Réduction des inégalités Hommes/Femmes : Ce que gagnerait le Maroc

Quels sont les coûts économiques des inégalités de genre dans le marché du travail au Maroc ? La DEPF en partenariat avec le Centre d’Excellence de la Budgétisation au Genre (CE-BSG) et ONU Femmes tentent de répondre à la question. Zoom…

«Le Maroc a entamé depuis deux décennies une dynamique sans relâche ambitionnant la promotion de l’égalité de genre qui s’est traduite par plusieurs réformes », note un rapport élaboré par la direction des études et des prévisions financières (DEPF) relevant du ministère de l’économie et des finances et de la réforme de l’administration, en partenariat avec le centre d’excellence de la budgétisation au genre (CE-BSG) et ONU Femmes. Les auteurs l’un professeur  à l’université de Bordeaux et l’autre à chercheuse à l’université des Nations Unies, UNU-WIDER ajoutent par ailleurs que « malgré les avancées enregistrées en la matière, des défis persistent encore, particulièrement, ceux liés à la faiblesse de l’accès des femmes aux opportunités économiques, induisant des pertes en points de croissance sous l’effet de la sous-utilisation de l’ensemble des potentialités humaines dont dispose le Maroc ». L’estimation des gains potentiels qui pourraient être générés moyennant la réduction des écarts de genre, en termes d’accès à l’activité, considérés comme des réserves de croissance économique jusque-là non encore utilisés, s’avère alors d’une grande utilité et, particulièrement, dans ce contexte marqué par une crise sanitaire sans précédent impactant considérablement l’autonomisation économique des femmes.

L’étude s’est, ainsi, appuyée sur l’analyse de l’évolution de la participation des femmes à la population active, au cours des deux dernières décennies, au Maroc et dans d’autres pays, en procédant à des croisement avec les performances économiques de ces pays. L’objectif étant de situer le Maroc par rapport à d’autres pays en termes de réduction des inégalités de genre, particulièrement, en matière d’accès au marché du travail en lien avec les niveaux de développement affichés par ces pays. En effet, les pays de la région MENA, y compris le Maroc, enregistrent des taux de participation des femmes au marché du travail des plus faibles dans le monde (entre 20% et 30% en 2019). Les taux d’activité et d’emploi des femmes, dans cette région, sont notablement faibles non seulement par rapport aux pays occidentaux mais aussi par rapport au groupe des pays à revenu faible ou intermédiaire (le taux d’activité s’établit en moyenne entre 40% en Asie et 55% en Amérique latine et Afrique subsaharienne).

Inégalités de genre en termes d’accès à l’activité

Selon le HCP, le taux d’activité s’établit en 2019 à 21,5% (contre 71% pour les hommes) et le taux d’emploi à 18,6% (contre 65,5% pour les hommes). « Le Maroc accuse non seulement un retard par rapport aux niveaux mondiaux de participation des femmes à la population active, mais il enregistre également une tendance inverse, avec une réduction de 24% des taux d’activité depuis 2000 », note le rapport qui ajoute que cette tendance n’est que partiellement attribuable à la conjoncture économique ou à d’autres facteurs structurels, au regard du fait que sur la même période, les taux d’emploi et d’activité des hommes n’ont reculé que de 4% et de 10% respectivement.

Par milieu, d’importantes disparités entre les milieux urbain et rural en termes d’accès des femmes et des hommes à l’activité sont constatés. En effet, le taux d’activité des femmes reste stable autour de 20% dans le milieu urbain. En raison de l’importance significative du secteur agricole dans l’économie rurale, ce taux oscille entre 30 et 40% dans le milieu rural avec une tendance baissière au cours des dernières années. La stabilité relative des différences homme/femme en matière d’accès à l’activité dans le milieu urbain signifie que les variations générales observées du taux d’activité proviennent, essentiellement, du monde rural.

Inégalités de genre en termes d’accès à l’emploi

Selon le rapport, dans le milieu urbain, la structure de l’emploi évolue en ligne avec la logique de la transformation de la structure économique nationale et ce, au regard de l’augmentation progressive de la part de l’emploi dans les services au dépend de celle de l’industrie. Contrairement à la plupart des pays de la zone MENA, la tertiarisation de l’emploi féminin au Maroc reste faible (soit la moitié de la part des hommes dans les services). Cette part jugée faible, conjuguée au niveau bas de participation féminine à l’activité génère une masculinisation dominante de l’emploi dans les services. Il en découle que les activités tertiaires, particulièrement dans le milieu rural, n’exercent pas encore d’effet de rééquilibrage en faveur de l’emploi des femmes à l’instar de plusieurs pays et régions du monde. En effet, la part de l’agriculture dans l’emploi féminin rural est prépondérante avoisinant près de 93% en 2019. Pour ce qui est de la part de l’agriculture dans l’emploi des hommes dans le milieu rural, elle a enregistré une baisse, passant de 75,1% en 1999 à 61,9% en 2019. Ces tendances influencent fortement le comportement de la population active occupée totale, marquée par une prédominance de l’agriculture pour les femmes (passant de 60% de l’activité féminine totale en 1999 à 47% en 2019) et, pour les hommes, une diminution de la part de l’agriculture, passant de 40,6% à 28,3% au profit des services. Dans le milieu urbain, l’emploi féminin est caractérisé par une forte progression de la part des services qui passe de 54,1% en 1999 à 71% en 2019) au détriment de l’industrie. Quant à la part des services dans l’emploi urbain des hommes, elle a affiché une légère augmentation de 1,6 point pour se situer à 64,4% en 2019. La décomposition de l’emploi par sexe et par statut professionnel indique que 33% des femmes marocaines actives occupées en 2019 sont des aides familiales et apprenties et 41% d’entre elles sont des salariées et près de 15% occupent le statut d’indépendantes. Quant aux hommes actifs occupés, ils sont pour moitié (53%) des salariés et 40% sont des indépendants. Il y a lieu de noter que cette répartition n’a connu que très peu de variation sur les deux dernières décennies. Toutefois, la part des hommes salariés augmente tendanciellement (de 40% à 50%), ainsi que celle des femmes salariées qui a progressé de 30% à 41%.

