Entretien: Leila, « La isla », « Une comédie à la fois tendre, amusante et abracadabrante ».
Leila, u00ab La isla u00bb, le nouveau film du2019Ahmed Boulane

ENTRETIEN REALISÉ PAR KAWTAR FIRDAOUS

Inspiré de faits réels de la crise de Jazirat Leila en 2002, le nouveau film d’Ahmed Boulane, dont le tournage débutera prochainement, est une comédie noire sur fond politique. Après 3 longs métrages, le réalisateur nous revient avec une comédie poignante avec des personnages drôles et attachants (Abdellah Ferkouss, Farid Regragui,…), une pincée de dérision et une touche provocatrice, chère à celui qui se dit désormais ravi d’être "l’enfant terrible du cinéma marocain”.

Brahim est un soldat des forces auxiliaires envoyé sur l’îlot de Leila pour garder les côtes marocaines des trafiquants de drogue et des immigrés illégaux. Mais voilà, avant d’atteindre le petit rocher, il perd son talkie walkie et se retrouve coupé du monde. Lorsqu’il plante le drapeau marocain, il est loin de se douter du conflit que son acte engendrera avec les espagnols. Pourtant, il essaie de survivre avec son prisonnier Mamadou, un immigré subsaharien jeté par la mer, à moitié vivant…

L’Observateur du Maroc. Pourquoi avoir choisi une comédie pour traiter un thème sérieux ?

Ahmed Boulane. C’est de la comédie noire, et tous mes films ont un peu ce côté noir. L’histoire de Leila avec l’intervention espagnole a fait rire tout le monde. C’est la plus grande connerie historique qu’un parti de droite espagnol ait pu faire. C’était un acte ridicule et tout le monde le reconnaît et donc c’était une bonne opportunité d’en faire un film, surtout une comédie, avec un seul soldat au lieu de six. Cela dit, les faits historiques sont exacts et pour cela, j’ai collaboré avec un journaliste

espagnol Carlos Dominguez.

Il y a finalement deux histoires, le conflit et l’immigration clandestine ?

Ça devient une histoire d’immigration subsaharienne, parce qu’une fois le conflit réglé, le subsaharien Mamadou commence à vivre tranquillement sa vie et alors qu’il laboure la terre, il voit débarquer une barque d’immigrés. Je pense que dans ce monde, on est de passage et tout le monde veut partir ailleurs pour améliorer son niveau de vie. Cet îlot qui était le sujet de conflit entre

le Maroc et les Espagnols devient, une île africaine tout comme ça s’est produit, en 2012, dans l’enclave espagnole Tierra, prise en otage par les subsahariens. Je ne cherche pas à passer de message, je ne suis pas un intellectuel, je raconte des histoires et je laisse le public trouver le message qu’il veut. J’essaie toujours de ne pas me prendre trop au sérieux, tous mes films ont bizarrement un côté politique mais je ne suis pas politicien. Les sujets qui ne me laissent pas indifférent ont tous un côté piquant, voire

provocateur.

Etes-vous constamment attiré par des sujets à scandale ?

Je n’ai jamais fait une pure fiction à 100%. Soit le récit est autobiographique soit il est tiré de faits divers. Mais ce sont généralement des histoires qui me ressemblent. « Les anges de Satan » est inspiré d’une histoire vraie, « Ali, Rabia et les autres », est tiré d’une période de ma vie. Il y a 30 ans, on arrêtait les jeunes pour des raisons politiques, parce qu’ils étaient des sympathisants du communisme, avaient des cheveux longs, jouaient de la musique et fumaient des pétards. 30 ans plus tard, on arrête des jeunes, pour les mêmes raisons sauf que cette fois-ci, on les accuse de satanisme et d’ébranlement de la foi musulmane.

Pourquoi avoir choisi Abdellah Ferkouss pour incarner le héro du film ?

Il a toujours voulu travailler avec moi, il aime ce que je fais. C’est une star de comédie (tv, sitcoms, théâtre,…) qui ne travaille pas avec tout le monde, et il était motivé pour jouer le rôle. C’est un comédien et pas un clown, même s’il surjoue à la télé, mais à la base, il a débuté sa carrière au théâtre, il est comique. En plus, c’est un garçon du peuple, il est crédible dans le rôle d’un soldat de force auxiliaire. De plus, il est modeste, ambitieux et je trouve qu’on a la même vie. C’est un peu mon double et tous les deux, on vient de famille pauvre, on n’a pas été à l’école longtemps, on a galéré, on est très différent mais on a beaucoup de choses en commun.

