Suzanne Harroch. « Le Maroc est une terre bénie »

 

Ayant subjugué le public par sa remarquable interprétation d’un cantique religieux, chanté jusque-là uniquement par des hommes, lors de la 16ème édition du festival des Andalouises Atlantiques, l’artiste et chercheuse marocaine de confession juive Suzanne Harroch a l’amour de la patrie dans la peau. Originaire d’Erfoud, elle partage avec nous sa joie suite au rapprochement Maroc-Israël et nous parle de la nécessité de sauvegarder le patrimoine musical oral judéo-marocain.

 

https://www.youtube.com/watch?v=Sv3PmUsbRfM

 

En tant qu’artiste marocaine de confession juive née au Maroc (Erfoud), quel a été votre ressenti par rapport au rapprochement Maroc-Israël ?

 

Vous savez, si la plupart des Juifs ont quitté le Maroc, le Maroc ne les a jamais quittés et leur héritage persiste toujours. Le Maroc est dans leur âme, dans leur cœur, dans leurs habitudes, et ce qui est extraordinaire, c’est qu’ils ont exporté tout ce qui est beau, et tout ce qui faisait la différence, entre la vie des Juifs du Maroc et celle du monde entier.

Aujourd’hui, on parle de normalisation parce que les choses ont été faites officiellement. Mais les Juifs israéliens n’ont jamais cessé de venir au Maroc, il n’y a que le Corona qui a arrêté les choses. Il y a une petite partie des Juifs qui venait, mais comme les choses sont devenues normales et officielles, ils vont venir en masse. On parle maintenant de 3ème génération, les vieux sont partis mais leurs enfants et petits-enfants parlent encore la darija maghribiya,… En Israël, les mariages des familles juives marocaines sont toujours célébrés selon les coutumes et traditions marocaines sur fond de musique orientale, avec la cérémonie du henné, les mariées portent les tenues traditionnelles marocaines (caftans…).

Il ne fait pas oublier que les Juifs marocains qui sont partis ont beaucoup souffert à leur arrivée en Israël, l’adaptation n’était pas évidente mais ils ont réussi au fil des années à imposer leurs coutumes et leur personnalité face aux Juifs Ashkénaze.

 

Vous n’avez jamais quitté le Maroc. Vous avez choisi de rester et de vivre ici. Pourquoi ?

 

 

 

Vous savez, pour ceux qui sont partis, c’était un choix. Moi, je suis née à Erfoud, j’ai grandi dans une ambiance fraternelle, entre Juifs et Musulmans. Je n’ai plus de famille au Maroc, mes enfants sont en France mais viennent toujours au Maroc pour les fêtes religieuses, leur mariage a été célébré selon la tradition et coutume marocaines. 90% de mes amis sont Musulmans, on part en vacances ensemble, on partage et on célèbre les fêtes religieuses ensemble, Aid seghir, fête du mouton,… pendant 3 années consécutives, j’ai participé à un ftour pluriel pendant le ramadan. Je ne me vois vivre nulle part ailleurs qu’au Maroc, ce pays m’a tout donné, mes grands parents sont enterrés ici. Le Maroc est une terre bénie, par Dieu et par les Rabbins, il n’y a qu’à voir le nombre de rabbins enterrés ici !

Mon père travaillait dans l’administration, il m’a toujours éduqué dans le respect et l’amour de l’autre, il me disait souvent que pour être respectée, il fallait absolument « respecter les petites gens ». Je n’ai jamais eu de problèmes avec mes voisins musulmans, nous les Juifs du Maroc, on s’est toujours sentis Marocains ! On est nés Marocains et ce n’est qu’à l’âge de 6 ans que j’ai su qu’il y avait des enfants musulmans et enfants juifs.

