Oum la voix soul & jazzy du Maroc

entretien realisé par Kawtar Firdaous

Chanteuse exceptionnelle à la voix flutée et timbrée et au regard étincelle, Oum El Ghait Bent Sahraoui, plus connue sous le nom de Oum a déjà 3 albums à son actif, dont le dernier Soul of Morocco est un mélange réussi de sons traditionnels, de soul et de jazz. Fière de ses origines sahraouies qu’elle affiche ouvertement sur scène (avec son turban Mlehfa coloré), la chanteuse, sensuelle et raffinée, est une mordue de la scène, mais pas seulement. Oum est aussi profondément sensible aux causes humaines. Rencontre avec une personnalité sincère, émouvante, engagée et résolument moderne.

Née à Casablanca le 18 avril 1978, Oum rejoint très jeune une chorale de Gospel. A 17 ans, elle écrit et chante son premier titre Tel est ton cœur pour soutenir une opération caritative (Les malades du cœur). En 1996, elle intègre l’Ecole d’Architecture de Rabat et poursuit ses études jusqu’en 2002, année dans laquelle elle est remarquée par Philippe Delmas qui l’invite à Paris où elle passe deux ans. De retour au Maroc, en 2004, elle expérimente de nouveaux univers, le Gnaoui et le Hassani, dans lesquels ses origines sahraouies trouvent un écho.

L’Observateur du Maroc. Comment est née votre passion pour la musique ?

Oum J’ai toujours aimé chanter, mais je n’ai jamais imaginé que ça allait devenir mon métier. La musique m’a kidnappée de manière très progressive, elle m’a convaincue et je m’y suis consacrée. Pendant le lycée et mes études d’architecture, j’ai fait un peu de scène et de télé mais je n’ai pas tout lâché pour la musique d’un seul coup. Il y a suffisamment à faire avec la musique et pour la musique au Maroc et je dois occuper la place que j’occupe aujourd’hui.

Soul of Morocco a été sélectionné parmi les découvertes musicales de 2013 par l’émission Entrée Libre sur France 5. Quel est votre

sentiment ?

Toutes les récompenses sont les bienvenues. Ça veut dire que c’est une musique qui plait et qui intéresse les gens au-delà des frontières. Par cet album, j’exporte l’idée d’un Maroc pluriel, avec une culture très colorée et pas du tout monochrome. Ça me plait bien de porter le message de la diversité de mon pays à travers un album de musique.

Soul of Morocco est un album qui vous tient trop à cœur ?

C’est une certaine âme du Maroc, telle que moi je l’aperçois et je la porte, que je l’assume et que la chante. La musique marocaine, ce n’est pas juste du rai, ala ou chaâbi, c’est toutes ces choses à la fois et en même temps, qui se mêlent sans difficulté à d’autres rythmiques du monde et à d’autres sonorités d’instruments du monde entier. Donc, j’ai essayé de marier une musique contemporaine marocaine avec des rythmiques de hassani et de chaâbi ou de gnaoui, comme Aji, avec de la bossanova, avec un esprit assez libre et jazz.

Pensez-vous que votre musique est plus appréciée à l’étranger qu’au Maroc ?

Les gens ici apprécient beaucoup ma musique. Si j’ai sorti l’album à l’étranger, c’est parce que j’avais envie d’être ambassadrice du Maroc. Je crois à la richesse de ce que nous sommes et j’aime bien le montrer sur scène, dans mes vêtements, dans mon discours, dans l’écriture, dans la poétique populaire et l’usage ludique de la darija,… ce sont des choses qui me tiennent à cœur et j’ai envie de les amener au-delà du Maroc. Ici, c’est très limité, on sort un disque, on fait deux ou trois festivals puis ça s’arrête. On ne peut pas tourner toute l’année, dans toutes les villes du pays, à moins de tout produire moi-même ! Et en tant que musicienne, pour pouvoir continuer à alimenter mon âme et continuer à créer, j’ai besoin de me produire sur scène et de rencontrer des gens. J’ai besoin aussi d’en vivre vu que j’ai toujours autoproduit mes albums et ici, je n’y arrive pas. Pourtant, j’ai fait le choix de rester dans mon pays et de m’exporter autant que possible. Cela dit, j’ai besoin de cette effervescence culturelle qu’on trouve à l’étranger, puisqu’au niveau spectacles, on a l’embarras du choix.

De la musique soul un peu jazzy avec du dialecte marocain, vous êtes un peu pionnière dans ce domaine ? Pourquoi avoir choisi ce style et en darija en plus?

Je ne l’ai pas choisi. C’est toutes les musiques que j’aime. Je suis arrivée au jazz de manière inévitable. Moi, ce que j’aime au départ, c’est le Gospel et la soul. Un jour, je me suis dit, pourquoi pas en darija, même si je n’y croyais pas beaucoup alors, j’ai commencé à écrire puis ça a commencé à bien sonner, et c’est devenu très ludique. La darija permet de jouer avec les mots. Dans la langue arabe, le chakl permet d’installer les voyelles sur les consonnes, -ce qui n’est pas le cas dans les langues latines- et le sens des mots change selon où on les place (en haut ou en bas). C’est très intéressant de jouer avec le sens du mot. Je veux aussi rendre hommage à cette langue dialectale qu’on parle dans la rue, avec laquelle on est à l’aise mais qu’on n’assume pas suffisamment ; nos films et feuilletons ne sont pas à notre image et les acteurs parlent un arabe bizarre. On se sent obligé de faire un darija consensuel parce qu’on se dit que darija, c’est vulgaire. Moi, j’ai envie de montrer que c’est une langue très poétique et très musicale avec laquelle on peut aborder tous les sujets avec lesquels une femme peut dire l’amour et le désir. Par le biais de la musique, il est possible de dépasser toutes ces notions de Hchouma et quand les gens aiment une chanson, ils peuvent croire au discours que cette chanson véhicule.

