Antinatalisme : Ces Marocains qui ne veulent pas enfanter  

 

Ils sont certes discrets mais ils sont de plus en plus nombreux : Ce sont les antinatalistes, ces Marocains qui refusent de procréer et de « perpétrer la souffrance à travers leur descendance ». Zoom

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

Ce n’est pas un antinataliste qui va se laisser attendrir par le sourire frais de votre bébé ou s’enthousiasmer devant la photo craquante du petit dernier et son joli petit minois de joyeux lutin ! Un antinataliste considère carrément l’acte d’enfanter comme un crime… contre l’enfant, contre la planète, contre l’humanité et contre le bon sens et la bonne conscience.

Futures victimes

Dans l’une des communautés antinatalistes très active sur les réseaux sociaux et comptant plus de 9000 abonnés, dès votre entrée vous découvrez une devise atypique : « Puisque je n’ai pas pu me défendre lorsque ma mère m’a enfanté, j’ai décidé de défendre ma progéniture en évitant qu’elle ne vienne dans un monde pourri ». Une phrase qui résume l’essence d’une philosophie et d’un mouvement qui commence à prendre de l’ampleur parmi les rangs des jeunes marocains.

« Je m’oppose catégoriquement à l’idée de donner vie à un enfant, à une nouvelle victime, un futur faire-valoir d’une société de consommation dénuée de bon sens, un futur être humain condamné à souffrir et destiné à alimenter la machine des industries agroalimentaires, des cliniques et des industries pharmaceutiques », nous explique, avec enthousiasme, Soufiane Moustaki, programmeur informaticien. Une approche assez surprenante mais qui constitue le fondement de toute une réflexion rejetant la natalité. « Pourquoi donc continuer à malmener cette planète en l’encombrant davantage d’êtres humains ? Nous ne l’avons pas assez abimé depuis des siècles ? La race humaine est de loin la plus dangereuse. Arrêter de procréer est donc la meilleure manière de mettre terme à toute cette souffrance », explique Maria Bekkar, étudiante en sciences économiques à Casablanca.

 

Pessimistes ou clairvoyants ?      

 

Sur les groupes antinatalistes, les arguments ne manquent pas pour enrôler de nouveaux adeptes. Les administrateurs et les membres actifs ne lésinent pas sur les argumentaires pour vulgariser leur philosophie et mieux convaincre.  « Procréer est un crime. Pourquoi c’en est un ? Tous simplement parce que la terre est une planète  inhabitable. La preuve : Toues ces guerres, toutes ces maladies et pandémies, toute cette pauvreté et cette pollution », argumente-t-on.  Trop pessimistes ou plutôt clairvoyants ? En tout cas, les non natalistes y croient si fort qu’ils ne manquent pas d’arguments pour démontrer qu’ils ont fait le bon choix.

« L’antinatalisme est un mouvement d’idées selon lequel nous devrions cesser de procréer. Pour en arriver là, il y en a plusieurs cheminements. Certains prennent les allures philanthropiques. Ces idées proviennent de sincères préoccupations pour le bien être des autres, des humains qui devraient survivre dans un monde hostile et souffrir si nous procréons », analyse Mehdi Boussaid, chercheur en sociologie. Une vision des choses qui tranche avec les résultats probants de recherches psychologiques. Ces dernières démontrent que la plupart des gens ont tendance « à faire preuve d’un optimisme biaisé qui les poussent à sous-estimer la part de malheur dans leur vie ».

Cheminements

 

Les antinatalistes seraient donc plus réalistes que le commun des mortels ? Peut être surtout si l’on considère le développement de leur argumentaire. « Considérez donc ces millions d’êtres humains vivant dans la pauvreté, souffrant de violence et de détresse psychique. Tout le monde souffre de frustrations et de deuils », ajoute, dégoutée, Maria. Une réalité insoutenable selon les non natalistes et qu’ils veulent absolument épargner à leur « future progéniture » en évitant qu’elle ne voie le jour.

 

 

Une solution radicale ! « Pour eux, procréer c’est infliger, à l’être que vous « créez », des risques inacceptables de souffrances grotesques, même si cela ne se produit qu’en fin de vie », nous explique le chercheur. Chiffres à l’appui, ils évoquent les cancers, les maladies cardiovasculaires, le diabète, les arthrites, les maux du vieillissement… « C’est inévitable pour un être humain de subir cette dégradation surtout au bout de 40 ou 50 ans. A mon avis c’est irresponsable de causer tant de mal à votre enfant. Si vous l’aimez vous ne lui donnez pas cette vie pleine de souffrance. Mieux encore, qu’est-ce qui vous garantit que vous seriez un bon père ou une bonne mère pour ce pauvre enfant ? Rien en effet ! » lance, imperturbable,  Nadir Bentouil, ingénieur en génie civil et fervent adepte.

« Une drôle de manière d’aimer mais qui trouve son sens dans cette espèce d’altruisme. On se prive des joies de l’amour parental pour épargner son « futur enfant », décortique Mehdi Boussaid. D’après ce dernier, une autre voie plutôt misanthrope  peut mener à l’antinatalisme. Explication ? « Selon un certains courants, les humains seraient une espèce profondément destructrice et nuisible.  Notre race est donc responsable de la souffrance et de la mort de milliards d’humains et d’animaux. Pour eux, freiner sa reproduction est ainsi plus qu’indiqué pour limiter les dégâts déjà assez considérables », explique le chercheur.  Porté par la vague écologiste, le mouvement «antinataliste» prend ainsi de l'ampleur en attirant parmi ses rangs les véhéments défenseurs de l’environnement et de la survie de la planète.

Pression sociale

 

Une philosophie qui n’est pas récente historiquement et à travers laquelle se croisent plusieurs modes de pensées et de vie. Assez répandue en Occident, livres, sites web, blogs, forums, associations et même programmes de partis politiques (les verts) font régulièrement l'éloge de la dénatalité. Au Maroc, malgré son aspect assez récent et restreint, le mouvement commence à prendre de la consistance. « Ceci malgré la délicatesse de la situation. Au bout de deux ans de mariage, nos familles ont commencé à nous harceler pour « leur faire un bébé ». Avec ma campagne, antinataliste également, nous avons évité de leur froisser les sentiments en disant que l’on refuse catégoriquement d’enfanter. Mais à la longue c’est devenu agaçant à la limite du stressant. Ils ne peuvent pas comprendre ! », nous raconte le verbe désabusé, R.B qui a choisi l’anonymat car n’ayant pas encore annoncé son choix à la famille.

 

 

« C’est un sacré dilemme ! Dans une société comme la nôtre, il est difficile de comprendre un tel choix. Car dans la conscience collective, un mariage doit engendrer de la progéniture pour asseoir pour de bon sa légitimité et coller aux standards ambiants. Nous sommes programmés ainsi socialement, familialement et religieusement », analyse le sociologue. Afficher ouvertement son choix antinataliste, l’assumer pleinement et convaincre l’entourage semble une si dure épreuve pour de nombreux antinatalistes. « Lorsque le cousin, le frère ou la voisine du palier enfante, on s’attend de toi d’accomplir cette même « prouesse/devoir ». Pour t’encourager, on compare avec les autres, on évoque les textes religieux, on évoque le besoin d’être entouré de ses enfants lorsque tu seras vieux et sans sources… C’est une véritable pression sociale », revient à la charge R.B. Si les plus véhéments font valoir leur droit de choisir et surtout leur liberté individuelle en l’affichant et l’assumant pleinement. D’autres, comme R.B, préfèrent la manière douce pour imposer tout de même leur philosophie et leur choix.