La religion n’a jamais été un obstacle pour nous, on a toujours vécu en paix, toutes les religions sont pratiquées dans le plus grand respect de l’autre, comme le signifie si bien le dicton « la religion pour Dieu et la patrie pour tous ». Le Maroc est un pays riche, diversifié, et ce Maroc pluriel est un exemple de tolérance, de coexistence et de vivre-ensemble dans le monde entier.

 

En 2019, vous êtes la première femme à interpréter un cantique religieux, réservé uniquement aux Hommes à la 16ème édition du festival des Andalouises Atlantiques à Essaouira ?

 

 

 

 

Oui, je voulais chanter quelque chose de nouveau. J’ai choisi alors un répertoire assez particulier en optant pour des chants religieux qui rappellent des valeurs de coexistence, de tolérance et du vivre ensemble qui caractérise et constitue l’esprit même de notre cher pays, le Maroc.

Certains membres de ma famille, ceux qui sont assez religieux, en m’entendant chanter ce cantique en famille, m’ont demandé de m’arrêter, car c’est un chant réservé aux hommes. Mais, j’ai dit : « non, ce chant a été écrit pour nous tous ».  Je l’ai arrangé à ma manière. J’ai chanté aussi une chanson pour notre roi et la patrie et une autre pour la paix et la tolérance, sans oublier une chanson dédiée à la mariée afin de la mettre en évidence.

J’étais fière d’interpréter ces chants religieux, tout en y insérant ces belles valeurs de patriotisme et d’attachement au Maroc et au glorieux Trône Alaouite.

Le Maroc, grâce au leadership du roi Mohammed VI, est un modèle à suivre en matière de coexistence et de vivre-ensemble. Un signe d’honneur et de grande fierté pour tous les Marocains, abstraction faite de leurs religions.

 

Grande passionnée de musique depuis votre plus jeune âge, vous décidez de chanter en 2015 après votre retraite. Vous revisitez ainsi d’anciens chants composés et chantés par des femmes juives de Tafilalt ?

 

Oui, je fais des recherches musicales par rapport à mon attachement à ma région natale, pour la sauvegarde de notre patrimoine musical judéo-marocain. C’est un patrimoine oral extrêmement riche qu’il faut absolument préserver car il risque de disparaitre.

Vous savez, j’ai quitté Erfoud très jeune et j’ai toujours gardé en mémoire le chant de ces femmes juives qui me touchait particulièrement. Elles détenaient un répertoire singulier de chansons des espaces intérieures, interprétées notamment dans des cérémonies religieuses, des baptêmes et des mariages.

J’ai toujours essayé de comprendre les paroles des chansons, c’est d’une poésie et d’une sagesse incroyables. C’est pour cela qu’en réinterprétant ces chansons, c’est ma manière à moi de leur rendre hommage. Car j’estime que ces femmes ont un double mérite car bien qu’illettrées (n’écrivent ni en arabe, ni en français, ni en hébreu), elles parvenaient à composer des chansons sublimes selon l’inspiration et en fonction des circonstances, …ce sont des leçons de morales extraordinaires ! Ce sont des femmes en voie d’extinction.

Je revisite ces chansons, sans les dénaturer. J’essaie d’enlever le côté monotone, de mettre de la musique chaâbi au milieu pour introduire un peu de gaieté. Je fais la plupart de mes recherches par téléphone, pour chercher les paroles qui se perdent de nos jours, j’essaie de les réécrire pour laisser une trace écrite et sauvegarder un peu ce patrimoine musical oral qui fait partie de notre identité musicale.

 

Vous avez aussi un penchant pour les chansons patriotiques ?

 

Oui, j’ai composé une chanson patriotique que j’ai envoyé au roi pendant la fête du Trône. J’ai également un autre morceau composé par Brahim Barakate (paroles de Adil Filali Sahraoui) sur l’amour de la patrie et le mal du pays pour ceux qui l’ont quitté et immigré ailleurs. Je la dédie à tous les Marocains, vivant au Maroc et en dehors du pays.

 

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