DANS LES COULISSES DE LA POLICE VERTE

Mercredi, 9h00, le local de la Brigade régionale de la police de l’environnement de Casablanca est bien animé en cette matinée.

Les préparatifs vont bon train pour la ronde quotidienne.

Farid Khalil, officier et chef adjoint de la brigade, est aux commandes.

En arborant son uniforme spécial, il invite ses collaborateurs à s’activer.

Âaed, Mouhssine et Mohamed Amine, respectivement officier et inspecteurs, sont déjà prêts : Gilets et képis portant l’insigne spécial de la brigade verte, registre et PV sous les bras, ils n’oublient pas l’appareil photo, outil nécessaire pour illustrer les infractions enregistrées sur le terrain.

Après un échange circonspect avec leur supérieur, le commissaire Hassan Kichetti, à propos du plan de leur journée et d’une formation prévue dans l’après midi à la préfecture de police, les quatre hommes sont prêts à partir en ronde.

Direction : Quartier Bourgogne.

Sur le terrain

« Nous avons déjà procédé à des rondes d’inspection dans ce quartier et nous avons pu repérer un bon nombre d’infractions.

Aujourd’hui, on passe à l’action… », nous annonce, décidé l’officier Farid, avant de regagner le seul véhicule de la Brigade.

Quelques minutes plus tard, nous sommes aux alentours de Lahjajma.

Les quatre policiers ne tardent pas à détecter une nouvelle infraction.

Absorbés par leur besogne, deux jeunes mécaniciens ne remarquent même pas l’arrivée des policiers.

Jetant leur dévolu sur un large pan de trottoir, ces mécaniciens l’ont transformé en atelier à ciel ouvert.

Ils y effectuent des réparations et même des vidanges.

Surpris par la brigade spéciale, les deux mécaniciens n’avaient pas d’autre choix que de reconnaitre leur tort.

« En plus du fait qu’ils travaillent dans la clandestinité, leur trafic est une atteinte à l’espace public qu’ils polluent de surcroit par les rejets des huiles et des graisses usées », décortique l’officier Âaed Mimoun tandis que son collègue Mohssine procède à la vérification des identités des deux mécaniciens.

Pendant ce temps, l’inspecteur Mohamed amine a déjà pris des photos montrant l’ampleur des dégâts.

Ayant subi plusieurs vidanges, le trottoir squatté est devenu glissant.

Démoli par la fréquence des stationnements anarchiques des voitures bricolées, le carrelage a disparu sous les strates drues d’une crasse huileuse.

Le regard hagard, l’un des deux interpelés semble perdu.

« Je ne comprends rien, qui sont ces gens ? »,nous lance-t-il lorsqu’on l’a interrogé à propos de son délit.

« Malgré nos multiples sorties de sensibilisation auprès des citoyens, nombreux sont ceux qui ignorent encore l’existence de notre brigade spéciale et la nature de sa mission.

N’empêche que ce genre d’interventions fait parler de cette police et la fait connaitre davantage », souligne, imperturbable, Farid Khalil, tandis que son collègue enregistre deux PV d’infractions à l’encontre des deux mécaniciens pris en défaut.

Ces PV seront transférés, dans les jours qui viennent, au bureau du procureur du roi qui décidera de la suite à leur réserver.

« Et c’est le juge qui définira la sanction qui est généralement une amende pour ce genre d’infractions », assure l’officier Mimoun avant de nous inviter à le suivre.

Quelques rues plus loin, rebelote.

Devant une épicerie de quartier, un amas de déchets barre un peu le passage.

Le regard des agents verts se tourne vers le pollueur, un épicier qui se prénomme Mohamed.

Ce dernier est visiblement gêné et essaie même de se dérober en niant que se gros sac lui appartient.

Une tentative vaine qui ne convainc guère Farid qui a roulé sa bosse durant trente ans dans les différents services de la sûreté nationale.

Avec un ton ferme, mais respectueux, l’officier et ses inspecteurs expliquent son délit à l’homme tout en l’invitant à mieux gérer ses déchets et à faire un saut au tribunal pour suivre son PV.

Pas de répit pour les gardiens de l’environnement dans une ville malmenée en tout instant par toutes sortes de pollution.

A quelques pas de l’épicerie de Mohamed, un concierge d’immeuble, les manches et le pantalon retroussés, est en train de faire le grand ménage en rejetant vigoureusement de l’eau savonneuse en pleine rue.

L’odeur de l’eau de Javel est forte et les petits flots ont déjà inondé les parages.

Nullement inquiété par le policier qui constate l’état des lieux, il continue sa besogne, encouragé par les « Allah yeâaoun » répétitifs d’une habitante.

Lorsque l’officier Âaed Mimoun l’apostrophe pour lui indiquer le caractère illégal de ses manoeuvres, la riposte vient de cette même habitante.

« Mais où est-ce que vous voulez que l’on jette cette eau ? », se révolte-telle.

Habitué à ce genre de réaction, le policier répond fermement : « C’est la loi madame et je suis là pour l’appliquer.

Cette eau est sale et gorgée de produits chimiques qui iront ainsi dans les égouts et déboucheront dans la mer en causant sa pollution ».

se contente-t-il de lui répondre calmement en inhibant sa résistance.

