Violence domestique, la pandémie parallèle

 

Les rapports et les chiffres sont sans appel : La pandémie du Covid-19 a engendré une autre, d’un autre type. La violence contre les femmes s’est accrue d’une manière inquiétante… Zoom sur le phénomène à l’occasion de la Journée internationale de l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

 

Par Hayat Kamal Idrissi 

 

A huit clos, loin des yeux et livrées seules à leur sort, des femmes, au Maroc comme partout ailleurs, subissent des violences domestiques largement aggravées par les mesures restrictives de l’Etat d’urgence sanitaire.

Depuis le début de la pandémie, les associations de protection des droits des femmes s’en alarmaient des prémices inquiétantes d’un phénomène en forte progression. Les premiers rapports, élaborés à l’échelle mondiale et locale, l’ont malheureusement confirmé : Les mesures restrictives adoptées dans le monde entier pour lutter contre Covid-19 ont intensifié le risque de violence domestique. Pire, le foyer confiné est devenu un terreau fertile pour la prolifération d’actes violents de toutes natures envers les femmes.

Confinement, catalyseur de violence

« Pour beaucoup de femmes et d'enfants, le foyer peut être un lieu de peur et de maltraitance. Cette situation s'aggrave considérablement en cas d'isolement, comme les mesures de confinement imposées pendant la pandémie Covid-19 », avertit, déjà en mars 2020, Dubravka Simonovic, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes. Des prévisions qui s’avéreront malheureusement véridiques. « La violence à l’égard des femmes, surtout celle se produisant à domicile, s’est amplifiée dans certains pays. Les appels aux lignes d'assistance ont été multipliés par cinq », rapporte ONU Femmes.

 

 

L’organisation onusienne n’y va  pas d’ailleurs par quatre chemins : « Partout dans le monde, le confinement à domicile et l’isolement social résultant de la pandémie combinés à une insécurité économique généralisée et à la perte des moyens de subsistance, ont engendré de nouveaux risques pour les femmes et les filles », note un rapport de l’ONU. Une violence physique et psychique combinée à une autre économique qui aggrave une situation déjà fragilisée. Rappelons que 1 femme sur 3 dans le monde a subi des violences physiques et/ou sexuelles à un moment donné dans sa vie, le plus souvent de la part d’un partenaire intime. Plus de  70 % des victimes de la traite des êtres humains dans le monde sont des femmes et des filles.  Trois quarts d'entre elles sont exploitées sexuellement. Concernant les femmes mariées, seulement 52% d’entre elles, prennent librement leurs propres décisions concernant les relations sexuelles, l'utilisation de contraceptifs et les soins de santé.

Les  Marocaines ne sont pas épargnées 

 

Une situation alarmante dans le monde entier mais également dans notre pays. Bouchra Abdou, directrice de l’Association Tahadi pour l’égalité, nous affirme qu’on n’est pas mieux loti par ici. « La grande tension générée par le confinement et puis par la crise sanitaire ont empoisonné la situation dans des foyers déjà fragilisés psychiquement et socio-économiquement », décrit l’activiste. En contact direct avec des femmes violentées via le centre d’écoute de Tahadi, Abdou nous décrit un quotidien traumatisant.

« Privées de sortie et n’ayant nulle part où aller pour échapper à leur enfer, beaucoup de femmes sont obligées de subir en silence leur calvaire quotidien. Même pour appeler le centre, elles ont trop peur d’être surprises par leurs bourreaux », s’insurge Bouchra Abdou. Prise entre l’étau et l’enclume, ces femmes se retrouvent seules face à des conjoints eux-mêmes en situation de stress à cause de la crise multidimensionnelle.

 

Violences physiques avec coups et blessures, violences psychiques, harcèlement moral et verbal avec insultes et maltraitance à longueur de journée, violences sexuelles… la liste est longue et assez variée. Tahadi, à l’instar d’autres associations de défense des droits des femmes, essaie de soutenir les victimes à distance à travers son centre d’écoute et ses spécialistes offrant leurs différents services aux victimes. « Au bout du fil, nous avons des assistantes sociales, des avocats, un psychologue et un médecin généraliste. Nous essayons de leur venir en aide chacun selon sa spécialité », rajoute Abdou.

Les chiffres alarmants nous affirment d’ailleurs que ces associations ne devraient pas chômer. Plus de 54 % des femmes marocaines sont concernées par les violences et environ un tiers d’entre elles ont été victimes de plus d’une forme. C’est ce que révèle la deuxième enquête nationale sur la prévalence de la violence  faite aux femmes et dont les résultats ont été dévoilés en mai 2019. Des chiffres accablants d’autant plus que cette même enquête révèlent que 54,4% des fiancées et 52,5% des femmes mariées on été victimes de violence et ceci au niveau national.

Triste réalité que le staff du Centre multidisciplinaire Batha pour l’insertion des femmes en situation difficile à Fès, affronte chaque jour que Dieu fait. Des femmes battues par des maris violents, d’autres chassées sans pitié du foyer familial avec leurs enfants, des jeunes filles sauvagement violées et abandonnées par leurs propres familles … « Les cas se multiplient, diffèrent certes mais se ressemblent finalement par l’impact dévastateur de la violence sur leurs existences », nous explique Amine Baha, directeur du centre.

 

Violence numérique

« Comme si ce n’était pas suffisant, il a fallu que les femmes subissent un nouveau type de violence aussi destructeur : La violence numérique. C’est notre nouveau combat », nous affirme la directrice de Tahadi. Ainsi à l’occasion de cette journée internationale anti-violence, l’association lance une large campagne de sensibilisation sous le thème « A Internet je ne renonce pas… Face aux violences je ne me tais pas ».

« Ce programme met en avant le droit inéluctable des femmes d'être à l'abri de la discrimination et des violences, tout en jouissant du droit d’accès à internet et aux technologies de l'information et de la communication », expliquent les initiateurs de cette campagne. Dénonçant la « culpabilisation » des femmes par rapport aux violences subites sur le net, Abdou et ses camarades réclament une égalité sans concessions. Les chiffres effarants d’une enquête menée par le Haut Commissariat au Plan concernant la cyber-violence prouvent d’ailleurs le grand besoin de telles initiatives. Ainsi elles sont près de 1,5 million de femmes au Maroc à être victimes de violence numérique.

Ceci que ça soit au moyen de courriels électroniques, de messagerie sur les réseaux sociaux, d’appels téléphoniques ou de SMS... avec une prévalence de 14%. Il ne faut cependant pas oublier de prendre en considération le grand nombre de victimes qui n’arrivent pas ou renoncent à leur droit de dénoncer ce type d’agressions. «Seule une femme sur dix dépose plainte quand il s’agit de violence numérique », regrette la directrice de Tahadi.

Constituant l’une des violations des droits humains les plus répandues, la violence à l’égard des femmes et des filles demeure l’une des plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde. « Elle demeure également l'une des moins signalées en raison de l'impunité, du silence, de la stigmatisation et du sentiment de honte qui l'entourent », conclut le rapport de l’ONU.