Le Comité Al Qods repensé
Ahmed CHARAI

Le « Comité Al-Qods » (Jérusalem) est issu de l'Organisation de la Conférence islamique, datant de 1975. Présidé à l'origine par Feu Hassan II, ce Comité est à présent dirigé par son fils, Mohammed VI, ses Etats membres - tous les pays à majorité musulmane – représentant le monde arabe, l'Afrique subsaharienne, l'Asie centrale ainsi que l'Extrême-Orient. L'objectif déclaré du groupe est de soutenir les revendications musulmanes à Jérusalem et la sauvegarde de ses lieux saints musulmans, ainsi que le bien-être de la population palestinienne et ses aspirations à un Etat indépendant avec Jérusalem comme capitale. Le Comité tient sa réunion annuelle dans la capitale marocaine Rabat les 17 et 18 janvier.

En Occident, les décideurs politiques n’ont pas vu dans le passé que ces organismes multi-gouvernementaux dans la région étaient particulièrement utiles: Leurs déclarations publiques ont souvent été détournées par les membres les plus véhéments dont notamment la République islamique d'Iran. Le soi-disant « camp du rejet » parmi les pays musulmans exige un règlement négocié entre Palestiniens et Israéliens sur la base d'une solution à deux Etats, et appelle généralement à la destruction de « l'entité sioniste ». Mais cette année, il y a bien des raisons d'espérer que le Comité Al Qods apporte une contribution significative aux efforts de paix en Terre Sainte.

Tout d’abord, malgré les contraintes imposées depuis longtemps au Comité par ses membres les plus belliqueux, le Roi Mohammed VI a constamment tenté d’œuvrer à travers le groupe dans le but de favoriser les conditions nécessaires pour permettre aux parties du conflit israélo-palestinien de parvenir à un accord de paix. Ces mesures comprennent des projets d’ordre philanthropique dont notamment la construction d’hôpitaux et d’écoles pour les Palestiniens et des propositions visant la sauvegarde des lieux saints musulmans en périodes d'intense tension.

La monarchie bénéficie de la confiance des deux parties pour jouer ce rôle : non seulement les rois successifs du Maroc ont-ils ouvertement appuyé les revendications légitimes des Palestiniens, mais ils ont également entretenu un lien historique de confiance avec la communauté juive dans le monde. Depuis la position de principe contre le nazisme prise par le défunt Roi Mohammed V dans les années 1940, à l’établissement d’une coopération politique et sécuritaire avec l'Etat juif.

Un rare aperçu sur la façon dont le Roi actuel a tenté d'utiliser le Comité Al Qods à des fins constructives a été fourni par des câbles diplomatiques américains publiés par Wikileaks en 2010 : Le monarque est décrit par les diplomates américains comme acteur majeur œuvrant pour une satisfaction mutuelle israélienne et palestinienne sur la restauration de l'une des portes historiques de la vieille ville, alors en besoin de réparation. Les câbles rapportent également que le Roi fait explicitement référence à la solution à deux Etats comme objectif final qu’il souhaiterait voir réalisé par le Comité.

Il semblerait que la rencontre de Rabat s’engagera à rendre public ce que le Roi a longtemps cherché à faire en privé. En plus de la présence traditionnelle des Etats islamiques à la conférence, les hôtes de l’événement ont pris des dispositions pour inclure des organismes non-islamiques importants, d’un poids moral et politique les qualifiant pour participer en tant qu'observateurs, et peut-être même pour faire entendre leur voix dans les débats. Il s'agit notamment du Vatican, de représentants de l'Union européenne, de l'envoyé spécial du président Obama à l'Organisation de la Conférence islamique, et des Etats membres du Conseil de sécurité des Nations Unies. «L'internationalisation» de la conférence présentera les positions traditionnelles sur les moyens potentiels se prêtant à une résolution - tels que la possibilité d'établir Jérusalem comme capitale partagée d’un Etat palestinien et israélien doté d’une souveraineté internationale sur les lieux saints. Et chacun des chefs religieux sera responsable de ses sites sacrés. La dimension internationale de la conférence renforcera la position du camp modéré parmi les membres de longue date du Comité Al-Qods et permettra d'isoler les voix extrémistes.

Enfin, elle permettra la création d’un cadre pour la partie occidentale de s’appuyer sur les travaux de la conférence afin d’assurer un suivi en exigeant aux membres modérés de traduire leurs paroles en actes et les inciter publiquement à avancer dans les efforts de paix au point mort depuis longtemps. En Israël et en Palestine, la campagne du Secrétaire d'Etat américain John Kerry visant à favoriser un règlement atteint sa dernière ligne droite, avec un besoin urgent d'un plus grand soutien régional. Si cette conférence est efficacement dirigée et soutenue, elle pourra aider à fournir ce soutien.

La Conférence peut également s'avérer être importante par rapport au « camp du rejet ». Au milieu d’une série de négociations directes de haut niveau entre les Etats-Unis d’Amérique et l'Iran sur le programme nucléaire de ce pays, le monde a les yeux rivés sur l'Iran. Ce pays fait face à une pression énorme pour faire preuve de souplesse sur des questions où sa position a été intraitable depuis la révolution islamique de 1979. Un accord global entre l'Iran et les Etats-Unis engendrera nécessairement des concessions iraniennes sur le Hezbollah et le Hamas, groupes de militants interposés qu’il a longtemps utilisés pour attaquer l'Etat juif.

Cela demandera aussi de sérieuses concessions rhétoriques par lesquelles Téhéran reviendra sur son objectif de détruire Israël. Toutes ces considérations font que l'Iran sera suivi de très près lors de la conférence du Comité Al-Qods cette semaine. Maintiendra-t-il son rôle d'obstructionniste ? S'abstiendra-t-il de bloquer les efforts de conciliation ? Le ton de ses prises de position restera-t-il le même ou démontra-t-il une certaine évolution positive ? La conférence présente un test pour l'Iran - et il est dans l'intérêt du régime d’obtenir la note de passage. Au cours de sa réunion à la Maison Blanche avec le président Obama à la fin de l'année dernière, le Roi Mohammed VI et le leader américain se sont bien entendus sur l'importance de parvenir à un règlement permanent du conflit sur Jérusalem. Il ya de grands espoirs que la réunion de cette semaine à Rabat se révélera être l'un des premiers fruits de cette entente.

Analyse publiée le 15 janvier 2014 dans le Huffington Post Ahmed Charaï