Dans la rue voisine, c’est tout un chantier qui est en flagrante infraction.

L’Officier Farid est clair : Ce chantier ne respecte aucune réglementation.

« Aucun siège de protection ne l’entoure, les matériaux sont jetés à même la rue et bloquent le passage.

Les voisins n’ont pas trouvé mieux que de jeter leurs ordures dessus et pire encore il y a une école à côté.

Conclusion : ce chantier est un véritable danger », résume le verbalisateur.

Désemparé, le chef de chantier ne veut endosser aucune responsabilité et tente alors de minimiser les dégâts.

Peine perdue !

Les mentalités d’abord

« Notre plus grand défi, c’est le changement des mentalités par rapport à l’environnement et à sa préservation.

Nous avons beaucoup d’attitudes et d’habitudes que l’on ne devine même pas néfastes et qu’il faut absolument changer », insiste le jeune officier en soulignant l’importance de la sensibilisation dans l’exercice de leur travail.

Des propos confirmés par le commissaire Hassan Kichetti, chef de la brigade de l’environnement de Casablanca : « Cela fait maintenant trois mois que la brigade existe.

Dans un premier temps, nous concentrons nos efforts sur le volet sensibilisation des citoyens par rapport à l’environnement et par rapport à notre propre mission.

Il faut reconnaitre que l’on rencontre une certaine résistance au changement mais nous nous y adaptons ».

Une adaptation qui nécessite un travail assidu au quotidien sur le terrain de la part des 14 membres de cette brigade pilote.

Un effectif qui reste toutefois insuffisant vu l’ampleur des missions confiées et le territoire à couvrir par cette section spéciale.

Ambitieuse, la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) a créé, en juillet 2013, un service central et des brigades régionales de l'environnement à Casablanca, Mohammedia et Rabat.

Chargés d'assurer le suivi des infractions environnementales, les trois brigades ont été lancées en novembre dernier.

Elles sont appelées à mener les enquêtes nécessaires et à présenter les auteurs devant les autorités judiciaires compétentes.

Champs d’action

D’après Abdellah Essaïd, commissaire divisionnaire et chef de la cellule de communication auprès de la préfecture de police de Casablanca, la création de cet organe s'inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre des nouvelles dispositions contenues dans la constitution.

« La DGSN mobilise tous les moyens afin de garantir aux citoyens un cadre de vie sain », explique le responsable.

Se contentant pour l’instant du lancement de trois premières « expériences pilotes », la DGSN a déjà annoncé un projet de généralisation sur l’ensemble du territoire.

Avant d’en arriver là, les brigades pilotes doivent faire leurs preuves en traquant des infractions allant du simple jet de bouteille vide à travers une fenêtre de voiture, jusqu’au diversement de rejets chimiques toxiques, en passant par l’abattage clandestin, la chasse illégale d'espèces animales rares, le non traitement des déchets médicaux, le rejet de gaz toxiques par de vieux véhicules et la pollution des eaux.

« Notre champs d’action est très large. La loi organisationnelle pour l’environnement implique les activités industrielles, la sureté et la santé, l’équipement territorial, le domaine forestier et agricole, les rayonnements nucléaires, le domaine maritime, la gestion des ordures, la prévention de la pollution, l’eau et l’air. C’est dire l’ampleur de notre mission », énumère commissaire Kichetti.

Une mission pour laquelle, lui-même et ses 14 collaborateurs, ont été préparés à travers une formation spécialisée.

A l’instar des brigades de Mohammedia et de Rabat, les éléments casablancais ont suivi, durant un mois, des cours dispensés par des professeurs universitaires, des chercheurs, des médecins et des intervenants du ministère de la Santé publique, des magistrats, des professeurs de l"Institut royal de police de Kénitra, un général de la Gendarmerie royale, des techniciens de l’OCP et des éléments du service d’hygiène.

Sélectionnés par leurs supérieurs hiérarchiques, les policiers verts ont été désignés selon des critères qui prennent en considération leur parcours, leur expérience et leur formation.

« Les compétences de l’équipe se complètent pour un meilleur rendement », affirme, non sans fierté, Kichetti sous le regard approbateur de Khadija Hader, coordinatrice Casablanca-Mohammedia et seule femme de la brigade.

La jeune policière est ingénieur, lauréate de l’école Mohammedia.

Préparant son doctorat en pollution atmosphérique, elle est comme poisson dans l’eau à la brigade.

« Ouverte, la brigade de l’environnement travaille en collaboration avec les autres sections de la police qu’elle soit judiciaire ou scientifique.

Même avec la casquette environnementale, nous restons des policiers.

Il nous est arrivé d’arrêter des trafiquants de drogues surpris en flagrant délit lors de l’une de nos rondes», explique, souriante, l’agent Hader.

Pouvant être sollicitée à tout moment par une métropole rongée par tous types de pollution, la brigade écologique a du pain sur la planche.

Au-delà du message positif et de l’image moderne qu’elle donne de la police marocaine, le travail dans cette brigade est tout sauf une sinécure.

La DGSN ne doit pas donc tarder à renforcer les rangs des policiers verts et leur offrir les moyens nécessaires pour accomplir leurs multiples missions ❚

 

Bilan de la brigade verte de Casablanca de novembre 2013 à janvier 2014 :