Mohamed Mourabiti s’intéresse à l’Imam Jazouli

Connu pour son art métaphorique et ses figures maraboutiques, l’artiste marrakechi  revient avec une nouvelle exposition à voir dans la résidence privée du couple new-yorkais Marjorie et Ellery Gordon, à Mararkech autour du thème de "L’art à la maison », à partir du 5 décembre 2020. L’occasion aussi pour l’artiste autodidacte qui nous a accueilli au sein de sa résidence artistique Al Maqam à Tahenaout, de nous parler de son dernier projet pictural autour de l’Imam Jazouli.

 

 

Après « L’empreinte de la mémoire » (2018) puis « Corpus » à Abla Ababou Galerie en marge de la Biennale de Rabat en 2019, Mohamed Mourabiti ; artiste autodidacte profondément attaché à la terre et ses renvois identitaires, a choisi depuis ses débuts il y a une vingtaine d’années, la parabole comme graphisme dynamique. Ses célèbres figures maraboutiques utilisées comme référence spirituelle, lui permettent de s’exprimer par suggestions et métaphores interposées, à travers une géométrisation spontanée, triangles, demi-cercles, rectangles, qu’il construit à travers un jeu de plans/aplats.

 

 

« Je travaille beaucoup sur le sacré, les saints, les marabouts … parce que probablement, j’ai j’ai été élevé à Marrakech dans un monde entouré de confréries…Mes coupoles représentant des marabouts, en référence aux sept saints de la ville ocre, prennent différentes formes, notamment des formes triangulaires, j’aime bien changer…ça peut également nous faire penser à des églises…et les ouvertures font référence au dialogue des trois religions monothéistes », nous confie l’artiste sensible au jeu de l’ombre et de la lumière.

Ayant longtemps utilisé des couleurs telles que le rouge brique, le blanc, l’ocre, le marron pour créer des contrastes ou des superpositions, l’artiste attentif aux effets lumineux et à la structure de l’espace ose à présent le noir. « Je suis certainement habité par un esprit, nous explique-t-il, les couleurs c’est un peu cet univers plein d’énergies sacré chez les Gnaoua, … la couleur vient de la nature mais c’est la curiosité de l’homme qui le pousse à la personnaliser et à se l’approprier. Lorsqu’il fait froid, je suis dans ce mood un peu noir, mais quand il y a le soleil, je vais vers plus de couleurs…En fait, je ne contrôle pas les couleurs car autrement, je risque de sombrer dans l’esthétique et le commercial. Je ne cherche pas à plaire, je veux rester libre et très spontané ».

 

« Jazouli avait une autre manière d’expliquer le coran »

 

 

 

Entre petits formats et œuvres monumentales aux formes déstructurées, Mourabiti plus mature que jamais, aime innover sans jamais trahir son univers de prédilection teinté de traditions, de spiritualité et d’ancrage à la terre. Ses anciens marabouts et ses antennes paraboliques se gorgent de lumière et de couleurs. Des formes nouvelles comme le triangle et des motifs floraux envahissent ses toiles. L’artiste qui refuse d’être prisonnier d’une vision classique travaille sur un nouveau projet autour de l’Imam Jazouli en collaboration avec Abdellatif ben Abdellah: « L’idée de ce projet me hante depuis que j’ai visité la médina de Fès, j’y suis resté deux semaines et je pense que l’alchimie a immédiatement opéré, c’est une cité vivante habitée par de fortes énergies qui vous envoûtent, précise Mourabiti qui affirme vouloir intégrer des extraits en calligraphie de l’ouvrage «Dala’il Al Khayrat» (Répertoire des Biens) de Imam Jazouli, en fond de toile et contrastant avec ses différents marabouts aux formes bizarres. « Je m’intéresse à Jazouli parce qu’il a trouvé une autre manière d’expliquer le coran, il cite de manière régulière tous les prophètes, et je pense que c’est intéressant d’explorer son champ religieux ».

Mourabiti qui ne veut pas tomber dans l’esthétisme, nous explique qu’il souhaite « briser les codes de la calligraphie mais qu’il n’y est toujours pas parvenu ».  Son exposition aura lieu à Dar Cherifa une fois qu’il aura achevé son projet pictural à Dar Zellig où il va travailler en résidence avec Abdellatif ben Abdellah.

 

Entre poésie et spiritualité

 

 

Sans doute l’un des meilleurs artistes de l’art contemporain dans le monde arabe, le fondateur d’Al Maqam a participé à plusieurs expositions à l’étranger, dont la Jordanie, l’Angleterre, la France, Bahrein et le Brésil. Ses œuvres ont intégré plusieurs collections publiques et privées : Musée national d’Amman, Musée FAAP de Sao Paulo, Fondation Sachoua Fondation à Londres, Fondation Viscusi Anthony Margo à New York…

Entre poésie et spiritualité, Mohamed Mourabiti séduit, intrigue. Grâce à ses différentes techniques comme le collage, le dessin, la peinture, le relief, et la découpe de panneaux de bois intégrés à une œuvre monumentale, l’artiste joue avec la matière et les formes pour mieux interpeller notre imaginaire. Son univers authentique qui brise les codes d’une peinture classique a inspiré bien des poètes : « j’essaie de bousculer les codes et d’aller au-delà des convictions. Mon discours n’est pas du tout religieux, il est plutôt spirituel et culturel », conclut l’artiste qui imagine un monde plus doux, là où la spiritualité et la poésie continuent à éclairer un monde où menace un matérialisme galopant.

 

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