Enfants mendiants : « Ne leur donnez rien ! »

                                  

#pour_son_bien_ne_lui_donne_rien, #sa_place_est_en_classe ! C’est le message central de cette nouvelle campagne de sensibilisation contre la mendicité et l’exploitation des enfants par des adultes. Zoom sur un phénomène social en pleine expansion.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

Qui d’entre nous n’a pas été interpelé par un enfant au feu rouge ou par une mère avec un bébé aux bras demandant la charité en exposant sa misère. Attendri et compatissant, on n’hésite pas à apporter son aide en leur filant quelques pièces… «  Et c’est justement ce que nous devons arrêter de faire tous. En croyant aider ces enfants, on les enfonce plus encore dans leur misère. Pire, on contribue à leur exploitation par des adultes », met en garde Hind Lâaydi, présidente de l’association Jood, initiatrice de cette campagne de sensibilisation contre la mendicité des enfants et leur exploitation par des adultes.

Complices involontaires

 

Lancée le 10 mars, sur les médias et les réseaux sociaux, « l'objectif principal de cette campagne est de sensibiliser le citoyen à la gravité de ce phénomène et à ses retombées néfastes sur l’avenir de l’enfant mendiant », ajoute l’activiste associative. « Nous voulons également sensibiliser les citoyens par rapport au rôle qu’ils peuvent jouer dans la lutte contre ce phénomène et dans sa réduction. Car, il faut le savoir, en donnant de l'argent aux enfants, on  contribue à sa propagation et à la perte de ces enfants », argumente Lâaydi. Violation flagrante des droits de l'enfant, « c’est notre devoir en tant que société de l'éliminer », tranche-t-elle.

Lançant cette campagne sur les réseaux sociaux sous deux hashtags  #pour_son_bien_ne_lui_donne_rien et  #sa_place_est_en_classe , Jood a également produit un court métrage racontant le triste destin d’un enfant exploité dès son jeune âge dans la mendicité, par sa mère puis par un meneur adulte.  Privé d’école, il passait ses journées à faire la manche aux feux rouges pour remettre la cagnotte du jour à des adultes oisifs. Les quelques sous qu’il arrive à cacher, l’adolescent s’en sert pour s’approvisionner en drogues chez le dealer du quartier. « Un avenir ruiné et un destin brisé, c’est le lot d’une grande majorité de ces enfants exploités. Les mieux lotis deviennent à leur tour en grandissant, des exploitants d’autres enfants. Ils reproduisent le même modèle en participant à la propagation du fléau », s’insurge la présidente de Jood.

 

L’enfer

 

Selon les statistiques du HCP datant de 2007, un Marocain sur 150 est mendiant. Leur nombre s’élèverait à quelques 200.000 dont plus de 62,4% sont des professionnels. « Ce sont de vieux chiffres. Je vous laisse imaginer l’ampleur du phénomène actuellement », commente Lâaydi. En 2015, l’Unicef fait état de quelques   25 .000 enfants vivant dans la rue, dont une grande partie vit de mendicité. En 2016, la DGSN a arrêté 2890 mendiants professionnels, dont 1177 mineurs. Dans le bilan 2020 du plan d’action relatif à la protection de l’enfance contre l’exploitation dans la mendicité, le ministère de la solidarité, du développement social, de l’égalité et de la famille et le parquet général affirment avoir sauvé 142 enfants (79 filles et 63 garçons) de cet enfer,  rien que dans la région de Rabat, Salé et Kénitra.

Menée principalement par des mères en situation difficile, une bonne partie des victimes d’exploitation sont des bébés ou des enfants en bas âge. « Ainsi les deux tiers des enfants victimes sont âgés de 0 à 4 ans, sachant que 27% parmi cette catégorie ont moins d’une année » explique Jamila El Moussali, ministre de la solidarité, du développement social, de l’égalité et de la famille en présentant son bilan. Utilisés par leurs propres mères dans ce trafic inhumain, « ces bébés sont endormis à l’aide de somnifères, ils ne sont pas nourris durant toute la journée et encore moins changé pour qu’elles puissent s’adonner à leur besogne sans dérangement » décrit l’actrice associative.

 

Loués à 150 dhs  

 

Maltraités, ces enfants sont même loués à d’autres mendiants pour 150 dhs. « Elles gagnent jusqu’à 350 dhs par jour, le vendredi ça atteint les 800 dhs. Comment voulez-vous convaincre ces femmes d’aller travailler lorsqu’elles gagnent autant d’argent rien qu’en mendiant ? », s’interroge Lâaydi sur une vidéo de sensibilisation diffusée sur la page de l’association et sur Youtube. « Pire encore, cet enfant apprend dès son jeune âge à mendier. En tuant sa dignité dans l’œuf, on en fait un futur mendiant professionnel et parfois même un exploitant d’autres enfants », dénonce-t-on auprès de Jood.

« SVP ne donnez plus d'argent aux enfants mendiants ni aux adultes qui exhibent des enfants pour vous émouvoir et vous inciter à donner ! », implore Hind Lâaydi.  « Nous sommes convaincus que le seul moyen d'arrêter l'exploitation de ces enfants et de leur laisser une chance de partir à l'école dépend de nous tous. Arrêtez donc de contribuez à leur perte en finançant leurs exploitants  ! », appelle-t-on à Jood.

Incriminée par la loi

 

Rappelons qu’en 2019, un plan d'action national pour la lutte contre l'exploitation des enfants à des fins de mendicité a été par le Ministère de la famille en collaboration avec le parquet général. Il repose sur le renforcement du système de protection de l'enfant en se basant sur les interventions d'équipes de terrain pluridisciplinaires, dans différentes régions. Ceci que ça soit au niveau de la protection judiciaire, des soins de santé, de l’assistance psychologique et sociale, de l'éducation, de  la formation ainsi que du suivi et de l'évaluation.

 

 

Considérée comme un délit par le code pénal marocain, la mendicité est réprimandée par l’article 326. Ce dernier stipule qu’il est puni d'emprisonnement d'un à six mois, quiconque ayant des moyens de subsistance ou étant en mesure de se les procurer par le travail ou de toute autre manière licite, se livre habituellement à la mendicité en quelque lieu que ce soit. L’utilisation d'enfants, autres que leurs propres descendants, par des mendiants pour solliciter la charité est punie d'une peine d'emprisonnement de 3 mois à 1 an. Cette peine s'applique aussi aux mendiants invalides ou dénués de ressources. La peine est doublée (6 mois à 2 ans) si une personne ayant autorité sur un enfant ( père ou mère,...) ou en ayant la garde, le livre même gratuitement, à des vagabonds ou à des individus faisant métier de la mendicité, si cet enfant est âgé de moins de 13 ans. D’ailleurs, Mohamed Abdennabaoui, procureur général du royaume, a sommé, en 2019, par écrit les procureurs du royaume d’appliquer à la lettre les termes de la loi.