Droits des femmes : La pandémie a amplifié les inégalités

 

 

 

Les femmes, tout comme leurs congénères masculins, ont vécu une année dure placée sous le signe de la crise, sauf que la pandémie a amplifié les inégalités et les écarts en termes de droits et de parité.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

« Covid-19 aura un impact désastreux sur la santé physique, mentale, sexuelle et reproductive des femmes dans le monde », prévenait un rapport de l’ONU, en avril 2020, aux premiers débuts de la pandémie. Une mise en garde qui s’est avérée véridique mais qui ne s’est toutefois pas limitée à la santé des femmes. La crise sanitaire liée au Covid-19 n’a pas ménagé leurs droits non plus. Amplifiant les inégalités existantes, la pandémie a aggravé davantage la situation partout dans le monde et ici au Maroc. Les rapports et analyses réalisées à l’échelle internationale depuis l’apparition du Covid-19  sont sans appel. Ils révèlent l’impact disproportionné de l’état d’urgence sanitaire et de la crise sur les femmes en général, et sur celles en situation socioéconomique vulnérable en particulier.

Injustice sociale et économique

 

D’après les rapports onusiens, le ralentissement économique brutal engendré par la pandémie avait spécialement ralenti l’accès des femmes aux ressources et opportunités économiques. Au Maroc, l’association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté dresse un tableau plutôt sombre en cette journée de fête. « La crise sanitaire et économique liée à la pandémie avait des répercussions lourdes sur les femmes marocaines. Victimes d’injustice sociale et économique, nombreuses sont celles qui travaillent dans le secteur informel et ne jouissent d’aucune couverture sociale.  Elles étaient ainsi privées injustement  du soutien financier offert par l’Etat aux travailleurs en arrêt de travail », dénonce l’association en cette journée spéciale du 8 mars.

L’ONU femmes de son côté évoque les femmes assumant les tâches domestiques, les soins ou encore le suivi de la scolarisation des enfants à domicile et qui étaient touchées de manière disproportionnée par les pertes d’emploi de leurs conjoints et des pourvoyeurs des foyers familiaux. « Ces conséquences seront d’autant plus dramatiques alors que les femmes ont de moins en moins accès à l’activité depuis quelques années, notamment au Maroc, où la participation des femmes à la vie économique compte parmi les plus faibles au monde : 22% en 2018 vs 48% de moyenne mondiale dont 10% d’entrepreneuriat féminin et enregistre un recul depuis 20 ans (29% en 2000) », décrit un rapport d’ONU femmes Maroc, en 2020.

 

Précarité et violence

 

Une précarité économique qui est aggravée par leur surreprésentation de la gent féminine parmi la population au chômage, notamment pour les plus diplômées  avec 33% de chômage chez les femmes vs 18% chez les hommes. Lorsqu’elles travaillent, les femmes sont employées dans des conditions précaires : Environ 50% de l’emploi féminin est non rémunéré (2/3 sont des femmes rurales) et 70% sont en emploi peu ou pas qualifié, contre 50% des hommes. De plus, l’écart salarial homme-femme à poste égal est d’au moins 20%.

De profondes  inégalités qui se rajoutent à la grande problématique de la violence domestiques et numérique qui s’est accrue d’une manière inquiétante l’année dernière.  « La pandémie et le confinement ont été une véritable catastrophe pour les femmes et les filles victimes de violences domestiques. Sans ressources, obligées de vivre sous le même toit que les agresseurs, elles ont affronté seules leur calvaire », s’insurgent les activistes de l’association Tahadi. A huit clos, loin des yeux et livrées seules à leur sort, des femmes, au Maroc comme partout ailleurs, ont du subir des violences domestiques largement aggravées par les mesures restrictives de l’Etat d’urgence sanitaire.

Depuis le début de la pandémie, les associations de protection des droits des femmes s’en alarmaient des prémices inquiétantes d’un phénomène en forte progression. La multitude de rapports, élaborés à l’échelle mondiale et locale, l’ont malheureusement confirmé : Les mesures restrictives adoptées dans le monde entier pour lutter contre Covid-19 ont intensifié le risque de violence domestique. Pire, le foyer confiné est devenu un terreau fertile pour la prolifération d’actes violents de toutes natures envers les femmes.

 

 

Le coût de la violence

 

Violences physiques avec coups et blessures, violences psychiques, harcèlement moral et verbal avec insultes et maltraitance à longueur de journée, violences sexuelles… la liste est longue et assez variée. Les chiffres affirment le constat des associations de défense des droits des femmes : Plus de 54 % des femmes marocaines sont concernées par les violences et environ un tiers d’entre elles ont été victimes de plus d’une forme. C’est ce que révèle la deuxième enquête nationale sur la prévalence de la violence  faite aux femmes et dont les résultats ont été dévoilés en mai 2019. Des chiffres accablants d’autant plus que cette même enquête révèlent que 54,4% des fiancées et 52,5% des femmes mariées on été victimes de violence et ceci au niveau national. « Il faut revoir considérablement  ces chiffres à la hausse avec la pandémie et son impact », note Bouchra Abdou, directrice de Tahadi.