Raisons de la faible participation des femmes au marché du travail

« Plusieurs obstacles jugés principaux et d’autres complémentaires peuvent être à l’origine de la faible participation des femmes au marché du travail, en l’occurrence, les normes liées au genre, le cadre juridique, la structure de l’économie et du marché du travail, le capital humain... », souligne le rapport.  Les résultats de l’étude indiquent que les contraintes familiales, en l’occurrence, le nombre d’enfants à charge constitue un obstacle important orientant la décision des femmes d’intégrer le marché du travail. Ces mêmes contraintes sont largement à l’origine du recours des femmes au marché du travail en quête de sources de revenus additionnelles. Il est à signaler que la proportion de femmes dans le ménage affecte sensiblement leur accès au travail du fait qu’un poids élevé des femmes dans un ménage leur procure plus de chance pour accéder à l’autonomie économique. Pour ce qui est de l’effet de l’éducation sur l’accès des femmes à l’activité, les analyses effectuées font état d’effets contrastés en fonction des secteurs d’activité. Ainsi, les niveaux d’éducation du primaire au secondaire collégial exercent un effet positif sur la probabilité de l’emploi des femmes dans l’industrie. En effet, le statut dominant des femmes employées dans l’industrie est le statut d’ouvrier (généralement sans qualification). Cependant, l’accès au niveau d’étude supérieur impacte négativement la probabilité de l’emploi des femmes dans ce secteur. Par contre, l’accès aux études qualifiantes et supérieures impactent positivement la probabilité de l’emploi des femmes dans le secteur des services. L’effet de l’accès à est, en revanche, très important pour que les femmes aient une chance d’accéder à un emploi dans le secteur public. A cet égard, il y a lieu de noter que les femmes diplômées sont très concentrées dans le fonctionnariat (55% des femmes diplômées du supérieur qui sont en activité sont embauchées dans le secteur public contre 28% dans les services et près de 54% des femmes fonctionnaires disposent de diplôme d’études supérieures et 30% d’entre elles d’un diplôme du niveau secondaire).

Des gaps à rattraper

L’examen de ces tendances fait état d’un positionnement du Maroc en bas du U, entre d’une part à sa gauche plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne (caractérisés par un PIB/habitant plus faible et un taux d’activité des femmes élevé en lien avec l’importance des activités agricoles) et, à sa droite, des pays comme ceux d’Amérique Latine (ayant progressé en termes de richesse et ayant laissé une place de plus en plus importante à l’activité féminine).

Le positionnement du Maroc en dessous de la courbe sous la forme du U signifie que le taux d’activité des femmes dans le pays est bien inférieur au niveau qui devrait être atteint en rapport à son niveau de développement actuel. Le même constat est vérifié en termes d’accès à l’éducation et à la santé au regard du fait que le Maroc enregistre un taux d’activité féminin bien au-dessous de celui affiché par les pays ayant enregistré des résultats similaires en termes de capital humain (la seule exception étant la zone MENA où le Maroc fait mieux que ses voisins en termes d’emploi féminin à un niveau d’éducation et de richesse donnés). Les analyses effectuées dans le cadre de cette étude se sont, en outre, penchées sur l’exercice d’estimation des gaps à rattraper par le Maroc pour se positionner dans une dynamique de développement qui soit inclusive. Quels sont les gains potentiels en termes de points de croissance économique tirés de l’amélioration de la participation des femmes au marché du travail au Maroc ? les auteurs du rapport estiment qu’une réduction d’un quart de la différence d’activité entre les hommes et les femmes conduirait à une hausse du PIB par tête variant entre 5,7% (en appliquant des mesures liées à la réduction des inégalités de genre dans le marché du travail mais excluant les politiques de promotion de l’égalité de l’accès à l’éducation) et de 9,9% (en adoptant des mesures complètes, incluant la réduction des inégalités de genre d’accès à l’éducation, qui impactent positivement l’activité des femmes). Une réduction complète de l’écart d’emploi entre les femmes et les hommes, en éliminant les barrières à l’activité des femmes y compris celles liées à l’éducation, induirait une hausse du PIB par habitant de 39,5%. La progression du PIB par habitant serait de 22,8%, en procédant uniquement à l’élimination des barrières à l’activité des femmes sans prendre en compte celles empêchant un accès équitable et jeunes filles et des femmes à l’éducation