Un coup d’épée dans l’eau
Ahmed CHARAI

C’est une mesure qui a fait couler beaucoup d’encre, pourtant elle a peu de chance d’être efficiente. Il s’agit du dispositif pour encourager les contrevenants aux dispositions légales sur le transfert des capitaux à rapatrier leurs avoirs. Il y a déjà un dommage collatéral, la polémique entre l’Istiqlal et le chef du gouvernement, mais ce n’est qu’une tempête dans un verre d’eau. Le nouveau ministre des Finances avance que grâce aux dispositions de la loi de Finances, en particulier, la possibilité d’avoir des comptes en dirhams convertibles, les rapatriements pourraient atteindre 5 milliards de dirhams pour la seule année en cours. Le pari est très hasardeux, parce que l’approche nous parait pour le moins incohérente.

En parlant d’amnistie, on met les personnes concernées à l’index, on les stigmatise. Or, le Maroc, à travers l’Office des changes, n’a pas les moyens de les débusquer. L’affaire Cahuzac a démontré les difficultés réelles à faire lever le secret bancaire en Suisse et ailleurs, même quand on dispose de l’information. Celle-ci est ce qui manque le plus à l’Office des changes. Quel serait donc l’intérêt de la population concernée de s’auto-dénoncer, de payer des amendes et de risquer de surcroît un lynchage public ? Les promesses de Boussaid n’y changent rien. « Il n’y aura pas de liste » a-t-il assuré, sauf que ce gouvernement a publié des listes de citoyens qui ont, en toute légalité, bénéficié de situations de rente. L’argument des comptes en dirhams convertibles est moralement intolérable. Les citoyens qui n’ont jamais bravé la loi, qui ne sont pas exportateurs, n’ont pas cette possibilité.

Ceux qui ont fait fuir des capitaux seraient donc gratifiés, en reconnaissance de leur repentir, par la possibilité de garder à disposition des devises. L’incohérence de cette mesure est la fille d’une incohérence originelle, plus importante: la réglementation des changes. Le Maroc a choisi une économie ouverte, intégrée à l’international. Les responsables nous expliquent que la convertibilité du dirham serait une catastrophe. Les convulsions de 2008 les ont confortés dans cette conviction. Le Maroc a échappé à la crise financière parce qu’il n’était pas intégré aux marchés financiers. Ce n’est pas faux, mais le discours actuel est intenable, surtout si l’on considère la stratégie officielle qui consiste à aller chercher des points de croissance en investissant à l’étranger, en particulier en Afrique.

Pourquoi ce qui est permis, conseillé aux grands groupes, ne serait-il pas permis à tout citoyen ? Il faut faire confiance à l’attractivité du pays, chercher continuellement à l’améliorer. A part les trafiquants ou les auteurs de détournements, les Marocains qui ont sorti de l’argent sont des investisseurs comme les autres. S’ils font confiance, s’ils croient en une possibilité de prospérité, ils rapatrieront leurs fonds. La carotte de Boussaid n’est ni nécessaire, ni suffisante