D’après une enquête du Haut Commissariat au Plan sur le coût économique de la violence à l’encontre des femmes et des filles, datant de 2019, les violences physiques et sexuelles coûteraient aux ménages 2,85 milliards de Dh soit 957 Dh par victime. La part du milieu urbain dans le coût économique global de la violence est de 72% (2,05 Milliards de Dh), celle du milieu rural est de 28% (792 Million de Dh). Les coûts directs constituent la majeure partie du coût économique global avec une part de 82% (2,33 Milliards de Dh) contre seulement 18% pour les coûts indirects (517 Million de Dh). L’espace conjugal s’accapare, à lui seul, plus des deux tiers du coût global de la violence avec une part de 70% (un coût global de 1,98 Milliards de Dh), suivi des lieux publics avec 16% (448 millions de Dh) et du contexte familial avec 13% (366 millions de Dh). S’agissant des formes de violence, près de 85% du coût global concerne la violence physique (2,4 Milliards de Dh) et 15,3% la violence sexuelle (436 millions de Dh).

 

 

Nouveaux combats

« Comme si ce n’était pas suffisant, il a fallu que les femmes subissent un nouveau type de violence aussi destructeur : La violence numérique. C’est notre nouveau combat surtout après l’aggravation de la situation pendant le confinement et l’état d’urgence», nous affirme cette dernière. Dénonçant la « culpabilisation » des femmes par rapport aux violences subites sur le net, Abdou réclame « une égalité sans concessions ». Les chiffres effarants d’une enquête menée par le Haut Commissariat au Plan concernant la cyber-violence affirment  la légitimité de ce nouveau combat. Ainsi elles étaient près de 1,5 million de femmes au Maroc à être victimes de violence numérique. Ceci que ça soit au moyen de courriels électroniques, de messagerie sur les réseaux sociaux, d’appels téléphoniques ou de SMS... avec une prévalence de 14%.

« Il faut cependant prendre en considération le grand nombre de victimes qui n’arrivent pas ou renoncent à leur droit de dénoncer ce type d’agressions », regrette la directrice de Tahadi. Seule une femme sur dix dépose plainte quand il s’agit de violence numérique. Constituant l’une des violations des droits humains les plus répandues, la violence à l’égard des femmes et des filles demeure l’une des plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde.

 

Parité maintenant  

 

A la veille des élections charnières de 2021, le combat pour la parité se poursuit.  La Coalition «Parité maintenant» qui n’a pas chômé pendant cette année 2020 plombée par la pandémie, a adressé un mémorandum détaillé au Président de la Chambre des représentants joint à une pétition signée par 20.000 signataires.  Dans ce mémorandum, la coalition élabore un bilan général de la situation au Maroc tout en mettant l’accent sur les défis majeurs à relever en termes de parité. « La femme marocaine a sa place parmi l’élite politique et elle a le droit de la prendre », lance d’emblée Ouafa Hajji, coordinatrice de la coalition « Parité maintenant » et présidente de l’Internationale socialiste des femmes.

 

 

Si d’après l’activiste, il n’y a toujours pas de parité dans notre pays malgré les mécanismes de discrimination positive adoptés, il ne faut pas pour autant baisser les bras. « Il y a certes une présence féminine aussi bien au  parlement qu’au niveau local, favorisée surtout par ces mécanismes. Mais elle ne dépasse par encore les 12 à 15% et c’est insuffisant », fustige-t-elle. Estimant que le principal frein à la parité reste la volonté politique, Hajji charge les partis politiques en affirmant qu’il y a « un réel écart entre le discours et la réalité au sein des partis politiques. Mais ceci dit, c’est également une question de culture et de mentalités », analyse la coordinatrice.

« Sans les mécanismes de discriminations positives imposées spécialement dans le domaine politique,  il n’y a presque pas de femmes. Dans le secteur économique, regardez les conseils d’administration de nos entreprises, regardez le gouvernement, la fonction publique, les institutions constitutionnelles… C’est général, les femmes ne sont pas présentes ou le sont très rarement dans les sphères de décisions », regrette-t-elle. Un état des lieux qui a motivé d’ailleurs le lancement de la pétition du collectif « Parité maintenant ». Objectif ? Une loi cadre pour tracer les objectifs et la stratégie de l’application de la parité au Maroc d’ici 2030. « Il est temps de prendre le train du changement, de faire de la place aux femmes parmi l’élite politique surtout en cette conjoncture spéciale post-pandémie. Les femmes ont leur rôle à jouer et le Maroc ne peut pas se permettre de faire l’économie de toute cette énergie au fort potentiel », conclut Ouafaa Hajji.