Les thèmes qui vous inspirent ?

La femme m’intéresse en général, parce que j’en suis une. Il y a une similitude entre les chanteuses américaines de jazz des années 30-50, et les chanteuses arabes d’une certaine scène un peu underground. A l’époque, Ella Fitzgerald, Dinah Washington, …étaient dans une phase d’émancipation de la femme et leurs chansons parlaient de ça et c’est un peu la même chose aujourd’hui, pour une femme arabe, maghrébine et africaine. Moi, j’aime bien avoir ce discours sans rendre compte, sans gène,… chanter en darija ce que j’aime, ce que je désire, ce qui m’énerve, en tant que femme. Chaque fois, une idée grandit un peu en moi, jusqu’au moment où ça se confirme et se structure avec une mélodie, une phrase, deux,…

Votre look, il y a toujours le fameux turban, beaucoup de couleurs, vous façonnez tout vous-même. Est-ce qu’aujourd’hui Oum peut exister sans ce look ?

Je peux exister en dehors de ce look, mais ce n’est pas figé. J’ai déjà chanté sans le turban, mais jamais sans aucun traitement, aucune coiffe ni aucun bijou de tête. Le turban, ça fait partie d’un tout, c’est en mlhfa que je porte aussi en jupe, en robe ou seroual, ou que j’accroche à mon micro, j’ai besoin de ce genre d’accessoires qui m’entourent et l’instant que je passe sur scène est crucial, sacré. A travers mon look, j’exprime tout ce que j’aime et ce que nous sommes, (l’Afrique, la méditerranée, l’amazighité, l’arabité). Je pense qu’il y aura toujours un look, pas forcément le même, parce ce que c’est très important pour moi. Une fois, lors d’un concert à Paris, j’ai enlevé le turban, et ça avait fait un effet spectaculaire mais j’avais besoin de dire que j’existais aussi sans turban, et ça ne me fait pas peur de l’enlever.

Vos passions ?

Mon père était peintre alors j’adore la peinture. Je peins pour moi-même, je n’ai pas l’intention d’exposer, ça me fait du bien, ça me soulage. Ces envies de couleurs, j’ai presque envie d’en manger alors j’en consomme sur une toile et je fais ce qui me passe par la tête. Ce n’est pas du figuratif, pas du paysage, pas de la carte postale, pas du réalisme, c’est un peu abstrait, parfois cubiste et très coloré.

Ce qui vous révolte ?

L’irresponsabilité et la non assumation de l’erreur. Il n’y a absolument pas de mal à dire : j’ai fait une erreur et à s’excuser pour s’améliorer.

Un livre préféré ?

J’adore « le livre du dedans » de Maoulana Jalal Eddine, un peu mystique et soufi où la foi est vraiment confortable et réconciliée avec l’amour, le désir et le vin, …je suis à l’aise dans ce genre d’univers.

Qui est Oum que personne ne connaît ?

Celle que moi-même j’apprends à découvrir. Quand je chante sur scène, je me transporte, je suis dans un état, je ne chante pas juste pour chanter, je rentre dans mon personnage. Je ne fais pas partie de ces artistes qui adorent chanter tout le temps, sans se faire prier (avec des amis, chez eux, à la maison), je suis trop pudique.

D’où vous vient ce sentiment africain fort qui vous habite ?

Ça ne s’explique pas. Comment expliquer qu’on aime sa mère ? C’est pareil avec l’Afrique. Ce n’est pas moi qui veut porter l’Afrique, elle est en moi, je ne l’ai pas inventée. C’est comme la foi, ou l’amour de la patrie, ça ne s’explique pas.

Des projets pour l’avenir ?

Je suis ambassadrice du projet maroco-malien Caravane culturelle pour la paix, qui partira fin janvier de M’hamid El Ghizlane, pour se rendre aux camps de réfugiés à Ouagadougou (Burkina Faso) avant d’atteindre le Mali (Tombouctou et Ségou) dans l’objectif d’y animer des soirées artistiques. L’Afrique me tient beaucoup à cœur, on oublie souvent qu’on est africain, et pourtant, on est à la plus belle porte de l’Afrique. Il faut se rappeler que nos racines viennent du désert. L’avenir est par là bas, on est très jeune, on a tellement de richesses sous nos pieds et il faut qu’on soit suffisamment conscients et indépendants pour pouvoir en profiter nous même. Sinon, le 1er février, je vais me produire à l’Alhambra à Paris, dans le cadre du festival « Au fil des voix », Musique du monde, ensuite en avril prochain, j’ai une tournée en Suisse. J’ai en plus deux projets d’albums : Darijazz, un album de jazz hommage à darija, et au jazz. Et un autre album qui parle plus de mes origines et de mon côté africain et sahraoui