auprès des couples marocains. « La perception « erronée » du mariage n’est que le résultat de préjugés limitants et négatifs pour la plupart «hérités» et puisés dans de mauvais modèles que ça soit auprès des parents, de la famille ou de l’entourage proche ou lointain», explique la coach.

 

Déprogrammer les préjugés

 

 

Des idées préconçues qui viennent se rajouter à la multitude de doutes qui malmènent les esprits et sapent la confiance des hommes et des femmes marocains en l’autre. Mais aussi en l’avenir dans ses différentes déclinaisons personnelles, sociales, économiques et politiques. « Je ne croyais plus à cela lorsque j’ai décidé de «contracter» un mariage arrangé dans le seul but de tomber enceinte et d’avoir un enfant. Mon ex mari était partant et nous l’avons fait au bout du compte», raconte Bahija qui se dit satisfaite de ce mariage en CDD. Des choix nouveaux qui illustrent une véritable mutation de mœurs et d’idées dans une société en pleine crise de confiance.

Méfiance, préjugés, manque de confiance, peur de décevoir, manque de patience, désir de revanche par rapport à un « passé collectif », rapports de force, ego démesuré, choc culturel… les problèmes des couples marocains résultent en général de ces différentes anomalies comme le soutient Maria Bichra. « Des croyances limitantes qu’il suffit de déprogrammer et de remplacer par des idées positives à l’aide d’un spécialiste pour pouvoir construire une relation saine et épanouissante au cœur de l’institution du mariage», conclut, confiante, la coach.