Quelle est votre technique de travail pour diriger les acteurs ?

Diriger les acteurs, c’est d’abord bien les choisir. Avant d’être réalisateur, j’ai travaillé 25 ans dans le cinéma international, en tant qu’assistant réalisateur et directeur de casting. Je choisissais les seconds rôles pour les films étrangers et j’avoue que je suis plutôt doué pour dénicher les talents. Une fois qu’ils sont sur le plateau, je les corrige, je leur donne des indications et je les laisse libres de s’exprimer pour qu’apparaisse leur vraie nature. Ensuite, au montage, je coupe tout ce que je m’aime pas pour éviter de montrer leurs faiblesses.

Vous êtes autodidacte, à la fois acteur, directeur de casting, réalisateur, producteur, où est-ce que vous vous retrouvez ?

Je suis un réalisateur de l’ancienne école, un réalisateur de métier, un vrai technicien. Avant, il n’y avait pas d’école de ciné. Je suis un des rares réalisateurs marocains, sinon le seul qui a fait 25 ans d’assistanat avant de devenir réalisateur. Je n’ai jamais rêvé d’être réalisateur, c’est un cadeau empoisonné. Depuis que j’ai commencé à réaliser et à produire mes films, j’ai cessé de gagner de l’argent. Je vis de mes économies et de mes biens et je continue à être prestataire à l’international et à faire l’acteur.

Parlez-nous de votre expérience en tant qu’acteur ?

J’ai commencé en tant qu’acteur dans les années 70, dans la troupe nationale de la radio et la télé, avec Laârbi Doughmi, Habiba Medkouri,…j’avais 16 ans et j’étais le plus jeune acteur à l’époque. Après, je suis parti en Italie. À mon retour, je suis devenu assistant réalisateur et directeur de casting. En 25 ans d’assistanat, j’ai joué une trentaine de rôles. Les acteurs qui veulent devenir réalisateurs sont des fous, moi, je veux devenir acteur et jouer de vrais rôles, comme celui que je vais bientôt incarner dans le prochain film de Jérôme Cohen Olivar, L’orchestre de minuit, où je j’interprèterai un des amis de Botbol le chanteur. Malheureusement, je fais peur à certains réalisateurs marocains qui disent que je suis une bombe sur un plateau. Je suis chiant, j’ai beaucoup de caractère et mon franc-parler ne plait pas à tout le monde, mais quand je suis acteur, je deviens un chat, parce que je suis professionnel et j’aime ça. J’ai le comportement d’un acteur classique, avec un brin de folie, un peu comme Nabil Lahlou. « Faire l’acteur, ce n’est pas travailler », comme on dit en italien, pour moi, c’est mieux que travailler…

Ça vous fait quoi d’être qualifié d’enfant terrible du cinéma ?

Ça me fait plaisir parce que certains ont tout fait pour être terribles (comme utiliser des gros mots pour choquer,…), pourtant, on ne les appelle pas terribles parce qu’ils ne le sont pas, ils font cela juste pour le film,… Moi, je suis terrible même si je suis pudique dans mes films, je suis à l’image de moi-même et de ce que je fais.

Si vous n’étiez pas réalisateur ou acteur ?

J’aurais bien aimé enseigner un savoir-faire mais certaines écoles ont peur de m’appeler. Le cinéma ne s’apprend pas à l’école. Ça fait 40 ans que je fais ce métier, c’est beaucoup de rigueur, et de discipline, c’est aussi beaucoup d’argent. L’école ne va pas t’apprendre à respecter ton équipe et à la payer à l’heure. En fait, je n’aime pas l’école parce que je trouve que l’éducation nationale chez nous est déficitaire depuis les années 60. Je ne suis pas devenu délinquant, parce qu’à l’époque, il y avait les cinémas, les « dars chabab » fonctionnaient un peu et le conservatoire m’a sauvé. Quand j’étais petit, je ne pouvais pas être footballeur parce que j’étais très maigre avec une petite santé, je suis juste devenu une grande gueule !